Un acharnement injustifié

Un acharnement injustifié - Cinq de Roanne (Aloïs Moubax - https://www.pexels.com/fr-fr/@aloismoubax)

Mme Christiane Taubira

Garde des sceaux

Ministre de la Justice

13, place Vendôme

75001 PARIS

Madame la Ministre,

Ce matin, vers six heures, les forces de police sont venues arrêter à leur domicile les cinq syndicalistes roannais ayant, la veille, refuser de se soumettre à un prélèvement ADN. Seuls deux d’entre eux étant présents, ils ont été emmenés, mis en cellule et retenus en garde à vue plusieurs heures. Il aura fallu la mobilisation de nombreux salariés et de certains élus pour qu’ils soient enfin libérés.

Je tiens à condamner fermement ce recours à la force, alors qu’ils avaient la veille, rencontrés le sous-préfet de la Loire afin de lui exposer leur décision de refuser ce fichage génétique.

Ces salariés qui se sont mobilisés en 2010 contre la réforme des retraites Sarkozy, lutte d’ailleurs soutenue par le parti socialiste entre autre, ont comme seul tort d’avoir tagué sur la palissade de la sous-préfecture, le slogan rendu célèbre par M. Sarkozy et repris des milliers de fois dans tous les médias. Si un simple coup de « Karcher » a suffi à faire disparaître cette inscription, l’acharnement de la justice envers ces salariés, probablement interpellés sur dénonciation, continue plus de 3 ans après les faits.

En effet, faut-il rappeler que les plaintes déposées ont été très rapidement retirées après un échange entre les différents protagonistes. Tout serait rentré dans l’ordre s’il n’y avait eu sur Roanne un procureur qui décide de poursuivre les syndicalistes malgré ce retrait de plainte. Attitude pour le moins surprenante vue la banalité de l’affaire. C’est ainsi que ces 5 syndicalistes sont passés une première fois devant la justice. Le procureur trouvant les peines insuffisantes a décidé de faire appel et cette fois ils ont été reconnus coupables, ils n’ont d’ailleurs jamais nié les faits, mais sans aucune exécution de peine. Cela a dû paraître comme un camouflet au procureur qui a donc décidé de ficher génétiquement ces salariés, et les a fait convoqués le 22 mai au commissariat de Roanne pour le prélèvement génétique.

Faut-il que ce représentant de la justice soit particulièrement allergique aux syndicalistes pour qu’il envoie les forces de l’ordre le matin même pour les placer en garde à vue afin de les renvoyer devant le TGI le 5 novembre prochain. Une remise de la convocation par courrier recommandé ou par huissier de justice n’était-elle pas suffisante ?

Pour revenir sur le fond, est-il vraiment nécessaire de ficher génétiquement les militants syndicaux alors que ce fichage est à l’origine prévu pour les délinquants sexuels, les pédophiles, les criminels. Quelle image de la justice est aujourd’hui renvoyée dans une France démocratique, pays des droits de l’Homme et de la liberté d’expression d’autant que cela se passe sous un gouvernement socialiste ?

Cette situation montre l’urgence de donner un cap précis aux procureurs, chargés d’appliquer la politique pénale du gouvernement. En l’occurrence, cela passe par l’adoption rapide à l’assemblée Nationale de la Loi d’amnistie, votée par une majorité de gauche au Sénat le 27 février dernier dont l’examen tient à la seule inscription au débat par un groupe ou par le gouvernement. Cela passe également par la révision de l’article 706-56 du code de procédure pénale pour écarter du fichier ADN les militants syndicaux, associatifs, les salariés condamnés pour des faits liés à leur activité syndicale ou associative.

Vous évoquiez alors en séance votre souhait de ne plus recourir aux instructions individuelles, et vous connaissez mon attachement sur ce point il ne s’agit nullement par ce courrier de vous demander une exception fusse pour confirmer la règle. En revanche vous évoquiez aussi la rédaction d’une circulaire pour éviter cette confusion entre « l’action syndicale et revendicative et des délinquants sexuels ». Je regrette le choix fait par nos collègues députés sur l’issue de cette loi au sein de leur assemblée.

Indépendamment de ce choix, entendez-vous concrétiser une telle circulaire et en assurer sa diffusion ? Je pense que cet excès de zèle est rendu possible par l’absence d’une telle circulaire et qu’il est bien du rôle du pouvoir politique de donner les règles précises à l’exercice du travail des fonctionnaires ou des magistrats. Un tel vide est une défaillance du pouvoir politique ou pire un tel vide peut conforter un pouvoir politique qui ne serait pas responsable de telle ou telle décision et se déchargerait sur ses agents. Ne vous classant dans aucune de ces deux catégories je vous demande donc de bien vouloir clarifier vos attentions et ainsi de mettre fin je l’espère à l’acharnement dont sont victimes ses 5 citoyens.

En effet, pour revenir sur la situation spécifique de Roanne, il y a lieu de s’interroger sur les motivations et le zèle du procureur qui engendre par la disproportion des moyens et son acharnement au travers d’actions, certes légales, un trouble manifeste à l’ordre public, faisant à son corps défendant du 5 novembre prochain une grande journée d’action nationale pour les libertés syndicales.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’expression de mes salutations les meilleures.

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