Où est la volonté politique ?

Où est la volonté politique ? - Désindustrialisation

Tribune parue dans Initiatives n°84, juin 2013.

La poursuite du déclin industriel en Haute-Normandie offre une douloureuse illustration des ravages sur l’emploi et les perspectives stratégiques d’avenir dans notre pays. Dans cette région au patrimoine industriel marqué, l’INSEE recense ainsi plus de 20 000 disparitions d’emplois directs dans ce secteur clé entre 2002 et 2012 pour le seul département de Seine-Maritime (plus de 10.000 dans l’Eure). En dix années de gouvernements de droite, la vallée de la Seine a progressivement vu disparaitre ce qui faisait encore la fierté de ce territoire et participe à son identité même.

Pourtant l’hémorragie se poursuit depuis avec l’annonce de la fin de l’activité de la raffinerie de Pétroplus à Petit-Couronne, celle d’un plan social chez le transporteur Loheac à Grand-Couronne ou encore les inquiétudes que laissent planer le projet de vente par Total de l’usine d’engrais azotés GPN (ex Grande-Paroisse) au groupe autrichien Boréalis. Aux multiples friches existantes viennent s’ajouter chaque jour des menaces dans les secteurs de la chimie, de la pétrochimie, de la plasturgie, dans les industries de pointe, et en particulier pour les usines automobiles Renault à Cléon et à Sandouville, où la question des salariés retraités partis dans le cadre du Plan Volontariat n’est toujours pas réglée.

Dans le même temps, le projet de loi issu de l’accord dit de « sécurisation de l’emploi » a déjà laissé augurer des nouvelles marges de manœuvres dont n’hésiteront pas à se saisir les employeurs, vers plus de rentabilité, au détriment des salariés. On en retrouve la traduction concrète sur le site d’Europac à St-Etienne-du-Rouvray où la direction, dans le cadre d’une réorganisation des services, a voulu imposer à quatre salariés une mutation au Portugal pour 931 euros mensuel, sous peine de licenciement. Même constat chez Revima à Caudebec en Caux, avec la soudaine remise en cause du 14 ème mois et de la prime d’ancienneté, et la perspective de l’augmentation du temps de travail de deux heures par semaine, pour le même salaire. Une traduction de l’ANI avant l’heure ! La lutte a pour le moment permis aux salariés de maintenir ces acquis sociaux. Car ce qu’ils revendiquent à raison, c’est non pas que l’on contraigne leurs droits, mais qu’on leur donne du travail !

Pourtant, que penser de la gestion du dossier Pétroplus pour lequel le groupe CRC continue à en appeler à un engagement fort de l’Etat qui cesserait de choisir entre bateleur de foire et spectateur impuissant des ravages du libéralisme ! La création de la Banque publique d’investissement (BPI) laisse pour le moment les parlementaires sur leur faim. Dépourvue du statut d’établissement de crédit (c’est à dire de banque, tout simplement !), ce qui devait être le « bras armé » de l’Etat en matière industrielle n’est pour l’heure qu’un « boxeur manchot ». Et pourtant, seul 1 % des fonds de la BPI pourraient sauver Pétroplus, en assurant sa modernisation, permettant ainsi de produire 8 % des besoins de la France en pétrole raffiné. A défaut d’une solution dans les délais, il faut passer à l’étape suivante. Dans le cas de Pétroplus comme dans celui d’Arcelor ou de Florange, si aucune reprise n’est envisagée, il faut procéder à des nationalisations. Dans certains cas, il pourra s’agir de nationalisations temporaires, avant de retrouver un repreneur fiable et s’engageant à rester en France. Le coût de ces nationalisations est sans cesse invoqué. Mais à combien s’évaluent l’impact de la fermeture de l’usine, la dépollution du site, l’entretien de la friche, les formations proposées aux salariés licenciés et surtout l’impact sur les entreprises intervenantes, les commerces, les communes ?

Depuis les années 1980 et de plus en plus sensiblement ces dix dernières années, le territoire doit composer durablement avec ces vestiges de sites qui restent à dépolluer sur des centaines voire des milliers d’hectares, et qui marquent de manière indélébile les ravages des politiques libérales. Penser politique industrielle ne peut plus se concevoir sans une approche globale, intégrant tous les paramètres qui se posent. Si Petroplus ferme, c’est le port du Havre qui voit son trafic baisser, c’est la Cosmetic Valley de l’Eure qui a moins de pétrole raffiné ou c’est encore notre commerce extérieur qui se dégrade, nous obligeant à importer ces produits raffinés.11 milliards d’euros de déficit sur le pétrole raffiné, cela ne suffit pas encore ? Si l’on accepte de fermer ici, quelle sera la position de l’Etat quand Total voudra fermer demain deux nouveaux sites en France et alors qu’Exxon fait déjà peser le doute sur l’avenir de la raffinerie de Normandie ?

L’industrie crée notre richesse, crée nos emplois. Derrière chaque fermeture de site, ce sont autant d’emplois induits impactés dans la sous-traitance et la logistique, pour les commerces et dans les services. Les activités portuaires et la gare de triage de Sotteville-les-Rouen menacés en dépendent également, alors qu’ils nous offrent une alternative au tout camion. Des colloques Axe Seine aux débats publics Ligne Nouvelle Paris Normandie ne ressortent que de bonnes intentions, dans un contexte de concurrence internationale où les puissances extérieures n’attendent pas. Il faut très vite du concret et dans un premier temps légiférer pour garantir notre indépendance dans ces secteurs stratégiques. Nous avons, en concertation avec les salariés de l’industrie, élaboré des propositions en ce sens. Dans un autre registre, comment interpréter les annonces du ministre du Redressement productif qui remettent en cause le projet d’EPR à Penly, alors que la quasi-totalité des acteurs locaux comptent toujours sur l’implantation du réacteur de troisième génération pour redynamiser l’économie du territoire. Enfin, comment ne pas déceler par la disparition de formations dans l’enseignement professionnel et technique en lien avec ces professions, un très mauvais signe pour notre jeunesse et notre économie ?

Il importe de stopper l’hémorragie en soutenant une politique publique industrielle audacieuse et cohérente pour notre pays. L’état peut et doit aujourd’hui décider si la France est encore un pays où l’industrie a une importance. A l’heure où le Premier ministre avance l’idée de la vente de parts publiques dans des entreprises, nous réaffirmons pour notre part la priorité d’une présence du capital public dans l’industrie, gage de pérennité, d’avenir et d’indépendance nationale. Des propositions alternatives peuvent être portées, au lieu de cette politique qui va consister à privatiser des parts d’entreprises publiques pour en « nationaliser » d’autres en partie. La Banque publique d’investissement doit devenir un établissement de crédit de plein droit, capable de se refinancer auprès de la BCE pour proposer des emprunts à faible taux d’intérêt à l’ensemble des PME qui en ont besoin. Il faut contrôler l’usage que font les banquiers des 90 milliards d’euros d’encours du livret de développement durable (ex CODEVI) pour qu’ils servent effectivement la cause de l’emploi industriel. Et pourquoi ne pas proposer de créer un nouveau livret épargne industrie dont le taux serait le même que celui du livret A et qui permettrait de financer des emprunts à faible coût pour les entreprises, à raison des créations d’emploi ; des mises en formation et de la politique salariale induites par les investissements ainsi financés ?

Une autre volonté politique est nécessaire pour la relance de notre industrie, pour exiger des banques qu’elles abandonnent la spéculation pour l’emploi durable. Une volonté que l’action des élus de terrain, des salariés, de leurs syndicats, de la population peut imposer contre la simple logique du profit immédiat et des gestions à courte vue.

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