La politique de la ville est tributaire du cap gouvernemental, celui de l’austérité

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je dois d’abord vous dire combien nous sommes satisfaits d’évoquer enfin, dans cet hémicycle, la politique de la ville autrement que par la continuelle stigmatisation des banlieues et l’amalgame permanent entre pauvreté et délinquance qu’opérait gouvernement précédent, prônant la politique du kärcher et du couvre-feu...

M. Roland Courteau. C’est bien dit !

Mme Mireille Schurch. ... et affichant de fait un mépris incommensurable pour les classes populaires et leurs difficultés. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Sous l’ère Sarkozy, puisqu’il faut le citer, les crédits de la politique de la ville ont ainsi diminué de moitié, traduisant clairement la rupture du pacte républicain fondé sur les notions d’égalité et de solidarité.

Nous prenons donc comme un progrès, dix ans après la marche pour l’égalité, la volonté de ce gouvernement d’engager une véritable concertation – je vous en remercie, monsieur le ministre – et de reposer les bases de la politique de la ville, respectueuse des hommes et des femmes qui y vivent. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour la cohésion sociale et territoriale de notre pays.

En effet, nous ne pouvons accepter que, sur le territoire de la République, se créent des poches regroupant l’ensemble des handicaps – pauvreté, chômage, enclavement –, condamnant ainsi l’avenir de leurs habitants, soit pourtant plus de 6 millions de nos concitoyens.

Si donc nous prenons acte de cette volonté, nous restons cependant inquiets sur ses traductions concrètes dans le climat de rétraction globale de l’action publique. En effet, la politique de la ville ne peut prétendre à l’efficacité dans le cadre d’une politique « austéritaire » de droit commun, notamment en ce qui concerne les dotations aux collectivités, qui baisseront de 4,5 milliards d’euros sur trois ans.

En effet, alors que le projet de loi prévoit la mobilisation prioritaire des moyens de droit commun et leur meilleure articulation avec les dispositifs spécifiques, ce qui est une bonne chose, force est de reconnaître que ceux-ci sont en constante régression, notamment dans le cadre des politiques régaliennes de l’État. Ce sont les quartiers dits « sensibles » qui subissent encore le plus lourdement la rétraction de l’action publique, alors même que les inégalités territoriales et sociales s’accroissent.

Au fond, la politique de la ville ne peut trouver de traduction efficace et concrète si la priorité du Gouvernement n’est pas celle de l’emploi et du pouvoir d’achat, de l’intervention publique pour irriguer les territoires et permettre leur maillage par les services publics.

La politique de la ville est donc tributaire du cap gouvernemental, celui de l’austérité. Par conséquent, nous sommes inquiets.

Face à la pénurie des moyens, on se contente ainsi de concentrer les efforts et les moyens de l’État. On passerait ainsi de passer de 2 500 quartiers bénéficiant d’un CUCS à 1 300 quartiers prioritaires.

Seraient ainsi considérés comme prioritaires les quartiers où la moitié de la population perçoit moins de 60 % du revenu fiscal annuel médian, soit moins de 11 000 euros.

Si la pertinence d’un critère unique et d’un zonage unique semble faire consensus, la question résiduelle, mais ô combien sensible, est bien celle de la sortie du dispositif d’un certain nombre de quartiers et de communes. La définition de « territoire de veille » semble à ce titre particulièrement hypocrite, puisqu’en réalité, selon le dispositif même de ce projet de loi, ces territoires ne seront nullement accompagnés.

M. François Lamy, ministre délégué. Ce n’est pas vrai !

Mme Mireille Schurch. Nous en discuterons.

Ces territoires restent pourtant extrêmement fragiles. Nous craignons ainsi que des équilibres précaires ne soient rompus, mais vous nous rassurerez, monsieur le ministre.

À ce titre, nous souhaiterions connaître précisément la liste des collectivités qui relèveront demain de la politique de la ville. Il s’agit, à nos yeux, de la poursuite logique de la volonté de concertation et de transparence que vous avez affichée.

Dans le même esprit, les CUCS sont remplacés par des contrats de ville « à caractère unique et global » englobant l’ensemble des moyens dédiés à la politique de la ville. Leur portage serait confié de manière générale à l’échelon intercommunal.

Si nous ne pouvons pas contester, sur le principe, la pertinence de la dimension intercommunale du futur contrat de ville, permettant une meilleure prise en compte des enjeux de mixité et de déplacement, une telle démarche n’est envisageable que si les communes l’ont choisi au travers le transfert de compétences. Il faut alors respecter leur choix.

