Création du registre international français, question préalable

par Thierry Foucaud

Après que la commission des Affaires économiques a refusé d’écouter les organisations syndicales, je lis dans les dépêches de ce jour que le trafic a été paralysé à Saint-Malo. Déjà hier, les bateaux bloquaient le port.

Aujourd’hui, marins, officiers et élèves de l’école de la marine de Saint- Malo ont manifesté pour dénoncer le R.I.F. et un appel à la grève a été lancé par six fédérations syndicales, C.G.T., C.F.D.T., C.F.T.C., F.O., C.G.C. et autonomes car le R.I.F. menace l’emploi et la sécurité. Ce matin, au Havre, plusieurs centaines de marins, officiers et élèves de l’école de la marine marchande ont protesté. Le R.I.F. est rejeté par toutes les organisations syndicales de marins et d’officiers. et soulève les plus grandes réserves de la part de l’Association française des capitaines de navires. Mais chacun sait que seul M. Braye détient la vérité dans cette Assemblée.

Chacun de nous détient une part de vérité, et mon groupe a le sens du dialogue…

Instruits par l’expérience du registre des terres australes et antarctiques, les syndicats stigmatisent cette fuite en avant, qui rejoint l’objectif du Médef et des armateurs : diminuer encore la part de la rémunération du travail dans les richesses créées. La masse salariale, qui représentait 69 % de la valeur ajoutée, en 1980, n’en représente plus que 57 % en 2002.

Cette proposition de loi vise donc à placer notre pays dans le vent du libéralisme, du capitalisme adopté, qui souffle au sein de l’Organisation mondiale du commerce, de l’Organisation maritime internationale (O.M.I.), comme au sein de la Communauté européenne.

L’exposé des motifs confirme cette orientation de l’Europe, préconisant une règle communautaire dévalorisante pour la marine marchande. C’est un véritable alignement par le bas, comme le dit M. Le Cam, alors que le « plus » en matière sociale devrait guider la politique de l’Union européenne, pour restaurer la dignité des métiers maritimes, pour élever les qualifications, pour garantir la sécurité, et pour préserver l’environnement.

Or, ce sont les travailleurs de la mer qui, en défendant leur niveau de vie et leur statut, sont porteurs de l’intérêt national et d’une politique européenne dynamique.

Avec le R.I.F., notre pavillon national, loin de se redresser, se terminait. Les navigants français seront encore moins nombreux qu’avec le registre Kerguelen : deux personnes seulement ! Les officiers de notre marine marchande s’expatrieront sous des pavillons de complaisance…

Si l’on en croit les promoteurs du R.I.F., notre pavillon national serait taillé dans un drap honorable, puisque la proposition de loi se réfère à la convention 179 de l’O.I.T. Les instruments de ratification de cette convention sont déposés sur le Bureau de l’Assemblée nationale, depuis un an, mais ils n’ont toujours pas été inscrits à son ordre du jour. Cette procédure n’aboutira donc pas en 2003.

Que trouve-t-on dans cette convention 179, dont l’objet est le recrutement et le placement des gens de mer ? Elle prétend « limiter le démembrement de la fonction d’armateur, qui contribuerait à rendre opaque la chaîne du transport maritime et à diluer les responsabilités ».

On y apprend que les services de recrutement et de placement disposeront d’un agrément de l’État.

Mais nous avons affaire, ici, à des États, parfois minuscules qui ont fait de la complaisance un fructueux commerce. N’ayons aucune illusion, selon l’article 2 « la prolifération excessive de ces placements privés ne devra pas être encouragée, et l’article 4 précise qu’il faut obliger « les services de recrutement et de placement à prendre des dispositions pour s’assurer, dans la mesure où cela est réalisable, que l’employeur a les moyens d’éviter que les gens de mer soient abandonnés dans un port étranger ».

Des officines localisées dans des États complaisants fournissent des équipages « clés en main » : quel crédit accorder à l’article 8 de la proposition de loi, qui précise qu’une entreprise de travail maritime doit être agréée par l’État où elle est établie ? C’est le démembrement de la fonction armatoriale.

Peut-on parler de contrat d’engagement lorsque, d’un côté se trouvent les marchands d’esclaves des temps modernes, et, de l’autre, des populations démunies, dans l’incapacité de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits, souvent sous la férule d’États bafouant la démocratie ?

L’article 11 stipule que les rémunérations ne pourront être inférieures aux montants des textes internationaux, mais la convention 180 de l’O.I.T. appelée, elle aussi à être rectifiée par le Parlement français, et qui porte sur la durée du travail des gens de mers et des effectifs des navires oublie les salaires. Voilà qui ouvre la possibilité, dans un contexte où des peuples entiers s’enfoncent dans la misère, de tirer les rémunérations vers le bas.

Tout ceci est indigne de notre pays, et ne laisse en rien présager le rebond de notre marine marchande. Prenez garde, mes Chers Collègues, si vous adoptez ce texte, à ne pas déclencher une tempête. On ne s’attaque pas impunément à des droits essentiels ! Les travailleurs portuaires viennent de vous le rappeler.

La France s’honorerait à prendre une initiative, au niveau européen, pour promouvoir une autre politique maritime. Le monde se globalise, et les échanges maritimes sont au cœur de l’avenir de l’humanité. L’Europe pourrait promouvoir une vie maritime fondée sur des coopérations, où les pays pauvres et émergents trouveraient des leviers de développement, et où les conditions sociales seraient tirées vers le haut.

Pour toutes ces raisons, le groupe C.R.C. a déposé une question préalable.

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