Les communes promises à devenir des coquilles vides ?

Les communes promises à devenir des coquilles vides ? - Nouvelle organisation territoriale de la République (deuxième lecture)

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme de ce débat, déterminant pour l’avenir de nos institutions locales et, plus largement, pour celui de l’organisation de notre République, chacun aura noté que, dorénavant, sur toutes les travées, ou presque, cette opinion est largement partagée : cette réforme conduira inéluctablement à la disparition, à plus ou moins long terme, des communes.

En effet, la plupart des amendements qui ont été défendus ont posé la question de l’avenir de nos communes.

Sans remonter trop en arrière, lors de la discussion de la loi de 2010, le groupe CRC a été le seul à alerter sur ce danger, à dire sa crainte que, devenant obligatoires, les intercommunalités, avec des périmètres élargis et des compétences renforcées, soient transformées peu à peu en collectivités de plein exercice, en lieu et place des communes.

Depuis lors, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », et ce projet de loi ont confirmé ces menaces. Je l’ai souligné au cours de la discussion générale, l’Association des maires de France partage cette crainte avec de nombreuses autres associations d’élus.

Certes, madame la ministre, nous avons bien entendu vos dénégations, mais elles ne nous ont pas convaincus. Il faut dire que le texte que vous défendez et certaines dispositions que vous avez soutenues devant l’Assemblée nationale – par exemple l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires – montrent bien quel est votre objectif.

Les belles promesses d’une nouvelle étape de la décentralisation sont aujourd’hui enterrées. Certes, pendant quelques années encore, les communes continueront d’exister, mais elles seront devenues des coquilles vides, sans moyen financier et sans pouvoir. Il leur restera la démocratie, avez-vous précisé, monsieur le secrétaire d’État. Toutefois, de quelle démocratie parlez-vous ? D’une démocratie sans moyen d’agir ? Est-ce là votre conception de la démocratie ?

Les élus municipaux de proximité ne pourront plus agir sur la réalité ; ils pourront seulement intervenir auprès des élus communautaires. Ce faisant, ils deviendront de simples intermédiaires, au mieux des médiateurs locaux. Ils seront toujours au service de nos concitoyens, mais sans disposer des moyens de répondre à leurs demandes ou à leurs besoins.

Défendant nos communes, comme nous ne cessons de le faire depuis des années, nous ne soutenons pas pour autant une vision passéiste et archaïque de l’organisation locale de notre République, recroquevillée sur des structures dépassées.

Notre vison n’est pas celle d’une France du XIXe siècle. Elle est bien plutôt celle d’une France disposant de milliers de foyers démocratiques, d’une France républicaine, vivante, innovante, ancrée dans tous ses territoires, enracinée dans notre histoire et en prise directe avec la vie de nos concitoyens.

Oui, nous voulons une France décentralisée, s’appuyant sur des territoires d’action, au plus près des citoyens, leur permettant de s’engager dans la gestion locale, en milieu rural comme en milieu urbain, à l’écoute des attentes et des défis à relever, pour développer les services publics locaux, afin d’améliorer les conditions de vie de chacun, pour favoriser la mise en relation de tous et le vivre ensemble.
De grâce, cessez de considérer que ce plaidoyer en faveur des communes est archaïque ! Au contraire, défendre aujourd’hui les communes, c’est défendre l’ambition d’une République sociale, démocratique et solidaire, fondée, entre autres, sur le principe de subsidiarité constitutif du processus de décentralisation inscrit dans notre Constitution.

Oui, nous soutenons cette autre vision, ce renouveau de la décentralisation. Nous y voyons une solution de rechange aux politiques recentralisatrices, qui structurent ce texte et qui se traduisent par la concentration des pouvoirs locaux et la hiérarchisation de nos institutions locales, instituant de nouvelles tutelles, notamment régionales et métropolitaines.

Si, à l’occasion de cette explication de vote sur l’ensemble, nous insistons sur l’avenir de nos communes, c’est qu’il s’agit d’un point nodal pour l’avenir des autres collectivités territoriales. En effet, au travers de ces supracommunalités, ce sont aussi les départements qui sont visés. C’est particulièrement vrai avec les métropoles, à l’exemple de la métropole de Lyon, souvent citée en modèle, qui a absorbé une grande partie du département du Rhône.

Bientôt, la règle sera la suivante : là où la métropole passe, le département trépasse.

Concrètement, ce bouleversement de nos institutions locales, par l’émergence de ces nouvelles collectivités, ne porte malheureusement aucune ambition d’amélioration de l’action publique au service des citoyens, alors que ce devrait être la visée de toute nouvelle organisation.

Finalement, ce chambardement institutionnel n’a pour seule vocation que de réduire l’action publique locale, de réduire les services à nos concitoyens, aux seules fins de faire des économies comptables, incertaines et dangereuses pour l’avenir de notre développement économique et social, ainsi que pour notre modèle social et démocratique.

Votre volonté en ce domaine est si puissante que vous la mettez en œuvre par le biais institutionnel, en louvoyant pour éviter l’écueil de l’anti-constitutionnalité de vos propositions.

Vous la conduisez également en utilisant l’arme budgétaire, en réduisant les dotations aux collectivités territoriales, pour les contraindre à limiter et réduire leurs actions au service de la population. C’est cette réalité que nos concitoyens et leurs élus locaux subissent aujourd’hui. Elle les plonge d’ores et déjà dans de grandes difficultés, en fragilisant les services publics locaux. Elle fait peser de très graves menaces sur l’activité et l’emploi, au travers de la diminution de l’investissement public que l’austérité budgétaire génère.

Ces difficultés deviendront très vite insupportables, alors que la dégradation des conditions de vie d’un grand nombre de nos compatriotes appelle, au contraire, à renforcer l’intervention locale.
Pour toutes ces raisons, malgré quelques évolutions positives, notamment sur la métropole du Grand Paris, malgré le travail tout à fait remarquable des deux rapporteurs, nous voterons contre ce projet de loi. Nous le ferons avec regret, car nous souhaitons ardemment une autre réforme.

Retour en haut