Ce projet de loi nous satisfait dans sa globalité

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt tend à promouvoir un nouveau modèle agricole, qui réconcilierait productivité agricole et respect de l’environnement. Il met au cœur de l’agroécologie un outil intéressant, le groupement d’intérêt économique et environnemental, censé créer une véritable coopération entre les agriculteurs et faire de ces derniers les acteurs de cette nouvelle orientation de la politique agricole.

C’est dans cet esprit que nous devons travailler avec les agriculteurs pour mettre en œuvre des pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement, sans que ceux-ci aient l’impression de se voir imposer réglementation sur réglementation. Je pense ici, en particulier, à la profonde inquiétude relayée par de nombreux maires – au cours de ces dernières semaines, nous avons tous reçu de nombreux courriers et avons eu de nombreux rendez-vous à ce sujet – pour ce qui concerne la réglementation de l’usage des produits phytosanitaires. Je me félicite que la commission mixte paritaire ait pu apporter une réponse mesurée sur ce point, ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur. À cet égard, je suis d’accord avec les propos tenus par M. le ministre quant à l’écologie.

Concernant le nouvel outil qu’est le GIEE, nous avons accueilli favorablement l’élargissement de ce groupement à la dimension sociale. Nous avons tenu à préciser que les majorations d’aides dont peuvent profiter les membres des GIEE bénéficient en priorité aux exploitants agricoles, et nous avons élargi l’entraide agricole.

Nos propositions visant à permettre les échanges de semences entre agriculteurs et à protéger la pratique des semences de ferme n’ont pas été retenues, mais le dispositif reste positif, et nous le soutenons.

Le projet de loi tend aussi à réduire les impacts négatifs de l’agriculture sur les milieux naturels et la santé des hommes, par la diminution du recours aux intrants phytosanitaires et aux antibiotiques en élevage.

L’antibiorésistance est un sujet particulièrement préoccupant, comme cela a été rappelé. Il est nécessaire de rester très prudent, car l’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis pourrait aboutir à un alignement par le bas de la réglementation dans le domaine alimentaire. On sait d’ailleurs que l’antibiorésistance est aujourd’hui un phénomène plus marqué aux États-Unis qu’en Europe.

Ensuite, le projet de loi accorde – et c’est une excellente chose – une priorité à l’installation des jeunes, avec le contrat de génération destiné aux jeunes agriculteurs, la rénovation des aides à l’installation et la suppression de la surface minimum d’installation, remplacée par l’activité minimale d’assujettissement, qui devrait faciliter l’installation progressive, une mesure que nous avons soutenue.

Au cours des débats, nous avons insisté sur la nécessité de prendre en compte la situation des jeunes qui ne disposent pas des diplômes légalement requis pour exercer des activités agricoles.

Afin de faciliter l’accès aux terres agricoles et leur valorisation, le projet de loi a également conforté et étendu le droit de préemption des SAFER. Nous avons souligné le rôle des banques, notamment du Crédit Agricole, pour accompagner les projets dans les territoires. C’est un véritable sujet, qui n’a finalement pas été abordé dans ce texte.

Nous avons évoqué le problème du traitement des déchets, notamment ceux du secteur du bâtiment et des travaux publics. Là encore, il faut être particulièrement vigilant sur les pratiques d’enfouissement ou de dépôt de ces déchets sur les terres agricoles, au détriment du potentiel agronomique, mais également, plus largement, en raison des risques de pollution.

S’agissant du volet consacré à la forêt française, il aurait été souhaitable – nous l’avions indiqué – qu’un projet de loi indépendant y soit consacré. Cependant, ce texte apporte des réponses intéressantes au problème du morcellement de la forêt, notamment. La création des GIEEF est également une bonne mesure.

En revanche, nous n’avons pas encore trouvé les moyens de lutter contre l’affaiblissement de l’industrie de transformation du bois. C’est là l’une des nombreuses aberrations de l’économie de marché, en vertu de laquelle nous perdons des centaines d’emplois dans le secteur et nous exportons notre bois pour réimporter des meubles et du papier.

Sans revenir en détail sur toutes les dispositions contenues dans ce texte, j’indique que celles-ci nous satisfont dans leur grande majorité. Les quelques réserves que je formulerai ici sont inspirées par notre souhait que ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture soit suivi d’effets concrets dans nos territoires et qu’il produise des effets positifs dans la vie des agriculteurs.

D’une part, malgré les efforts de la France, la tendance de la politique agricole commune est de s’inscrire, à moyen terme, dans un objectif de libéralisation des échanges et de la réglementation du secteur. Ainsi, la fin des quotas sucriers aura des effets dévastateurs sur l’économie de la Réunion.

Nous avons également reconnu dans le projet de loi le vin comme faisant partie du patrimoine de la France. Pourtant, d’autres combats restent à mener si l’on veut effectivement protéger ce secteur essentiel pour la France face à l’organisation commune du marché vitivinicole, au sein de laquelle les pratiques viticoles et œnologiques tendent à être uniformisées et standardisées. Les premières victoires acquises ces dernières années ne doivent pas nous conduire à baisser la garde. Il faudra bien évidemment maintenir les droits de plantation pour éviter de soumettre la viticulture et les viticulteurs aux lois du marché libéral.

D’autre part, nos politiques restent fortement conditionnées par celles qui sont menées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que par celles qui sont discutées dans le cadre des accords de partenariats bilatéraux, tel celui du traité transatlantique que j’ai évoqué précédemment. Or, là encore, comment protéger notre élevage contre les exportations de viandes canadiennes vers l’Union européenne ? Le risque est fort de voir la filière viande déstabilisée : les exigences outre-Atlantique en termes de normes de production en matières environnementale, sanitaire et de bien-être animal sont bien inférieures aux nôtres et sont en inadéquation totale avec les exigences des consommateurs français et, plus largement, européens.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Enfin, nous avons insisté à plusieurs reprises au Sénat sur l’importance de la dimension sociale, notamment dans le cadre des groupements d’intérêt économique et environnemental.

Le texte n’apporte pas de réponse à la question de la dégradation du revenu agricole, et il n’apporte qu’une réponse imparfaite à la mauvaise répartition de la valeur ajoutée et au déséquilibre des relations commerciales. En effet, les prix d’achat de la production agricole subissent une pression constante à la baisse, alors que les coûts des consommations intermédiaires, eux, ne cessent d’augmenter, qu’il s’agisse du prix de l’énergie, des engrais ou des produits phytosanitaires. Cette double évolution a des conséquences très claires : le revenu agricole, tous secteurs confondus, n’augmente pas.

Pour toutes ces raisons, il paraît indispensable d’encadrer et de réglementer les marges et les pratiques de la grande distribution, avec la double ambition de fournir une alimentation de qualité accessible à tous et une rémunération digne du travail agricole pour l’ensemble des personnes de ce secteur. Nous espérons que le Gouvernement traitera ces questions à bras-le-corps, afin de trouver – enfin ! – des solutions.

Malgré ces craintes et parce que le texte promeut un modèle agricole que nous partageons, le groupe CRC votera le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

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