Injustice sociale et inefficacité écologique

Injustice sociale et inefficacité écologique - Transition vers un système énergétique sobre (nouvelle lecture) (Département les Yvelines - https://www.flickr.com/photos/yvelines/)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques mois, le Sénat a rejeté en première lecture la proposition de loi instaurant un système de bonus-malus opposable à nos concitoyens dans leur consommation d’énergie. Ce n’est pas sans raison.

La motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui a été adoptée établissait clairement les motifs d’inconstitutionnalité du texte. Certains ont d’ailleurs été pris en compte par l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Je pense, par exemple, à la réécriture de l’article 1er, désormais plus précis, afin de tenir compte de la règle selon laquelle le législateur ne saurait abdiquer ses prérogatives au profit du pouvoir réglementaire dans les domaines qui relèvent de sa compétence.

Madame la ministre, vous avez également saisi le Conseil d’État pour avis sur la question de l’introduction des résidences secondaires dans le dispositif.

Cependant, d’autres griefs restent justifiés. Je pense ici aux cavaliers législatifs sur l’éolien. Je pense aussi au principe de clarté, de qualité et d’intelligibilité de la loi : ce ne sont pas là de simples mots, ce sont des exigences nécessaires. Ainsi, l’article 1er est un chef-d’œuvre de complexité que bien peu de ménages comprendront alors qu’il aura un impact direct sur leur quotidien.

Le bonus-malus remet en cause la péréquation tarifaire et le principe d’un tarif unique sur tout le territoire, fondement de notre service public.

M. André Reichardt. Oui !

Mme Mireille Schurch. Il apparaît encore contraire à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

M. André Reichardt. Exact !

Mme Mireille Schurch. Le dispositif fait peser une large partie des malus contraints sur les familles dépourvues des moyens de procéder aux travaux d’isolation de leur maison ou encore sur les locataires impuissants à faire engager ces mêmes travaux.

En réalité, si la proposition de loi a souvent changé de nom – d’abord « proposition de loi instaurant une tarification progressive de l’énergie », puis « proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre », enfin « proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes » –, son contenu, lui, est resté fidèle, à la lettre, au premier texte. C’est le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. François Brottes, qui l’affirme quand il déclare à propos de l’article 1er que « le principe général du dispositif est le même ».

Vous ne serez donc guère surprise, madame la ministre, que nous formulions ici les mêmes critiques invoquant l’injustice sociale et l’inefficacité écologique du système.

MM. André Reichardt et Jean-Claude Lenoir. Très bien !

Mme Mireille Schurch. D’autres pays ont, à partir de ce constat, abandonné la tarification progressive, l’Italie par exemple.

M. André Reichardt. Bien sûr !

Mme Mireille Schurch. Dans notre pays, les critiques de techniciens, d’associations, ou de syndicats se multiplient, qui dénoncent l’incapacité de la tarification progressive à répondre à la nécessaire sobriété énergétique et à garantir un droit à l’énergie pour tous.

Nos concitoyens ne gaspillent pas, le rapporteur l’a dit et nous le savons tous : beaucoup doivent d’ailleurs réduire leur confort pour faire face à leurs dépenses de chauffage, de logement et d’alimentation.

C’est pourquoi nous pensons qu’avant toute forme de sanction, car c’est bien de cela qu’il s’agit, il est important de sensibiliser les gens et de les informer. Ce doit être l’une des missions de ce que vous appelez le service public de la performance énergétique, qui devra être un service de proximité. La transition énergétique ne pourra réussir sans l’adhésion du plus grand nombre. Or le malus risque de cristalliser les incompréhensions et les oppositions, et donc de démobiliser nos concitoyens, alors que nous avons besoin de tout le monde !

Le bonus-malus a un autre inconvénient. Les ménages précaires sont en général aussi des mal-logés et font face à des dépenses contraintes incompressibles. C’est d’ailleurs une idée forte que l’on retrouve dans les avis du Conseil économique social et environnemental, le CESE. En effet, le CESE préconise avant tout une clarification de la notion de sobriété et insiste sur l’importance qu’il y a à procéder au préalable aux travaux d’isolation des logements.

M. Daniel Raoul, rapporteur. C’est vrai !

Mme Mireille Schurch. À ce titre, madame la ministre, porter la TVA à 10 % est un bien mauvais signal. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)

C’est parce qu’ils ont des revenus insuffisants et vivent dans des logements vétustes que certains de nos concitoyens sont touchés par la précarité. Dans cette situation, il leur est difficile, voire impossible de trouver seuls des solutions. Oui, il faut accompagner l’ensemble des ménages en créant un réel réseau d’aide et de conseil de proximité. Pour lancer cette dynamique vertueuse, il faut des moyens humains et financiers.

Aujourd’hui, mes chers collègues, je peux affirmer sans exagération que les réflexions dans le cadre d’institutions comme le CESE, les débats dans nos territoires ou à l’Assemblée nationale confortent tous nos arguments d’hier et rendent un peu plus incompréhensible l’entêtement à faire adopter cet article sur le bonus-malus.

