Cette initiative est saluée par bon nombre de maires et d’élus confrontés à des situations extrêmement difficiles

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je souhaite féliciter notre collègue Évelyne Didier pour son excellente initiative, qui vise à sécuriser les communes – toutes les communes - face aux responsabilités pesant sur elles dans le cas d’ouvrages de rétablissement des voies de communications coupées par une infrastructure de transport nouvelle.

Cette initiative est saluée par bon nombre de maires et d’élus confrontés à des situations extrêmement difficiles et attendant de ce fait une clarification.

En effet, comme l’ont très bien évoqué à la fois l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur, il s’agit d’un problème d’une grande importance, tant les conséquences potentielles, financières et pénales, sont lourdes. Les membres de la Haute Assemblée ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : le texte du rapporteur a été adopté à l’unanimité par la commission des lois. Nous espérons qu’il en sera de même en séance.

Nous avons jusqu’ici laissé le juge définir le droit. Cette proposition de loi fait donc œuvre utile en permettant au législateur de reprendre la main.

Je commencerai par quelques mots sur le bien-fondé du dispositif qui nous est ici proposé, avant d’élargir la réflexion en m’interrogeant sur les considérants ayant conduit à cette situation de blocage.

Aujourd’hui, en l’absence d’un texte de loi qui précise les responsabilités de chacun concernant la surveillance, l’entretien, la réparation et le renouvellement des ouvrages de rétablissement et en raison de la jurisprudence en la matière, c’est à la collectivité qu’échoit la responsabilité des travaux, à l’exception notable, que je tiens à souligner, des ponts de rétablissement au-dessus des autoroutes.

Le Conseil d’État juge que les ouvrages d’art de rétablissement des voies interrompues sont des éléments constitutifs des voies dont ils assurent la continuité. Par conséquent, la responsabilité de ces ouvrages appartient à la collectivité qui supporte la voie rétablie. Nous en prenons acte, mais cela ne peut empêcher le législateur de répartir les charges, et c’est bien à ce niveau qu’il faut œuvrer.

Il est à noter également que chaque situation est particulière, sur les plans tant juridique que physique. Il existe des cas très divers en la matière, les gestionnaires d’infrastructures étant nombreux et leur rapport aux collectivités n’étant pas partout le même. Dans certains cas, des traités de concession ont pu être passés ; dans d’autres, il peut s’agir de propositions de conventions, plus ou moins satisfaisantes, qui ont été acceptées ou non. Nous savons ainsi que RFF propose souvent une soulte libératoire fixée à 8 % du coût de l’ouvrage.

Il n’y a donc pas aujourd’hui de situation d’égalité entre les collectivités au regard de ce problème. Conserver un tel vide juridique ne peut nous satisfaire.

De plus, faire reposer systématiquement cette charge sur la collectivité revient à ne tenir compte ni du fait générateur de la situation nouvelle, ni de qui a décidé de construire une nouvelle voie interrompant de fait une voie déjà présente. La collectivité dont la communication est interrompue subit un projet qu’elle n’a nullement décidé ; il n’est donc pas normal qu’elle assume l’ensemble des responsabilités.

Pour cette raison, la proposition de loi établit un principe simple, que nous approuvons, pour l’équilibre d’affectation des responsabilités qui y est posé : au gestionnaire de l’infrastructure de transport nouvelle incombe la responsabilité de la surveillance, de l’entretien, de la reconstruction de la structure de l’ouvrage et de l’étanchéité de l’ensemble de cet ouvrage, tandis que reviennent à la collectivité concernée l’entretien et la gestion des trottoirs ainsi que du revêtement routier.

Il s’agit là d’un principe respectueux de chacune des parties. Cela évite également que des collectivités qui, la plupart du temps, ne disposent pas d’aide juridique ne soient amenées à signer des conventions dont elles ne mesurent pas bien la portée. En effet, quand le pont est neuf, on a du mal à imaginer qu’un jour – lointain – des problèmes insurmontables pourront survenir.

La proposition de loi prévoit ensuite l’obligation de convention pour les nouveaux ouvrages : nous approuvons ce gage de sécurisation de contentieux ultérieurs.

Enfin, une telle disposition permet de pallier l’ignorance du sujet par les communes, la plupart méconnaissant en effet les charges qui pèsent sur elles.

En fait, le transfert de ces ouvrages d’art s’est opéré sans avoir été annoncé, sans que l’on en ait mesuré les conséquences et, bien entendu, sans les moyens correspondants. Ce sujet illustre les limites de l’exercice des transferts de compétences. En effet, la transformation de l’institution des Ponts et Chaussées en directions de l’équipement, et aujourd’hui, en directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement – les DREAL – est révélatrice de l’évolution ayant conduit l’État à renoncer à assumer des compétences dans le domaine du génie civil.

Comment penser sérieusement que les communes – de toute taille, mais particulièrement les plus petites – puissent avoir les compétences techniques pour assumer des ouvrages dont la technicité et l’importance rendent le suivi impossible ? Plus encore, comment imaginer que ces communes puissent porter financièrement lesdits ouvrages ?

Tout le monde sait que cela revient en réalité à déléguer l’entretien au privé, moyennant finances : les savoir-faire deviennent privés, quand les financements demeurent publics. Cela consiste également à transférer sur le dos des contribuables locaux ce qui était considéré auparavant comme relevant de l’intérêt général. Du point de vue des investissements, cela peut aussi conduire à « reconcentrer » les équipements sur des villes et des territoires qui en auront les moyens, et à laisser à l’abandon des pans entiers du pays.

Pour finir, chacun sait que, dans le cadre de la réforme des collectivités, et essentiellement de la fiscalité locale, les communes se trouvent amputées de ressources et disposent par là même de très faibles marges de manœuvre dans leurs investissements.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, les sénateurs et sénatrices du groupe CRC vous invitent à voter avec eux cette proposition de loi équilibrée et sécurisante, mais aussi à remettre en cause cette politique de rétractation de l’action publique de l’État qui ne dit pas son nom.

Retour en haut