Ce texte soustrait ces mineurs au droit commun au seul motif qu’ils sont étrangers

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette tout d’abord que sur un sujet de cette importance, qui concerne les conseils généraux, si peu de présidents de département soient présents cet après-midi dans l’hémicycle :…

M. Éric Doligé. Les meilleurs sont présents !

M. René-Paul Savary. Votre remarque vaut surtout pour les travées de gauche, monsieur Favier !

M. Philippe Bas. Regardez plutôt là ! (M. Philippe Bas désigne les travées de la gauche de l’hémicycle.)

M. Christian Favier. … notre assemblée en compte pourtant plus d’une trentaine, or je n’ai cru en reconnaître que cinq ou six !

Selon les chiffres de la protection judiciaire de la jeunesse, entre 8 000 et 9 000 mineurs isolés étrangers sont pris en charge par les départements au titre de leur mission de protection de l’enfance et de la jeunesse, et, pour ma part, je m’honore que notre pays assume pleinement ce devoir de solidarité.

Dans mon propre département, le Val-de-Marne, la prise en charge des 278 mineurs isolés étrangers qui y ont été dénombrés représente un coût global annuel de 16 millions d’euros, soit 18 % du budget total de l’aide sociale à l’enfance du département. Évidemment, pour un département qui fait face à des difficultés financières, il s’agit là d’une charge non négligeable.

Malgré ces difficultés, il faut souligner que de nombreux départements ont déployé des efforts notables pour développer une prise en charge adaptée ; il faut rappeler aussi que 8 000 mineurs isolés ne représentent que 4 % des enfants protégés par des mesures d’assistance éducative. Si cet effectif de 4 % ne semble a priori pas de nature à menacer le bon fonctionnement des services d’aide sociale à l’enfance, les difficultés financières globales rencontrées dans les départements conduisent certains à chercher des boucs émissaires. Et nous savons tous que ces jeunes immigrés sont des cibles faciles pour tous ceux qui n’hésitent pas, en période électorale, à tenir des propos populistes et démagogiques, frisant parfois la xénophobie.

Au vu des difficultés rencontrées par les départements, le texte qui nous est soumis prévoit le transfert à l’État des charges relatives aux mineurs isolés étrangers, sortant ainsi ces enfants du dispositif de droit commun sous le seul prétexte qu’ils sont de nationalité étrangère, oubliant au passage que la France est signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant.

On s’interroge sur la pertinence de la solution retenue dans cette proposition de loi, qui, en filigrane, par une interprétation erronée des normes internationales, ne fait qu’opérer un glissement de la protection de l’enfance vers le contrôle migratoire.

En effet, je ne ferai pas l’affront à mes collègues de leur rappeler qu’il y a une différence non négligeable entre des personnes étrangères et des personnes en situation irrégulière. Les mineurs isolés étrangers ne sont pas en « situation irrégulière » sur le territoire français, contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.

Ainsi, à moins d’opérer au sein des mineurs en difficulté une distinction plus que contestable entre les nationaux et les non-nationaux, notre législation doit prévoir des dispositions communes applicables à l’ensemble des mineurs en difficultés. Le Défenseur des droits a récemment rappelé que les mineurs isolés étrangers devaient « être considérés comme des enfants, bénéficiant à ce titre de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales applicables à cette population particulièrement vulnérable, avant d’être appréhendés comme étant de nationalité étrangère ».

Une fois la question de la compétence résolue, la proposition de loi nous amène néanmoins à nous interroger sur une problématique réelle. La question n’est pas de savoir comment exclure, elle est de savoir comment donner les moyens aux départements d’assumer seuls une charge très lourde en termes financiers, en termes de mobilisation du personnel socio-éducatif et de place dans les structures d’accueil.

La récente circulaire du ministère de la justice relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers opère une première avancée en accordant une contribution financière forfaitaire de l’État à la procédure d’évaluation des mineurs isolés étrangers limitée à cinq jours. En soulignant la responsabilité exclusive de l’État dans la procédure de vérification de la minorité du jeune, la circulaire apporte un éclaircissement attendu, notamment par les travailleurs sociaux, qui avaient largement exprimé leur préoccupation sur le fait qu’ils n’étaient pas eux-mêmes compétents pour procéder à cette vérification de minorité.

Ces cinq jours sont un début, certainement encore insuffisant, mais d’autres pistes peuvent être suivies pour aider les départements.

L’État pourrait améliorer son intervention en apportant par exemple un soutien à travers la mise en œuvre de formations adéquates accessibles aux professionnels de la protection de l’enfance et une meilleure mutualisation des compétences.

Une autre contribution étatique peut concerner l’accès au titre de séjour des jeunes étrangers à leur majorité. Depuis 2003, le personnel éducatif prend en charge l’accompagnement des mineurs isolés étrangers pour la préparation des dossiers de demande de titre de séjour ou de demande d’asile.

Sur ce point, nous rappellerons également la recommandation formulée par le Défenseur des droits en décembre 2012 : « Lorsque ce travail est mené à bien au prix d’un investissement humain et financier important des conseils généraux, que ces jeunes se sont inscrits dans un réel parcours d’intégration et qu’ils souhaitent rester sur le territoire national une fois sa majorité acquise, […] leurs demandes de titre de séjour doivent être examinées avec bienveillance. »

Face aux difficultés budgétaires rencontrées par les conseils généraux, et que personne évidemment ne nie, je crois, chers collègues, qu’il serait plus judicieux d’exiger du Gouvernement le respect des engagements pris par le Président de la République en octobre 2012 pour la compensation intégrale et pérenne des allocations individuelles de solidarité, telles que le revenu de solidarité active, le RSA, la prestation compensatoire du handicap, la PCH, ou l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, plutôt que de se focaliser sur ce volet très spécifique des mineurs isolés étrangers.

Vous le voyez, mes chers collègues, plutôt que l’exclusion ou la stigmatisation, d’autres moyens d’action existent.

En conséquence, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, qui réduit la problématique des mineurs isolés à une simple question de nationalité et qui ignore nos principes républicains d’égalité, de fraternité, de prise en charge des enfants qui nous sont confiés.

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