La logique financière et commerciale prend aujourd’hui le pas sur le principe d’une gestion durable

La logique financière et commerciale prend aujourd'hui le pas sur le principe d'une gestion durable - Code forestier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi nous permet d’avoir un débat sur la forêt, ce dont nous nous réjouissons.

La forêt, c’est 16 millions d’hectares, soit 30 % du territoire métropolitain, sans compter la Guyane. Bien qu’elle soit majoritairement privée, puisque 3,5 millions de propriétaires possèdent 70 % des surfaces forestières, le sentiment qui domine est que la forêt est un bien commun.

C’est aussi un véritable patrimoine écologique. Après ma collègue Bernadette Bourzai, qui a évoqué la Corrèze, j’aimerais vous parler de l’Allier, qui abrite la plus grande et la plus belle chênaie d’Europe.

M. Philippe Leroy, rapporteur. C’est vrai !

Mme Mireille Schurch. Cette chênaie compte 50 espèces inventoriées. Je vous invite, mes chers collègues, à visiter la forêt de Tronçay. En termes de développement économique et de débouchés, la filière « chêne » est malheureusement mal en point ; il faudra prendre des mesures pour la sauver.

La forêt joue un rôle crucial dans le maintien de la biodiversité animale et végétale, la régulation du cycle de l’eau, la protection des sols et la préservation des grands équilibres naturels et climatiques, notamment au travers du stockage de carbone et de l’utilisation du bois comme source d’énergie. Elle contribue à la qualité du cadre de vie et à l’attractivité des territoires, et offre diverses aménités propices aux loisirs et à la découverte. La forêt, c’est aussi la filière bois qui fait travailler, cela a été dit, près de 430 000 personnes.

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’est pas, comme l’a souligné M. le rapporteur, « la pierre angulaire d’une vaste réforme de la politique forestière ». Il nous permet toutefois de mettre en avant les éléments essentiels que devra comporter la future loi sur la forêt.

Nous devrons en effet sortir de la logique simplement mercantile portée par les réformes successives de la législation forestière et revoir les outils de mobilisation forestière que sont par exemple les plans pluriannuels régionaux de développement forestier ou encore les stratégies locales de développement forestier. Ces outils sont certes nécessaires, mais ils ne respectent pas toujours le temps long de la forêt.

La politique forestière doit reposer sur l’idée selon laquelle la forêt n’est pas, et ne doit pas être, considérée comme un produit quelconque. Or, dans les faits, la logique financière et commerciale prend aujourd’hui le pas sur le principe d’une gestion durable et soutenable.

En effet, nous assistons à un phénomène massif de spéculation sur les terrains boisés ; par ailleurs, on observe un réel décalage, croissant, entre ce qu’offre la forêt française, principalement constituée de feuillus, et la demande, qui est quant à elle tournée vers les résineux.

La loi de modernisation de l’agriculture de 2010 a créé en cas de vente un droit de préférence au profit des propriétaires forestiers voisins dans l’objectif de lutter contre le morcellement de la forêt privée. La question du verrou des quatre hectares, par lot ou par parcelles, se pose et n’a pas encore été tranchée ; la future loi devra se pencher sur le sujet.

Cette loi est aujourd’hui largement contournée, ce qui permet à des groupes financiers, par exemple, de racheter des parcelles au prix fort pour ensuite rompre un écosystème fragile en couvrant ces parcelles de résineux en monoculture.

Cette exploitation a une incidence négative sur les infrastructures communales, qui ne peuvent faire face à la taille surdimensionnée des engins forestiers et des véhicules de transport.

On n’arrête pas de marteler que la France doit produire davantage de bois, que la filière bois doit être développée, que la forêt privée française est sous-exploitée, et ce depuis vingt-cinq ans. Nous sommes bien d’accord ! La filière bois est un véritable atout pour notre pays et nos territoires, mais, selon nous, il faut développer les filières courtes et le commerce de proximité.

La forêt française est majoritairement constituée de feuillus, alors que l’industrie du bois réclame actuellement de la matière résineuse pour accompagner l’essor des constructions en bois. Dès lors, il y a un véritable risque qu’une baisse systématique de l’âge d’exploitabilité des forêts soit mise en place, mais aussi qu’il soit porté atteinte à la biodiversité, avec une préférence systématique pour le résineux, plus rentable à court terme.