Nous estimons, pour notre part, qu’il convient de soutenir le rôle majeur de proximité du maire et des élus municipaux. Pour cette raison, nous avons fait adopter en commission un amendement reconnaissant ce rôle. En effet, le rôle de proximité du maire est lié à la nature même de la politique de la ville, qui exige un travail de dentellière alliant connaissance du tissu urbain et proximité avec les habitants.

Sur le fond, la volonté du Gouvernement de faire de l’intercommunalité le pivot de la politique de la ville s’insère dans la logique de textes comme le projet de loi sur les métropoles ou le projet de loi ALUR, lesquels visent à faire de l’intercommunalité l’échelon de toute politique d’aménagement et de logement. Nous estimons qu’une telle démarche porte directement atteinte à la démocratie locale, en dévitalisant les communes. C’est l’une de nos inquiétudes.

Attachés à l’exercice de la démocratie sous toutes ses formes, nous souscrivons pleinement à la participation accrue des habitants permise par ce projet de loi, sur le fondement de l’excellent rapport remis par Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache. Mais il ne suffit pas de créer les structures, encore faut-il les faire vivre.

S’il est dit que l’État apporte son concours au fonctionnement du conseil citoyen, comme à la maison des projets, nous serons vigilants sur la traduction concrète de cet engagement, notamment sur le plan financier.

Renforcer la participation des habitants a également un autre corollaire à nos yeux, celui de mieux associer les élus municipaux, qu’il ne s’agit pas d’oublier.

Au fond, nous pouvons adhérer à un certain nombre de dispositions de ce projet de loi, mais il manque toujours l’essentiel : le financement. Sur la future « dotation ville » notamment, nous pouvons légitimement considérer que c’est uniquement la dénomination de la dotation de développement urbain qui changera.

Par ailleurs, en intervenant sur la solidarité financière entre les communes, le projet de loi ne traite de la question de la péréquation que sous sa dimension horizontale. Or la péréquation verticale est en panne. C’est pourtant la priorité à nos yeux. C’est bien l’absence de péréquation verticale qui a conduit ces dernières années à l’aggravation des inégalités entre les territoires.

Ce manque de financement se révèle également dans l’approche du prochain plan national de renouvellement urbain dont nous nous félicitons que le principe ait été retenu.

En effet, alors que le programme national de rénovation urbaine avait mobilisé 44 milliards d’euros, dont 12 milliards d’euros de l’ANRU, le deuxième plan s’appuiera seulement sur 5 milliards financés par l’ANRU. C’est deux fois moins !

Aborder ce deuxième plan nécessite au préalable de s’accorder sur le bilan du PNRU. Nous estimons ainsi qu’il y a eu trop de démolitions sans réflexion préalable sur le devenir de ces quartiers. On dénombre aujourd’hui plus de logements démolis – 145 200 – que de logements construits – 139 000 –. Il faudrait inverser cette tendance et nous défendrons un amendement en ce sens.

Trop de chantiers ont conduit finalement, de manière plus ou moins préméditée, à exclure les anciens habitants et à repousser les populations plus loin, dans les villes adjacentes ou des territoires peu peuplés, territoires qui connaissent aujourd’hui les mêmes problématiques d’isolement et de paupérisation.

C’est donc aux logiques spéculatives et de spécialisation des territoires qu’il faut s’atteler.
Enfin, on a trop longtemps oublié le facteur humain, c’est-à-dire, tout simplement, celles et ceux qui vivaient dans ces quartiers. Pour cette raison, nous proposons, dès l’article 1er de ce texte, de revenir sur la dimension intrinsèquement humaine de cette politique.
Il existe par ailleurs un problème structurel concernant le financement du plan de renouvellement urbain. En effet, celui-ci repose principalement sur l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui, depuis la loi de 2009, est majoritairement financée par le 1 %, aujourd’hui à hauteur de 800 millions d’euros par an. Pourtant, à nos yeux, l’ANRU devrait être principalement financée par l’État.

Parce que les enjeux sont immenses, que la souffrance est grande dans ces territoires trop longtemps méprisés par la République, nous attendons beaucoup de ces débats – nous avons déjà longuement examiné le texte en commission, monsieur le rapporteur, et nous vous en remercions –, notamment des engagements, des modifications législatives et des avancées significatives.

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