Suppression des ordonnances bizones

Madame la ministre,

Né en 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le dispositif des ALD, les affections de longue durée, a été mis en place afin de permettre une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale des soins délivrés aux patients souffrant de l’une des « affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ».

Cette conception fonde la particularité de notre système de santé et de sécurité sociale, où « chacun contribue selon ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins », principe défendu par Ambroise Croizat.

Ce fondement est mis à mal, depuis plusieurs années, sous couvert d’objectifs conventionnels de maîtrise médicalisée des dépenses de santé. C’est ainsi notamment qu’a été créée, par arrêté du 23 décembre 1993, l’ordonnance dite « bizone », entrée en application en 1994.

Cette ordonnance bizone comporte deux zones distinctes : la partie haute est réservée aux soins en rapport avec l’ALD, pris en charge à 100 % ; la partie basse sert à la prescription des soins sans rapport avec l’ALD, remboursés aux taux habituels.

La mise en œuvre de ce nouveau protocole de soins a été accompagnée d’un renforcement de la vérification de la bonne distribution des prescriptions sur l’ordonnance bizone tant par les médecins que par les pharmaciens.

On a ainsi assisté à des dérives, avec un véritable dessaisissement des prescripteurs.
Le 14 décembre 2006, dans un point d’information mensuel sur les « contrôles et lutte contre les abus et les fraudes à l’assurance maladie », la Caisse nationale de l’assurance maladie se félicitait de sa politique : « Lancés fin 2005, plusieurs chantiers ont dépassé leurs objectifs en termes financiers comme en termes de dissuasion et de changements de comportements.
« Contrôles sur l’ordonnancier bizone : les dépenses de soins indûment prises en charge à 100 %.
« Seuls les soins en rapport avec une affection de longue durée peuvent être pris en charge à 100 %. […]
« Ces actions ont produit un effet dissuasif et les résultats montrent déjà un premier impact sur les comportements. »

S’il souscrit à l’objectif de réduction du déficit de notre système de protection sociale, le groupe CRC propose des mesures qui ne reposent d’aucune manière sur la culpabilisation des médecins et des usagers, rendus les uns et les autres responsables du déficit, alors même que ce prétendu appel à la coresponsabilité entraîne un important renoncement aux soins.

En outre, cette façon d’utiliser les médecins pour restreindre l’accessibilité aux soins les place dans un rapport de dépendance vis-à-vis des directions de caisses, dont les pouvoirs sont devenus absolus, et dans un rapport de défiance de la part des personnes soignées, qui ne savent plus si les motivations du médecin sont de leur apporter les meilleurs soins ou de faire faire des économies aux caisses de sécurité sociales en observant leurs restrictions.

Depuis plusieurs années, les parlementaires communistes proposent tout au contraire, en suggérant, dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale successifs, des recettes nouvelles en mesure de combler à hauteur de plusieurs milliards d’euros le déficit. La majorité de gauche aurait pu et peut encore faire siennes ces propositions.

En ce qui concerne les ordonnances bizones, de l’avis de nombreux professionnels de santé et de syndicats de médecins, cette disposition est un véritable casse-tête ou tout au moins un véritable cas de conscience, tant il est impossible d’établir scientifiquement certaines distinctions. L’arbitraire a donc toute sa place.

Le docteur Poupardin, médecin généraliste à Vitry-sur-Seine, est depuis plusieurs années le symbole, pour ne pas dire la victime, de ces ordonnances.

Considérant qu’il est parfois impossible de décider ce qui relève directement de l’ALD ou ce qui lui est lié, qu’on ne peut pas compartimenter la maladie ou les symptômes, mais qu’il faut au contraire les prendre dans leur globalité, il a fait le choix de placer sur la partie haute de l’ordonnance tous les médicaments des patients qu’il suivait dans le cadre d’une ALD.

Pour ma part, je ne prendrai qu’un seul exemple : comment ne pas considérer que le diabète a des effets désastreux sur la santé bucco-dentaire d’un patient et que, par conséquent, les soins dentaires relèvent de cette ALD ? Malheureusement, le docteur Poupardin vient d’être condamné par la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne.

La vraie question que ce praticien pose au travers de ce choix est l’accès aux soins pour toutes et tous, notamment pour les personnes aux revenus les plus modestes. En permettant à des patients d’être remboursés à 100 %, il estime leur avoir permis de se faire soigner.

Cette attitude conforme au serment d’Hippocrate interroge d’autant plus quand on connaît le pourcentage de renoncements aux soins, notamment du fait de difficultés financières.

Il y a deux poids et deux mesures ! On condamne à 4 000 euros d’amende ce médecin qui n’a fait qu’exercer en toute conscience son métier alors que quelques praticiens – une minorité – continuent de pratiquer des dépassements d’honoraires, le dernier accord avec le Gouvernement n’y ayant rien changé.

Madame la ministre, ma question est simple : comptez-vous supprimer les ordonnances bizones, soulageant, d’une part, les médecins de ce casse-tête administratif et offrant, d’autre part, aux malades d’ALD des conditions de remboursement leur permettant de se soigner correctement ?

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