Une conception ambitieuse et moderne de la ruralité

Tribune parue dans le numéro 88 d’Initiatives.

Aujourd’hui, lorsqu’on aborde les petites communes rurales et la ruralité, il est souvent difficile d’échapper aux clichés. Accusée de ne devoir son salut qu’aux dotations, à la « perfusion nationale », la ruralité, considérée comme espace résiduel sans capacité de développement, serait ainsi condamnée « au vide et au vert ».

Or, les territoires ruraux ne sont ni des réserves foncières pour exfiltrer les populations dont on ne veut plus en ville, ni des terrains de jeu pour les citadins, et les gens qui y vivent ne sont pas des conservateurs nostalgiques de musée ou de patrimoine. Il serait incohérent que notre pays, le plus vaste de l’Union européenne, fasse l’impasse sur son espace rural. Pour nous le rural n’existe pas en opposition à l’espace urbain. Je partage en cela l’initiative et les travaux, que je reproduis partiellement ici, sur les « nouvelles ruralités » initiés dans le département de l’Allier par le président du Conseil général Jean Paul Dufrègne, rejoint aujourd’hui par de nombreux autres conseils généraux.

Dans des espaces faiblement métropolisés, nous avons choisi l’approche qui consiste à faire de la ruralité un marqueur de l’identité du territoire. « Une identité construite non pas par rapport à un schéma classique et binaire ville/campagne, mais au contraire comme un vecteur d’unité qui inscrit le territoire en complémentarité avec l’espace urbain. Autrement dit, en se présentant comme attractifs, porteurs de solidarité et de qualité de vie, les territoires ruraux prennent toute leur place dans l’espace national, dès lors que celui-ci n’est plus perçu comme binaire, mais comme un ensemble de territoires en réseaux, qui s’enrichissent mutuellement. »

C’est cette approche, résolument positive et offensive, que nous défendons au Sénat, convaincus que les campagnes ont aujourd’hui une réalité et un potentiel : économie verte et innovation sociale n’en sont que des exemples. Le projet « nouvelles ruralités » poursuit les principaux objectifs suivants :

 valoriser les atouts des territoires ruraux et apporter ainsi une contribution significative sinon décisive au redressement de la France,

 défendre un modèle de développement équilibré des territoires ruraux complémentaire à l’urbanité et à la métropolisation, sans opposer les uns aux autres,

 revendiquer pour ces territoires l’équité territoriale et le principe de solidarité nationale dans une démarche de véritable coopération,

 s’inscrire dans une république solidaire qui lutte contre les fractures territoriales et sociales.

C’est un projet ambitieux. Nous le déclinons dans nos travaux parlementaires en rappelant, que la ruralité doit être évoquée en termes de perspectives, de choix stratégiques d’organisation et de développement. Pour cela, l’aménagement du territoire doit être perçu dans un contexte global, par et pour les citoyens. En voici quelques exemples.

La baisse de population dans une commune fait chuter son niveau de DGF. Pourtant les besoins en services publics et en réseaux, le nombre de kilomètres de voirie à entretenir restent les mêmes. Ces exemples montrent qu’il est indispensable de revoir complètement la fiscalité locale pour que les élus n’aient pas le sentiment d’être obligés de « remplir l’espace » pour retrouver un peu de capacité financière. C’est le sens de notre proposition de loi pour « un traitement équilibré des territoires » par une réforme de la Dotation globale de fonctionnement.

C’est aussi le sens des amendements que nous portons dans les débats sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. En corollaire, la re-densification des centres-bourgs est indispensable pour améliorer le service public, optimiser les réseaux de communication et d’éclairage public, renforcer l’économie de l’habitat du point de vue thermique et de confort.

C’est une des raisons pour laquelle nous étions opposés au volet bonus-malus énergétique de la loi Brottes qui aurait pénalisé trop fortement les logements des zones rurales en habitat dispersé. De même il est essentiel d’œuvrer à la revitalisation commerciale et culturelle de ces centres.

Il est indispensable de préserver au plus près du territoire la capacité de son aménagement en préservant cette compétence essentielle des conseils municipaux. Ainsi, nous nous sommes fermement opposés au transfert automatique du PLU aux intercommunalités, contenu dans le projet de loi sur le logement et l’urbanisme rénové. Nous avons obtenu un compromis permettant aux communes qui le désirent de s’opposer au transfert automatique de cette compétence aux intercommunalités.

Il s’agit, et nous n’avons de cesse de le porter à travers nos amendements et propositions de loi, d’assurer les connexions ferroviaires et routières des agglomérations de taille moyenne avec le reste du territoire national. Il faut proposer des modalités de mobilité adaptées, sur des itinéraires alternatifs au réseau de transport en étoile et l’avenir des « TET », trains d’équilibre du territoire, est déterminant pour le maillage des petites villes pour un meilleur développement des atouts économiques des territoires, dans le respect de l’environnement.

Il faut favoriser les circuits courts dans tous les sens des termes, l’économie circulaire, l’économie sociale et solidaire, faciliter l’installation d’entreprises dans des zones spécialisées sur une chaîne de valeur (aménagement dynamique à des échelles SCOT et inter-SCOT). Dans cet esprit nous demandons de renforcer le fret ferroviaire à travers l’activité wagon isolé qui assure un maillage fin de l’ensemble du territoire. Au fond, l’ensemble des infrastructures et des services doit permettre de garantir un service universel de base à tout territoire, et cela peut être rendu possible malgré les contraintes européennes et un environnement très concurrentiel pour certains d’entre eux. La ruralité doit peser dans les négociations à venir et imposer d’autres règles, plus favorables et respectueuses de son identité.

Souhaitant donner aux territoires ruraux les moyens de leur liberté d’action, favoriser la créativité et le partenariat entre les territoires, ces « nouvelles ruralités » constituent autant de laboratoires de la démocratie locale pour agir contre l’isolement et le sentiment de relégation des populations. En effet, le développement de réseaux de solidarité nécessite de mieux associer élus et citoyens, de lier commune et associations locales, bref de renforcer la participation des habitants. C’est ce point essentiel à la vie démocratique que nous avons demandé d’inscrire dans le projet de loi de programmation sur la ville et la cohésion urbaine.

C’est aussi ce qu’il faudra écrire pour la ruralité. L’ensemble de ces objectifs peut être atteint, si l’on accepte de revenir à un principe simple qui a permis la construction de la France contemporaine : redonner de la légitimité à l’intervention publique lorsque le marché n’existe pas, ou lorsqu’il est défaillant ou simplement que ces objectifs sont hors marché. Le secteur public doit pouvoir s’affranchir de certaines règles, notamment communautaires, liées à la concurrence lorsque, par exemple, la faible densité de population nécessite d’organiser la continuité territoriale.

C’est le sens de ce qui au début du siècle portait le nom de « socialisme municipal », puis de « communisme municipal ». Aujourd’hui, l’intervention publique au profit des espaces ruraux se justifie, car elle représente une juste rémunération des services environnementaux rendus par les systèmes de production agricole et sylvicole (préservation des paysages, entretien des espaces, biodiversité notamment) recherchés par les ménages et à l’origine de l’attractivité renouvelée des espaces ruraux.

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