Cette proposition de loi comporte deux types d’articles : d’une part, les articles urgents, qui ne peuvent plus attendre et qui font consensus, en tout cas à gauche ; d’autre part, les articles qui devraient être versés au débat citoyen sur la transition énergétique que vous avez engagé, madame la ministre.

Nous approuvons entièrement les articles relatifs à l’élargissement des tarifs sociaux, à l’interdiction des coupures et des résiliations de contrat ou encore au service public de la performance énergétique.

Je rappelle que les propositions que nous portons sont plus ambitieuses que celles que prévoit ce texte. Ainsi, nous souhaitons, comme le préconise d’ailleurs le CESE, que le montant des tarifs sociaux soit augmenté. Nous considérons qu’il faut réfléchir à la mise en place d’un chèque énergie plus global pour l’ensemble des modes de chauffage. De plus, l’énergie étant un bien vital, nous considérons qu’il est souhaitable d’étendre l’interdiction des coupures et des résiliations sur l’ensemble de l’année.

Il est également nécessaire de prévoir légalement un opérateur de dernier recours. M. le rapporteur affirme que c’est EDF. Madame la ministre, j’aimerais que vous confirmiez que cela figurera bien dans la loi.

Après le rejet de la proposition de loi par le Sénat en première lecture, les sénateurs du groupe CRC avaient appelé l’ensemble de la majorité sénatoriale à s’associer à leur proposition de loi qui reprenait ces articles pour répondre à l’urgence sociale en matière énergétique. En dépit de ce consensus, nous déplorons que vous n’ayez pas donné suite à cette initiative, madame la ministre, prenant ainsi la responsabilité du retard pris dans l’adoption de ces mesures. Vous l’avez très clairement expliqué : la méthode réglementaire ne va pas assez loin, il faut donc en passer par la loi.

Les autres articles de la proposition de loi devraient être versés, selon nous, au débat citoyen.

L’article 1er est toujours insatisfaisant. Comme cela a été souligné à l’Assemblée nationale, soit le malus est très bas et il est inefficace, soit il est très haut et il est injuste. C’est un peu ce que l’on nous propose aujourd’hui : adopter un dispositif qui ne devrait toucher personne, et certainement pas « alourdir les charges de maintenance du patrimoine », comme l’a affirmé le rapporteur à l’Assemblée nationale. En bref, même les châteaux échapperaient à son application !

Nous continuons à nous opposer au bonus-malus, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord nous estimons qu’il faut avant tout mettre en place un programme de rénovation des logements.

Ensuite, nous pensons que le service public de l’énergie ne doit pas être un service différencié en fonction du lieu d’habitation et, demain, de la distance par rapport au lieu de production de l’énergie. Pourquoi les personnes qui vivent à côté d’une centrale nucléaire ou près d’une ligne à haute tension ne pourraient-elles pas revendiquer un volume de base plus haut ?

M. Jean Besson. Très bon argument !

Mme Mireille Schurch. De plus, la question des locataires reste entière, car elle n’a pas trouvé de solution dans ce texte.

Enfin, comme le dénoncent les associations de consommateurs et les syndicats de l’énergie, on va pénaliser les personnes au regard de leur situation particulière, qu’elles soient inactives, qu’elles travaillent à domicile, qu’elles soient âgées ou malades. En bref, les problèmes de fond demeurent.

J’en viens à l’effacement. Nous y sommes évidemment favorables, mais pas dans n’importe quelles conditions. C’est pourquoi nous avons proposé à l’article 7 bis un amendement visant à garantir un service public de l’effacement et une juste prise en compte de l’usager.

Sur les éoliennes, nous déplorons la méthode qui consiste à imposer sans concertation des dispositions qui seront forcément mal comprises dans nos territoires. Si l’on supprime les zones de développement de l’éolien – ZDE –, il faut revoir l’ensemble de la palette des outils juridiques et les adapter à cette nouvelle situation. Sinon, nous risquons d’opposer les communes entre elles – cela se produit déjà – et de créer des situations conflictuelles préjudiciables au développement des énergies renouvelables, notamment à l’éolien. Il faut tranquilliser nos concitoyens pour que le débat territorial ait lieu dans la sérénité et la transparence.

M. André Reichardt. De toute façon, c’est un cavalier !

Mme Mireille Schurch. Enfin, il est important de dépasser la question du nombre de mâts pour l’obligation d’achat et, dans le respect des territoires, de trouver une limite en termes de puissance. Ce sujet est sensible et doit être intégré dans le débat national sur la transition énergétique afin que nos concitoyens s’en emparent, puisque c’est un problème qui recouvre des difficultés d’ordre technique, environnemental, juridique et politique.

Mes chers collègues, l’incitation à la maîtrise des consommations domestiques d’énergie de réseau, la suppression des zones de développement de l’éolien, la promotion de l’effacement, sont au cœur du débat sur la transition énergétique. Madame la ministre, vous avez rappelé la semaine dernière que la voix des citoyens était essentielle, qu’ils devaient s’emparer de ce débat. Laissons-leur cette opportunité, laissons-leur la parole pour construire avec eux cette transition et portons ensemble dès à présent les avancées sociales que nous offre ce texte.

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