Intervention sur l’accueil des Gens du voyage
Par Robert Bret / 3 octobre 2006Rapport sur la situation des Tziganes en France
Réalisé par le Centre Européen pour les droits des Roms
(ERRC est une ONG européenne basée à Budapest)
Suivi d’une table ronde sur la situation des Tziganes en PACA
Marseille - Conseil Régional - 29/09/06
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers régionaux,
Chers collègues,
Chers Amis,
J’apprécie votre invitation à participer à ce débat, opportun et judicieux, car l’impasse dans laquelle se trouve la politique d’accueil des gens du voyage impose une mise à plat des donnée actuelles, des objectifs à atteindre et des moyens dont nous disposons - ou que nous nous donnerons - pour parvenir à une situation décente et durable. Aussi je vous en remercie.
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Comment définir la politique d’accueil des gens du voyage ?
Une politique de faux espoirs, une inflation de décrets, de circulaires au fil du temps et des textes législatifs, pour contourner la Loi. Tel est le constat que nous pouvons dresser de la politique menée à l’égard de l’accueil des gens du voyage depuis 2000.
Parallèlement, une volonté certaine, de stigmatiser ces populations perdure dans le même temps.
Ainsi, la liberté d’aller et venir - a fortiori de s’arrêter - de ces populations est reconnue par la Constitution et leur accueil est réglementé depuis le 5 juillet 2000.
Pourtant, le bilan de ces 6 dernières années est fortement regrettable.
Ainsi, 92 schémas départementaux seraient toujours encours d’élaboration pour 96 départements concernés alors que depuis 2004 le délai accordé en matière d’aménagement d’aires permanentes d’accueil pour les communes de plus de 5000 habitants est expiré. Certes on ne peut nier les intentions, on peut même décompter les projets, les études. Mais concrètement ?
Concrètement, seuls 15 schémas ont étaient adoptés, soit 8000 places de créées quand il en faudrait 40 000.
Combien de communes ont été mises dans l’obligation de se mettre en conformité avec la loi ?
A ma connaissance, seulement 2 Préfets, dont celui de Savoie qui, face à l’incapacité des élus à appliquer cette loi, a réquisitionné un terrain communal pour permettre aux gens du voyage de séjourner du côté d’ALBERVILLE cet été. C’est peu !
Quant aux aires de grand passage/rassemblement, on peut en dénombrer une petite vingtaine alors que 246 seraient nécessaires. La situation est tellement critique, qu’on peine à l’évoquer.
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Force est de constater que ni la loi « Besson » de 1990, devant favoriser la mise en place de schémas départementaux et obliger toutes les communes de plus de 5000 habitants à réserver des terrains aménagés pour l’accueil des gens du voyage afin d’éviter les stationnements sauvages, ni celle du 5 juillet 2000 venue renforcer l’obligation de ces communes de créer des aires d’accueil en leur imposant cette fois-ci des délais et des sanctions en cas de non-respect de la loi n’ont permis d’atteindre une situation satisfaisante.
Ainsi, à défaut d’aires d’accueil en nombre suffisant, les stationnements illicites perdurent au grand dam des habitants, des élus et des gens du voyage eux-mêmes.
Mais comment faire respecter la loi par ceux qui constatent, et ne peuvent que déplorer année après année, que les Elus et les représentants de l’Etat ne la respectent pas eux-mêmes ? Il en va d’un vrai de problème de crédibilité. Quels devoirs leurs imposer quand leurs droits sont systématiquement bafoués ? De quel Etat de droit parle-t-on ?
L’actuel Gouvernement ne cesse de multiplier les actes d’une politique discriminatoire à leur encontre.
On les pointe du doigt, on les accuse de moult maux, on les rend responsables de l’insécurité croissante. Bref, on les retrouve dans de nombreux textes, jamais pour faire avancer leurs droits, loin s’en faut, mais toujours pour mieux les cataloguer comme « voleurs de poules ».
Bien plus, le gouvernement met un signe d’égalité entre « gens du voyage » et « délinquants potentiels » par une avalanche de textes de loi depuis juillet 2002.
Octroi d’un délai de 2 ans aux communes qui n’ont pas répondu à l’obligation d’accueil des gens du voyage via un amendement sur les Libertés Locales en 2005 ;
Face à l’inertie et aux blocages des municipalités concernant les structures d’accueil et les aires de grand passage, on se rend compte que l’État a préféré proroger de deux ans les délais légaux prévus par la loi afin de protéger les communes qui sont dans l’illégalité.
Nouvelles sanctions contre les stationnements irréguliers dans la loi de Sécurité Intérieure en 2003 ;
Le mode de vie des 400 000 gens du voyage a été criminalisé, puisque voyager, et donc stationner en groupes familiaux de plusieurs caravanes, s’assimile aujourd’hui à « s’installer en réunion », qualification juridique liée à l’accusation « d’association de malfaiteur ». Le simple fait d’être ensemble place donc les familles dans une situation de grave délinquance.
Et que dire de la disproportion entre ce délit et les sanctions qu’encourent ces familles mises hors la loi, le plus souvent en raison de l’absence de structures d’accueil dans les communes ?
– six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende ; suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans ; confiscation du véhicule tracteur. Outre l’absurdité de la suppression de mobilité et l’exigence d’un départ immédiat, ces sanctions sont particulièrement injustes et perverses. Elles atteignent la famille dans son mode de vie en la privant de son outil de travail, de ses revenus et de la sécurité fondamentale à laquelle toute famille a droit : cette liberté d’aller et venir qui est reconnue dans notre Constitution.
Le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, prétendit au cours du débat que ce fameux article 53 ne serait pas applicable tant que la commune n’aurait pas rempli ses obligations et que cette mesure devait inciter les communes à se mettre en conformité avec la loi. L’amendement 134 de M. HERISSON que je vais évoquer un peu plus loin nous prouve le contraire !
