Les communes ne doivent pas s’évaporer dans les intercommunalités

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi, les auteurs du texte et Mme la rapporteur l’ayant déjà fait. Permettez-moi plutôt de rappeler quelques faits.

Cette proposition de loi fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 consécutive à l’adoption, en décembre 2012, d’une proposition de loi qui faisait elle-même suite à la loi de décembre 2010, plus particulièrement à l’article 3 de celle-ci, relatif aux modalités de répartition des délégués communautaires. Cette loi prévoyait également l’élargissement forcé des intercommunalités.

S’il ne s’agissait pas de la démocratie locale, on pourrait presque en sourire, en se disant que débute la saison 3 d’une série à grand succès intitulée : comment respecter la représentation de toutes les communes au sein d’une intercommunalité alors que la loi de 2010 adoptée par la droite ne s’inscrivait pas dans cette logique ?

Les sénateurs des groupes de gauche, et même au-delà, ont rejeté la réforme de décembre 2010 dans son ensemble, même s’ils ont porté des appréciations diverses sur les différents articles du texte, y compris ceux qui étaient relatifs à l’intercommunalité.

Pour ce qui concerne le groupe CRC, nous nous étions farouchement opposés aux fusions intercommunales à marche forcée. En effet, comment parler encore de coopération intercommunale si coopération il n’y a pas et si l’obligation est la règle ?

Le projet de loi qui devrait être débattu au Parlement en décembre et en janvier prochains ne laisse d’ailleurs pas de nous inquiéter. En effet, dans sa rédaction actuelle, il vise à amplifier la tendance à l’œuvre, qui nous semble être contraire au développement d’une démocratie locale efficace, au service des femmes et des hommes vivant dans les différents territoires.

En 2010, nous avions souligné que l’autoritarisme transpirait du texte finalement adopté. Si nous avions jugé plutôt positif l’assouplissement proposé par la Haute Assemblée concernant l’article 3 afin de maintenir les accords locaux amiables conclus à la majorité qualifiée, nous avions aussi fortement rejeté le principe de réduire le nombre de conseillers communautaires.

En 2012, la proposition de loi de M. Richard visait, dans le cadre de l’élargissement des périmètres des intercommunalités, à éviter une réduction verticale du nombre de représentants par commune. À l’époque, nous nous étions abstenus sur ce texte qui tendait à améliorer, sous certains aspects, la loi de décembre 2010, tout en en préservant la substantifique moelle. Nous nous inquiétions déjà du fait que ces modifications n’aient pour seul objet que de faciliter la création d’intercommunalités contraintes, jusqu’alors refusée par certaines communes en raison, notamment, de la faiblesse de leur représentation au sein des futurs conseils communautaires.

Malheureusement, pendant trois ans, la gauche sénatoriale n’a pu s’entendre pour revenir sur cet article et, plus largement, redonner du souffle et de la modernité à une véritable politique de décentralisation. Pis encore, la mise en place des gouvernements Valls I puis Valls II a même mis fin à tout espoir, avec la substitution d’un secrétariat d’État à la réforme territoriale à un ministère de la décentralisation. De décentralisation il n’est alors plus question dans les « éléments de langage » ! Cependant, ne restons pas tournés vers le passé.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, sachez d’ores et déjà que nous serons au rendez-vous pour poursuivre le débat concernant la place et la représentation des communes, petites ou grandes, lors de la discussion du projet de loi dit « NOTRe » portant nouvelle organisation territoriale de la République, même si celui-ci est loin, en l’état, d’être nôtre…

Pour en revenir à la discussion qui nous réunit aujourd’hui, force est de constater que la décision du Conseil constitutionnel a mis un coup d’arrêt à tout ce que nous qualifions d’« aménagement positif » à ce fameux article 3 de la loi de décembre 2010. Nous ne pouvons donc pas nous en satisfaire, bien au contraire.

Sans en rajouter sur les difficultés rencontrées au sein des nouvelles intercommunalités, je voudrais néanmoins les souligner : pour être élue d’un département où de nombreuses équipes municipales sont allées jusqu’à la démission il y a un an, je puis vous dire que les plaies restent vives, que le travail est encore compliqué, et je dis cela sans faire référence au changement de majorité politique intervenu lors du scrutin de mars dernier. L’adhésion forcée de certaines communes à de grandes intercommunalités rend les choses complexes au quotidien.

Devant cette situation, les sénateurs du groupe CRC ont toujours souhaité être constructifs, et ils le demeurent. À ce titre, nous ne pouvons pas nous opposer à une proposition de loi visant à réintroduire la faculté de composer l’organe délibérant des communautés d’agglomération ou de communes par accord entre les communes membres, dans des limites compatibles avec la jurisprudence constitutionnelle.

Toutefois, nous regrettons que cette proposition de loi prévoie la réintroduction de la faculté d’un accord in fine plus strictement contraint, conformément à la décision du Conseil constitutionnel. La place de la démocratie locale, c’est-à-dire la place de la décision prise par les représentants élus au suffrage universel pour mettre en œuvre les choix politiques opérés sur un périmètre donné, en ressort donc encore un peu plus réduite.

À cet égard, permettez-moi de rappeler la déclaration de l’Association des maires ruraux de France : « La commune, quelle qu’en soit la taille, fait l’objet d’une perte progressive de liberté d’action, qui remet en cause ce premier pilier de la démocratie. » La commune ne doit pas s’évaporer dans l’intercommunalité.

Dans tous les cas, les élus, qui ont recueilli la majorité des suffrages exprimés, doivent mettre en œuvre les politiques dans les intercommunalités auxquelles ils appartiennent aujourd’hui. Le groupe CRC votera ce texte, non parce qu’il accepte les choix dont découle la situation présente, mais pour éviter de corseter un peu plus encore la démocratie locale dans notre pays.

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