Cette convention favorise des schémas d’optimisation fiscale dont les deux pays parties prenantes pourraient être les perdants

Cette convention favorise des schémas d'optimisation fiscale dont les deux pays parties prenantes pourraient être les perdants - Accord fiscal avec la Chine (Pixabay)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos échanges commerciaux avec la République populaire de Chine demeurent relativement secondaires si l’on considère l’ensemble de notre commerce extérieur, mais s’avèrent déterminants quand il s’agit d’évoquer notre déficit commercial industriel, le déficit commercial de notre pays avec l’Empire du Milieu se montant à plus de 25 milliards d’euros.

La convention fiscale que nous examinons se situe donc à un point essentiel des relations entre la France et la Chine, celui où nos plus grandes entreprises sont appelées à investir dans le pays pour y tirer parti des potentialités que constitue l’émergence d’une « classe moyenne » dont l’importance numérique fait oublier qu’elle demeure minoritaire dans la population chinoise.

Sauf que 200 ou 250 millions de personnes susceptibles de vivre « à l’occidentale » dans un pays comme la Chine, cela vaut bien la conquête de quelques-uns des marchés de la zone euro.

Au demeurant, il serait temps que la France prenne quelque peu sa place sur le gigantesque marché chinois, surtout quand celui-ci arrive à maturité en bien des domaines et que les possibilités de croissance ne sont plus aussi élevées qu’il y a quelques années.

Toujours est-il que la convention fiscale d’aujourd’hui vise à « sécuriser », sur un plan juridique et fiscal, les opérations menées par l’ensemble des parties en présence et singulièrement les entreprises, principales intéressées.

Ce n’est sans doute que de manière quasi anecdotique que la convention trouvera à s’appliquer en matière d’impôt sur le revenu, vu les effectifs respectifs de Chinois émigrés en France et de Français émigrés en Chine. Au 31 décembre 2013, on comptait en effet un peu plus de 31 000 Français enregistrés dans nos consulats de ce pays.

Il semble donc que la convention fiscale dont nous débattons soit d’abord et avant tout destinée à nos entreprises. Nous disposons d’ailleurs de certaines positions et spécialités susceptibles d’intéresser le géant d’Asie, notamment quelques entreprises spécialisées dans la conception et la gestion de services publics urbains, du type Veolia ou Vinci, particulièrement intéressées par le grand projet de ville durable que la Chine entend promouvoir à Wuhan, agglomération dotée de la modeste population de 10,2 millions d’habitants environ, déjà fort accueillante pour les entreprises françaises, puisque des sociétés comme L’Oréal, Alstom, Pernod Ricard ou encore Total sont d’ores et déjà présentes sur place.

Chef-lieu de la province intérieure du Hubei, peuplée elle-même d’environ 60 millions d’habitants, Wuhan a donc établi des relations particulières avec la France que d’aucuns escomptent donc, dans la foulée de l’adoption de la convention fiscale, valoriser.

Wuhan présente la particularité d’être au carrefour entre la Chine du Nord et celle du Sud, tout en étant le premier port fluvial du pays.

On devine tout l’intérêt commercial et économique que certaines de nos entreprises pourraient avoir à intervenir sur des projets pour une « municipalité » d’une population égale à celle du Grand Paris, dans une région peuplée comme la France métropolitaine.

A contrario, les investissements chinois en France demeurent relativement réduits. Cela dit, les conquêtes de parts de marché par les entreprises chinoises continuent de se réaliser d’abord et avant tout à partir de bases nationales et après transfert de technologies venues d’ailleurs.

Nous aurions donc beaucoup à attendre de la conclusion de cette convention fiscale, mais celle-ci souffre néanmoins de quelques limites.

Premièrement, elle ne s’applique pas aux deux régions économiques spéciales que constituent aujourd’hui Hong Kong et Macao, où les règles fiscales sont différentes et fixées par d’autres conventions, ces territoires étant objectivement considérés comme de véritables paradis fiscaux à l’ancienne.

Cette convention nous semble préjudiciable en ce qu’elle favorise, par le biais des jeux d’écriture comptables pouvant être effectués en intercalant Hong Kong ou Macao entre la France et la Chine, des schémas d’optimisation fiscale dont les deux pays parties prenantes pourraient être les perdants.

J’en veux d’ailleurs pour preuve la définition retenue par la convention pour la notion d’établissement stable soumis à imposition.

La durée de vie minimale d’un établissement stable étant fixée à douze mois, cela laisse quelques possibilités pour voir apparaître et disparaître des entreprises éphémères qui pourront, dans certains cas, effectuer certaines tâches, notamment de sous-traitance, dans l’accomplissement de telle ou telle partie d’un contrat de plus grande ampleur. Ce serait une manière comme une autre de transposer des pratiques dont nous savons qu’elles sont cause, dans notre pays, de maintes pertes en termes de chiffre d’affaires, de produits fiscaux et de recettes sociales.

La plus grande vigilance nous semble donc indispensable sur la mise en œuvre de la présente convention fiscale.

La surchauffe des marchés financiers lors de l’été 2008, l’engagement des États dans la résolution de la crise bancaire, marquée entre autres par l’accroissement des dettes publiques, ont suscité une nouvelle sensibilité de l’opinion sur l’ensemble de ces questions.

Une sensibilité qui va de pair – et c’est logique – avec la sollicitation de notre propre vigilance, et notamment la nécessité de connaître de l’efficacité de la coopération fiscale internationale.

Nous avons déjà eu l’occasion, lors de débats de ce type, de nous opposer à l’adoption de certaines conventions fiscales dont les conditions de mise en œuvre n’étaient manifestement pas réunies à notre avis.

Dans le cas précis, nous sommes plutôt enclins à une abstention attentive et patiente pour pouvoir juger des effets de la convention en débat.

La concurrence que mène la Chine populaire avec certains pays européens sur certains produits ne doit pas nous induire en erreur.

Nous avons été largement contestés par les productions chinoises faute d’avoir vu nos entreprises investir suffisamment dans la recherche, se contentant bien souvent de rentes de situation qui se sont révélées insuffisantes pour faire face à l’adversité.

En outre, nos entreprises n’ont pas été les dernières à délocaliser leur production, et, parfois, nos importations portent aussi les trois couleurs du drapeau français…

Cependant, en conclusion de cette intervention, permettez-moi de souhaiter une fois encore que la coopération fiscale internationale, respectant le modèle que l’OCDE tente de faire valoir en l’espèce, fasse régulièrement l’objet d’une évaluation.

Plusieurs dizaines de milliards d’euros, qu’il s’agisse des impôts, des taxes comme des cotisations sociales, sont en jeu, et ce sont ceux qui manquent à la fois pour rétablir les comptes publics et pour repenser notre fiscalité et notre système de prélèvements obligatoires.

Ces sommes manquent d’ailleurs non pas seulement au budget de la France, mais aussi à celui de nombre de nos partenaires européens, sans parler de celui de l’Union européenne.

C’est dire l’importance de la détermination qui doit être la nôtre, au-delà du caractère formaliste de l’adoption – ou non – de telle ou telle convention fiscale.

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