Taxe d’habitation de 25€ par m2 à partir du 1er janvier 2007 grâce à la Loi de Finances de 2006 ;
Mais si elles sont assujetties à la taxe d’habitation, les caravanes ne sont pas pour autant reconnues comme logement. Et non ! Par ce qu’autrement cela impliquerait que les résidences mobiles donnent droit au prêt pour l’habitat, aux prestations sociales pour le logement etc...
Circulaire du 3 août 2006 :
visant à réduire le nombre des équipements sanitaires, à supprimer le professionnalisme pour la conception des aménagements, à restreindre la durée de séjour à 5 mois et à renforcer les dispositifs de gestion et de gardiennage.
Plus récemment, en 1ère lecture du PJL Prévention de la Délinquance au Sénat :
Amendement 134 de M. HERISSON à l’article additionnel après l’article 12 visant à favoriser et faciliter la procédure d’évacuation lors de l’occupation illicite d’un terrain.
Là encore, au lieu de s’en prendre aux communes en infraction, l’amendement qui nous est proposé par Pierre Hérisson, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, a pour objet, une fois de plus, de désigner les gens du voyage comme coupables. De fait, cet amendement prend l’exact contre-pied de l’engagement de M. SARKOZY lors de l’examen du PJL sécurité intérieure.
Trop c’est trop !
D’autant que toutes ces mesures sont contreproductives alors que l’on sait que dans les communes qui ont une aire d’accueil, les relations entre élus, habitants et gens du voyage se sont améliorées et tout le monde parvient à cohabiter de façon harmonieuse.
On sait également, faut-il le rappeler, que les représentants des associations de gens du voyage, qui font preuve d’esprit de responsabilité, souhaitent seulement que leurs droits en tant que citoyens soient reconnus et respectés. Ils revendiquent le droit de stationner en toute quiétude, sur un terrain conforme, et que leurs enfants puissent être scolarisés en échange de quoi ils s’engagent à prendre à leur charge les frais de ramassage des ordures, d’eau et d’électricité.
A l’évidence, le vrai problème qui se pose, et qui explique les difficultés actuelles, trouve sa source dans la non réalisation des terrains d’accueil.
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Prenons l’exemple des bouches-du-Rhône.
On compte quelque 174 places réparties sur 5 aires alors que les besoins sont évalués de 1070 à 1470 places réparties sur 31 aires.
Alors qu’en avril, puis mai 2005, je me félicitais du rappel à l’ordre prononcé par le Tribunal Administratif de Marseille invitant la Préfecture et le Conseil Général des Bouches-du-Rhône à ne plus perdre de temps sur la question de la mise en place du schéma départemental d’accueil des gens du voyage, aucune mesure concrète n’a été prise depuis.
Certes, comme démontré par une étude engagée par le Conseil Général et l’Etat sur les besoins en matière d’aménagement d’aires d’accueil, qui met en évidence le caractère trop imprécis, voire inopérant du schéma départemental, les difficultés de sa mise en œuvre ne résultent pas seulement, loin s’en faut, que de la mauvaise volonté des Elus. Mais tout de même, qu’attend le Préfet pour se substituer aux communes qui ne se sont pas mises en conformité comme la loi l’y autorise ?
A Marseille, si nous pouvons nous féliciter des travaux de réaménagement et de mise en conformité de l’aire de Saint Menet, nous ne pouvons pour autant nous satisfaire de ce peu d’avancée, d’autant que l’opportunité du maintien de cette aire d’accueil sur ce terrain a été, maintes fois, mise en doute en référence à la circulaire du 5 juillet 2001 qui précise que :
« La localisation doit garantir le respect de règles d’hygiène et de sécurité des gens du voyage et éviter les effets de relégation. Ayant une vocation d’habitat, ces aires d’accueil doivent être situées au sein de zones adaptées à cette vocation c’est à dire des zones urbaines ou à proximité de celles-ci afin de permettre un accès aisé aux différents services urbains( équipements scolaires, éducatifs, sanitaires, sociaux, culturels ainsi qu’aux différents services spécialisés). »
On peut légitimement se demander s’il fallait se contenter de réhabiliter un terrain situé entre une autoroute et une voie de chemin de fer, laquelle sera triplée (si l’Etat tient ses engagements), le tout dans une zone classée SEVESO, qui plus est, est inondable, et dont le sol en stabilisé est complètement pollué, les voies de circulation sont défoncées et les clôtures sont devenues en partie inexistantes ?
J’ajoute qu’il est regrettable qu’aucune solution temporaire n’ait été prévue pour l’accueil des gens du voyage pendant la durée des travaux, qui auront perduré toute une année.
J’ajoute que la problématique du nombre de places est loin d’être résolue.
En effet, selon l’évaluation des besoins dans le cadre du schéma départemental, la Ville de Marseille est dans l’obligation de réaliser une troisième aire de passage sur Marseille ainsi qu’une aire de grand rassemblement.
C’est non seulement un devoir mais surtout une urgence de trouver un terrain permettant d’accueillir dignement ces populations, avec les équipements correspondants.
Or rien de tel n’est programmé.
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Pourtant, je reste persuadé qu’un simple effort de compréhension et de respect à l’égard du choix de vie des gens du voyage, une reconnaissance réelle et officielle de leur culture, de leur mode de vie, permettraient d’harmoniser des relations qui sont trop fréquemment conflictuelles car incomprises par les élus locaux. De nombreux exemples le prouvent.
J’attends donc de ce colloque que soient dégagées de nouvelles pistes de réflexion et d’action pour justement parvenir à cette harmonisation. La période électorale peut être un atout pour y parvenir.