Des dispositions particulièrement dangereuses pour les femmes salariées

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en plus de constituer un recul sans précédent pour les salariés, ce projet de loi renferme les motifs d’inconstitutionnalité qui viennent d’être exposés par Dominique Watrin. Aux yeux des membres du groupe CRC, il serait particulièrement regrettable que, tout en contribuant à réduire les droits des salariés, le Gouvernement encoure en outre, comme il l’a déjà fait avec la taxe à 75 %, la censure du Conseil constitutionnel.

Il y a même fort à parier que, demain, dans les entreprises confrontées à des plans sociaux, des organisations syndicales appartenant à des confédérations ayant pourtant signé l’accord national interprofessionnel, l’ANI, conseilleront à leurs adhérents de saisir la Cour de cassation afin de soulever une question prioritaire de constitutionnalité, en s’appuyant sur les motifs que Dominique Watrin a présentés.

Je voudrais compléter son argumentation en soulevant une autre question, à laquelle ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin et moi-même sommes particulièrement attachées : celle de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce projet de loi contient, notamment à son article 8, relatif aux temps partiels, des dispositions particulièrement dangereuses pour les femmes salariées. Il prévoyait à l’origine que, dans les entreprises couvertes par un accord de branche étendu, les salariés à temps partiels puissent conclure jusqu’à huit avenants par an afin de moduler à la hausse leurs horaires de travail.

Les travaux de l’Assemblée nationale ont conduit à des aménagements du dispositif. Le texte prévoit maintenant que, en cas d’accord, les quatre premiers avenants pourront donner lieu à la réalisation d’heures supplémentaires majorées de moins de 25 % (M. le ministre s’exclame.), tandis que les quatre suivants ne pourront être signés qu’à la condition que les heures effectuées dans le cadre de ces avenants soient majorées d’au moins 25 %. Cette modification salutaire est la bienvenue, mais il n’en demeure pas moins que, en adoptant, conformément à la demande que formule le MEDEF depuis des années, le droit à la modification permanente des conditions et du contrat de travail des salariés à temps partiels, on fragilise singulièrement le droit des salariés. On fait comme si les besoins de l’entreprise devaient en toutes circonstances primer sur les intérêts des salariés.

Comme l’a rappelé notre collègue Catherine Génisson, si les femmes représentent 47 % de la population active, elles représentent une bien plus grande part des salariés à contrat précaire, et notamment de ceux qui occupent des emplois à temps partiels. Au cours des dernières décennies, les contrats précaires se sont multipliés, en vertu de l’argument, que reprend d’ailleurs ce projet de loi, qu’il faut assouplir le droit du travail car il est trop rigide. Concentrés sur des emplois non délocalisables tout en étant fortement consommateurs d’une main-d’œuvre peu qualifiée et mal rémunérée, ces contrats sont principalement proposés aux femmes.

Au vu de ces éléments, que personne ne conteste, nous considérons que l’article 8 du projet de loi (M. le ministre s’entretient avec Mme la présidente de la commission des affaires sociales.) – vous ne semblez pas passionné par ce que je dis, monsieur le ministre – inflige un traitement différent, injustifié et disproportionné à une partie de la population. Selon la Cour de cassation, il s’agit d’une discrimination indirecte. Cette expression vise notamment les mesures qui affectent une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe donné. Lorsque 82 % des personnes auxquelles s’impose une mesure injuste sont des femmes, nous sommes bien face à une mesure discriminatoire.

De plus, le principe de la durée minimale de 24 heures hebdomadaires, qui constitue indéniablement une sécurité pour les salariés à temps partiels, puisqu’il leur assure une rémunération minimale, est plus que remis en cause par le projet de loi, qui prévoit que, par dérogation à ce principe, un accord collectif pourra décider l’annualisation de la durée de travail. Or l’annualisation constitue – ou peut constituer – une technique de contournement de la loi, comme le souligne Catherine Génisson dans son rapport. Qui plus est, le principe de la durée minimale de 24 heures hebdomadaires est également battu en brèche par ce que les partenaires sociaux ont appelé les « compléments d’heures », lesquels permettent de déroger par avenant à la durée légale de travail.

Mises bout à bout, ces exceptions cumulées constituent une atteinte permanente au droit des salariés à avoir une organisation du travail compatible avec le respect de leur vie privée et familiale. Nous ne pouvons accepter que le Sénat adopte en pleine connaissance de cause un projet de loi qui bafoue les règles fondamentales de notre République, selon lesquelles les femmes et les hommes naissent libres et égaux. C’est pourquoi, en accord avec les propos de Dominique Watrin, et en m’appuyant également sur les remarques formulées par Catherine Génisson au nom de la délégation aux droits de femmes, je vous invite à refuser l’accroissement des discriminations illégales qui pèsent sur les femmes. Et la meilleure façon de le faire, c’est de voter la motion que nous vous proposons.

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