Les Français victimes d’un hold-up de 50 milliards

Tribune parue dans Initiatives n°89.

La première réaction qui vient à l’esprit, à l’annonce des mesures du plan d’austérité de Manuel Valls, c’est celle de se dire « Quel manque de courage politique ! Quelle facilité ! ». Car, voyez - vous, pour, selon l’expression en vigueur, « réaliser 50 Mds d’économies », que fait le Gouvernement ?

Tout simplement s’attaquer aux plus vulnérables, aux plus modestes, sans doute au seul motif qu’ils sont les plus nombreux ! Réduire les prestations sociales, geler la rémunération des fonctionnaires (ce qui ne manquera pas de donner des idées au patronat du privé pour continuer à brider les salaires), c’est tout simplement facile. Bien plus facile que de s’attaquer aux privilèges des grands groupes et des grandes fortunes qui n’ont cessé de s’enrichir depuis trente ans.

Quatre chiffres pour cela, d’une année l’autre, et de 1996 à 2012.En 1996, nous avions 49,5 milliards d’euros de déficit public au sens européen, et une dette publique de 712 Mds d’euros représentant 58 % du PIB. Nos entreprises payaient 61 Mds d’euros d’intérêts aux banques et versaient pour 65 Mds d’euros de dividendes à leurs actionnaires. En 2012, le déficit public atteint 98 Mds d’euros et la dette publique 1 838 Mds, soit 90 % du PIB. Nos entreprises paient 69 Mds d’euros d’intérêts bancaires, malgré le doublement de la production en valeur, mais surtout, versent 230 Mds d’euros à leurs actionnaires, près de quatre fois plus qu’en 1996. En France, chaque salarié travaille une journée par semaine pour rémunérer les actionnaires de son entreprise. Ce sont ces réalités qu’il convient de garder à l’esprit, en toile de fond d’une société et d’une économie où la finance prime sur l’humain et le développement même de la société.

Alors, quelques mots sur les prétendues « économies » que l’on entend faire « porter » par les élus locaux. Deux tiers des élus locaux sont des bénévoles, ce qui montre la réalité des coûts de fonctionnement des assemblées locales. Quand le plus obscur conseil d’administration d’une entreprise privée se réunit, on verse des jetons de présence. Qu’en est – il du fameux « mille feuilles » territorial ?

Quand ma ville, située en bord de Seine, la communauté urbaine de Rouen, le département de Seine Maritime, la Région Haute Normandie et même l’Etat mettent de l’argent dans une manifestation comme la « Grande Armada », ce splendide rassemblement de bateaux à voiles venus du monde entier qui rappelle nos traditions maritimes, qu’y a-t-il d’anormal à cela ? Qui peut me dire qu’aucune des collectivités concernées n’a intérêt à prendre part aux frais d’organisation d’une manifestation qui rencontre chaque fois un succès grandissant, dont les retombées économiques et touristiques sont spectaculaires ?

Et je pourrais, dans un autre ordre d’idées, prendre l’exemple du Festival d’Avignon, pour ce qu’il apporte à la région où il se déroule. Attention, ceci dit, l’essentiel de l’action publique locale est moins spectaculaire mais s’avère important pour nos compatriotes et concitoyens. Prenons le cas des départements. En 2013, sur 100 euros engagés par les départements, 50,70 euros vont à l’action sociale sous toutes ses formes, 7,70 euros vont à l’enseignement, 12,70 euros aux routes et aux opérations d’aménagement, 5,30 aux transports publics de voyageurs et, dans les faits, seulement 7,10 euros dans les services généraux. Ce qui comprend aussi notamment les coûts postaux ou téléphoniques. Dans ce cadre, où faire les économies ? Les régions, pour leur part, consacrent l’essentiel de leurs moyens à la formation et à l’apprentissage, aux lycées, aux transports ferroviaires de voyageurs qui font partie de leur champ de compétences privilégiés. Les 11 milliards d’économies de la facture présentée aux élus locaux par le Plan Valls, c’est tout simplement la moitié des dépenses d’administration générale de toutes les collectivités. Autant dire que les économies seront payées par les habitants sous toutes formes. Tarifs de la cantine, de la piscine intercommunale, baisse des subventions aux associations, hausse du prix des transports publics, fermeture de services publics jugés non rentables, abandon des politiques d’aménagement urbain, retards dans les investissements nouveaux, décalage des opérations sur l’habitat et le logement, augmentation probable des impôts locaux, voici ce que l’on risque de constater, selon les cas de figure, dans la vie quotidienne de nos collectivités.

L’austérité budgétaire imposée aux élus locaux, ce sera moins d’investissement public (pourtant financé à 70 % par les collectivités locales), de nouveaux retards dans la modernisation des transports publics, de notre réseau routier, dans le domaine de la transition énergétique, dans la rénovation des logements, entre autres exemples. Parce qu’il a choisi l’austérité, le gouvernement présente un projet de loi d’habilitation qui va repousser à dix ans la réalisation des équipements nécessaires pour rendre la ville accessible aux personnes en situation de handicap et/ou à mobilité réduite. Une telle démarche soumet de fait les droits de ces personnes, parfois nos amis, nos voisins, aux contraintes strictes des capacités financières de l’Etat ou des collectivités. On ne peut pas sacrifier les droits, inscrits dans la loi depuis 1975 dans ce cas et réaffirmés en 2005, sur l’autel d’une austérité budgétaire qui ne cherche qu’à complaire aux injonctions des marchés financiers.

Les collectivités locales et leurs habitants n’ont rien à gagner dans le Plan Valls, sinon de ressentir plus encore les injustices qui minent notre société.

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