Un pas supplémentaire vers une justice d’exception

Cet article concentre toutes les problématiques de la réforme du contentieux des étrangers introduit par ce projet de loi, mais aussi les raisons de la colère des magistrats administratifs qui sont en grève, je le rappelle, aujourd’hui même.

Elles concernent la procédure applicable au contentieux de l’éloignement des étrangers placés en rétention administrative.

À ce jour, l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement peut être placé en rétention par l’administration.

La juridiction administrative est compétente pour contrôler la légalité de la décision de placement en rétention et de la mesure d’éloignement.

La juridiction judiciaire, gardienne des libertés individuelles en vertu de l’article 66 de la Constitution, est, quant à elle, compétente pour statuer sur la validité de la prolongation de la rétention, qui constitue une mesure privative de liberté, et, plus précisément, est chargée de vérifier la régularité de la procédure d’interpellation et l’accès de la personne retenue à l’exercice effectif de ses droits.

Les juridictions des ordres administratif et judiciaire, en raison de leurs compétences respectives, sont donc investies de missions de contrôle différentes.

Actuellement, lorsqu’un étranger est placé en rétention administrative, la décision d’éloignement dont il fait l’objet est examinée par la juridiction administrative selon une procédure d’urgence dérogatoire, par un juge unique – statuant seul –, sans conclusions du rapporteur public, qui doit statuer dans les soixante-douze heures.

Le projet de loi, qui crée une nouvelle mesure d’interdiction de retour sur le territoire français, prévoit qu’une telle décision sera, elle aussi, contrôlée dans le cadre de la procédure d’urgence lorsque l’étranger est placé en rétention.

Or aucune situation d’urgence ne justifie, ici, une telle dérogation aux garanties normales de la procédure administrative !

De plus, il s’agit, avec l’interdiction de retour sur le territoire français, d’un nouveau type de décision, particulièrement lourde de conséquences pour l’étranger, et dont les conditions de mise en œuvre devront être précisées par la jurisprudence.

L’examen de la décision d’interdiction du territoire français devrait donc naturellement être effectué selon la procédure normale, c’est-à-dire par une formation collégiale de trois juges, après conclusions du rapporteur public.

Cet article prévoit aussi qu’une décision d’éloignement peut être mise à exécution dès que le juge administratif s’est prononcé sur sa légalité. Cette inversion de l’ordre d’intervention des juges pourra donc permettre à l’administration, dans certains cas, de procéder à l’éloignement de l’étranger avant même que le juge judiciaire ne se soit prononcé sur la privation de liberté dont l’intéressé a fait l’objet.

Cette stratégie d’évitement du juge des libertés et de la détention aura pour conséquence de priver, en pratique, l’étranger ayant fait l’objet d’une mesure privative de liberté d’un accès effectif au juge judiciaire, ce qui est n’est pas admissible.

Conjugué au principe de la délocalisation des audiences, sur lequel nous reviendrons, qui porte gravement atteinte à la sérénité des débats et à la qualité de la justice, cet article ne fait que créer une justice expéditive pour les étrangers. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le supprimer.

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