Ce que l’on voit se profiler, c’est une forêt qui réponde en tout point aux besoins ponctuels du marché. Ce devrait être, au contraire, l’industrie qui devrait s’adapter à la forêt pour la respecter, ce qui n’est absolument pas dans la logique de la législation actuelle.

C’est pourquoi il nous faut rechercher des débouchés diversifiés pour notre bois.

Nous en avions discuté, monsieur le rapporteur, il faudrait sans doute négocier avec Réseau ferré de France pour les traverses de chemins de fer. La promotion de la construction de maisons en bois, utilisant du bois français, peut également être envisagée. La forêt pourrait bien évidemment aussi recueillir les retombées financières de son immense réserve de carbone, sous forme des crédits carbone.

Il faudrait par ailleurs privilégier le maintien ou la création de sites de transformation au sein des territoires forestiers, ce qui entraînerait une réduction importante du transit des poids lourds et aurait un impact essentiel en termes de maintien de l’emploi et de maillage du territoire.

Enfin, si nous voulons une filière bois dépassant le stade de l’expérimentation, de la construction de-ci de-là de quelques éco-quartiers en bois, nous devrions commencer par la formation, du niveau V jusqu’à l’université, en passant par les lycées et les lycées professionnels. « Boostons » la recherche et donnons confiance aux propriétaires, aux exploitants et aux scieurs, qui hésitent, faute d’outils appropriés, à investir dans cette filière !

Monsieur le ministre, ces dernières années, l’ONF, l’Office national des forêts, a été saigné à blanc par la RGPP, alors que ses agents jouent un rôle essentiel auprès de la myriade de petits propriétaires. On les a souvent fait douter de leurs missions et de leur rôle d’acteurs publics. Les personnels sont entraînés dans une course aux objectifs commerciaux et à la productivité alors que les effectifs sont en diminution et qu’ils ont moins de temps pour l’entretien des voies et des pièces d’eau, pour la gestion et la transmission, pour l’accueil et la sensibilisation. Il en est résulté un mal-être qui s’est traduit par de trop nombreux suicides parmi les personnels, lesquels ne se reconnaissent plus dans les nouvelles priorités de l’ONF, éloignées des missions traditionnelles de cet établissement. Nous devons conforter l’office et rassurer ses agents.

Maintes fois proclamée, l’ambition française en faveur de la forêt se heurte à une réalité complexe et à des enjeux contradictoires. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut une grande loi d’avenir pour la forêt, distincte de la loi d’avenir pour l’agriculture, réunissant le plus largement possible tous les acteurs concernés, mais j’ai bien compris que cela ne serait pas possible.

Nous attendons les assises forestières que vous avez annoncées. Il sera également nécessaire de dresser un bilan de l’incidence des législations passées sur la forêt.

Il nous faudra aussi réfléchir à la mise en place d’un outil de regroupement forestier foncier efficace garantissant l’intérêt général. En ce sens, nous souhaitons non seulement élargir le droit de préemption des SAFER aux parcelles boisées, mais aussi conférer aux communes un tel droit afin de mettre un terme à une spéculation qui dépossède les acteurs locaux.

Il nous semble également indispensable de modifier le mode de représentation des SAFER afin de renforcer le poids des élus locaux et de la société civile.

Le texte dont nous avons à débattre aujourd’hui est un premier pas dans cette direction. Il était nécessaire de simplifier le code forestier, comme le demandaient de nombreux professionnels, et l’article 1er répond à ce souhait. De même, ce texte permet une meilleure articulation entre le code de procédure pénale et le code forestier.

Un autre point essentiel concerne les délais de paiement dans la filière, pour les ventes de bois en bloc et sur pied. Nous nous réjouissons de l’adoption de règles plus pertinentes et plus souples que celles qui sont prévues dans la loi de modernisation de l’économie.

Ce texte permet enfin de clarifier et de simplifier les procédures en cas d’existence d’un droit de préemption.

Nous n’avons pas déposé d’amendement. Nous voterons donc ce projet de loi, qui fera, je l’espère, l’objet d’un consensus.

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