« Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit »

« Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit » - Mariage des couples de personnes de même sexe : article premier (Bass_nroll - https://www.flickr.com/photos/bass_nroll/)

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est heureux, pour notre groupe, que nous soyons sur le point d’adopter cet article.

Depuis jeudi dernier, le code civil et Portalis ont beaucoup été cités dans cet hémicycle. Alors souvenons-nous aussi de ce code civil qui introduisait une distinction entre enfants légitimes et illégitimes, de ce code civil qui donnait tous les pouvoirs au chef de famille – l’homme, évidemment.

À la lecture de ces éléments, il apparaît heureusement que le code civil n’est pas immuable, le législateur ayant su le faire évoluer.

Alors, chers collègues, si vous ne souhaitez pas l’évolution proposée avec la création de l’article 143, c’est votre droit, mais rien n’empêche le législateur que nous sommes de voter cette évolution parce que – rappelons-le, y compris en faisant référence à Portalis – jamais ce que doit être la famille n’a été défini dans le code civil dans le sens prévu par certains de vos amendements.

Ont été convoqués Jaurès, les Lumières et même Thorez et Aragon ! N’est-ce pas assez cocasse de citer Aragon, cet enfant illégitime qui a souffert toute sa vie de cette situation, sa mère l’ayant fait passer pour son frère ? (Oh ! sur les travées de l’UMP.) Heureusement, nous avons depuis fait évoluer le code civil, sans changer la femme, ni l’homme.

Alors, s’il vous plaît, ayons les débats de notre temps, sans faire parler ceux qui sont traversés par d’autres débats que les nôtres.

Permettez-moi, à mon tour, de citer les références qui structurent ma pensée. Ce ne sera pas Marx, comme certains s’y sont essayés en commission, mais Gaston Bachelard, grand épistémologue, dont les lectures ont marqué ma formation.

Dans toute son œuvre, il a démontré qu’il n’y a aucune vérité absolue, que la raison n’est pas immuable et que seule la dialectique – elle manque quelque peu à nos débats depuis jeudi soir – nous fait avancer. Ainsi, comme il l’écrivait, « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».

Alors oui, nous voterons cet article car, je le dis et le redis, l’homme, au fil des décennies, s’est libéré du mariage. Avec cette loi, c’est le mariage qui se libère des règles discriminatoires instaurées par les hommes.

Enfin, nous avons beaucoup entendu parler des enfants. Ils doivent être protégés, c’est notre rôle. Il n’y a pas de droit à l’enfant, en effet. Mais vous ne pouvez pas nier le désir d’enfant, ni même décider qui, dans la société, a le droit ou non d’exprimer ce désir. Bien souvent, ce désir est généreux, mais il peut aussi être destructeur et cela, malheureusement, quelle que soit la nature du couple qui le développe.

En ce début de xxie siècle, nous savons qu’il peut y avoir une distinction entre géniteurs et parents. Cette césure est souvent douloureuse pour toutes les familles. Elle nous renvoie au plus profond de nous-mêmes, dès lors que nous devons expliquer cette distinction à un enfant qui a été désiré, attendu, chéri, protégé, éduqué et que l’on a vu grandir.

Ici encore, vos arguments ne peuvent être retenus : oui, le mensonge familial existe, c’est un fait, mais il n’est pas – et ne sera jamais – le monopole des couples homosexuels. C’est tout le contraire. Mme la ministre le rappelait hier soir, et nous y reviendrons pour les articles suivants.

Enfin, si, comme vous le dites, le mariage n’est fait que pour procréer, allez jusqu’au bout de votre idée : interdisez-le pour ceux dont ce n’est pas le but ou pour ceux qui, après bien des tentatives naturelles, n’y parviennent pas.

Nous vous avons écoutés et entendus longuement depuis jeudi. Honnêtement, vous ne pouvez plus dire qu’il n’y a pas eu de débat. Vous qui, à chaque fois que vous avez été au pouvoir, avez méprisé l’expression populaire (Protestations sur les travées de l’UMP.),…

M. Jean Bizet. C’est nul !

Mme Cécile Cukierman. …. vous qui, à l’heure de modifier l’article 11 de la Constitution, n’avez pas voulu que les débats de société soient soumis à référendum, vous voudriez vous présenter aujourd’hui comme les défenseurs de l’expression populaire ? Mais on frôle là l’hypocrisie, chers collègues ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Tous les arguments ont été donnés, tous ont été entendus : nous ne sommes pas d’accord. Vous n’avez pas cessé de nous rappeler ceux qui ont battu le pavé ces derniers jours. Mais permettez-moi, avant de voter cet article, de penser à toutes celles et à tous ceux qui ne disent rien mais attendent simplement de pouvoir entrer dans la normalité,…

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Et qui souffrent de ce qu’ils entendent !

Mme Cécile Cukierman. … et ils sont nombreux, y compris pour pouvoir participer avec nous à l’élaboration des réponses aux questions qui se poseront avec cette évolution.

Je conclurai en citant une dernière fois Gaston Bachelard : mes chers collègues, pour être heureux, il faut penser au bonheur des autres !

Nous voterons cet article.

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