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Affaires européennes

La ratification du traité de Lisbonne aura été une parodie de démocratie

Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009 -

Par / 27 octobre 2009

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen se tiendra dans la perspective de la mise en œuvre du traité de Lisbonne. Beaucoup ici s’en satisferont tant il aura fallu d’acharnement pour arriver à ce résultat.

M. le ministre des affaires étrangères et européennes y voit même un traité qui conduit « à une Europe plus démocratique et plus proche des citoyens ». Curieux traité, pourtant, qui prétend construire la démocratie tout en la piétinant dans son mode d’adoption. Inquiétante Europe qui se construit sans les citoyens, loin de leurs préoccupations.

M. Haenel nous rappelait le rejet du projet de traité constitutionnel européen par les électeurs français et néerlandais en 2005.

Or, loin de respecter le verdict des urnes, les principaux dirigeants européens ont décidé de le contourner en rédigeant une sorte de plagiat du projet de traité. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un expert en la matière qui décrivait ainsi le traité de Lisbonne, il y a exactement deux ans, jour pour jour : « Si l’on en vient maintenant au contenu, le résultat est que les propositions institutionnelles – les seules qui comptaient pour les conventionnels – se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs.[…] Ainsi l’expression “concurrence libre et non faussée”, qui figurait à l’article 2 du projet, est retirée à la demande du président Sarkozy, mais elle est reprise, à la requête des Britanniques, dans un protocole annexé au traité qui stipule que : “le marché intérieur, tel qu’il est défini à l’article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée” […] Quel est l’intérêt de cette subtile manœuvre ? D’abord et avant tout d’échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel. »

Vous avez certainement reconnu l’analyse de Valéry Giscard d’Estaing, parue dans le quotidien Le Monde ; et là, malheureusement, il ne s’agit pas d’un roman !

La ratification du traité de Lisbonne aura bien été une parodie de démocratie. Les chefs d’États, M. Sarkozy en tête, ont de concert choisi de passer outre les avis des peuples en ne les consultant pas. Ainsi, seule l’Irlande a invité ses électeurs à s’exprimer, sa constitution imposant cette démarche. Là encore, nous nous souvenons du résultat : les Irlandais ont rejeté le traité de Lisbonne, qui devait donc être caduc le 12 juin 2008.

Pourtant, les chefs d’État et de gouvernement ont de nouveau piétiné cette décision en poursuivant le processus de ratification et en faisant pression sur les Irlandais jusqu’à ce qu’ils revotent, puisqu’ils n’avaient pas fait le bon choix. Ainsi, les Irlandais ont voté une nouvelle fois le 2 octobre dernier pour accepter le traité de Lisbonne.

Les partisans du « oui » peuvent à ce titre remercier les médias et les puissances de l’argent, dont les grands patrons d’Intel et de Ryanair. La diabolisation du « non » et les mensonges sur les risques d’isolement de l’Irlande ont fini par payer.

Conception étrange du référendum où, finalement, nous n’aurions le choix qu’entre « oui » et « oui »…

Ce résultat est aussi la conséquence de bas arrangements en coulisses. Les artisans du traité, pour assurer son adoption, sont allés jusqu’à favoriser les mouvements anti-avortement irlandais. C’est ainsi que l’Union européenne s’implique courageusement pour l’évolution du droit des femmes ! (Mme Annie David s’exclame.)

Plus récemment, afin d’arracher la signature du président Klaus, on s’accorde sur une solution pour enterrer les revendications des Allemands expulsés des Sudètes entre 1945 et 1946, en prévoyant la non-application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en République tchèque.

Au regard de ces pratiques, la crise démocratique qui traverse l’Union européenne n’est pas prête d’être résolue.

Après le vote prétendument « raisonné » des Irlandais, le Conseil européen est donc, selon la volonté de la présidence suédoise, l’occasion d’accélérer la mise en œuvre du traité en se mettant d’accord, notamment, sur le nom du futur président stable du Conseil européen.

Je n’épiloguerai pas sur ce qui risque d’être un curieux casting pour décerner la couronne à la personnalité la plus européenne. Comme pour le reste, les critères se devront d’êtres souples. Nul doute que l’euro ou l’espace Schengen ne seront plus des symboles très importants. Or, si je ne suis pas un grand admirateur de ce que le député Axel Poniatowski a qualifié de « véritable cœur de l’Union européenne », il me semble qu’une Europe porteuse de paix pourrait être, elle, un symbole fort au moment où devrait se mettre en place le futur service européen d’action extérieure. Aussi, faire le choix d’un président du Conseil européen dont l’action en faveur de la paix dans le monde serait incontestable pourrait être un signe majeur, très positif à l’égard des habitants de notre planète.

Concernant la situation économique et sociale de l’Union, ce Conseil européen sera marqué une fois de plus par la faiblesse de la réponse de l’Union à la crise financière et économique, une réponse essentiellement marquée par l’action individuelle des États, souvent peu cohérente, rarement efficace.

Loin d’une sortie de crise, c’est la prolongation d’une situation économique atone qui se profile, dans laquelle une croissance molle cohabiterait avec un taux de chômage durablement élevé. Le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a déclaré que l’Union européenne ne connaîtrait au cours des dix prochaines années qu’une croissance annuelle moyenne de 1,5 %, tout au plus.

L’Europe se trouve donc dans une situation économique très difficile : non seulement la croissance ne sera pas au rendez-vous, mais le chômage va progresser et les déficits vont continuer à exploser. Dans ce contexte, la plupart des pays européens n’ont plus la capacité de dégager des marges de manœuvre pour répondre à la situation économique. Le tableau est donc extrêmement sombre pour l’Europe.

Or, pour conduire une véritable politique de sortie de crise, l’Union européenne – nous le disons régulièrement – doit agir au moins sur quatre leviers : un véritable budget avec des recettes propres qui pourraient reposer sur une taxation des mouvements de capitaux spéculatifs ; une véritable politique industrielle fondée avant tout sur la coopération ; une Banque centrale européenne, placée sous le contrôle du pouvoir politique, qui agisse efficacement sur l’utilisation du crédit en faveur de l’emploi et de la recherche ; une BCE qui agisse aussi sur l’équilibre monétaire international. L’Europe ne peut pas durablement s’offrir le luxe d’une monnaie surévaluée par rapport au dollar. La situation est, de ce point de vue aussi, très préoccupante : l’euro n’a jamais été aussi fort, le dollar aussi bas. Cela pénalise très lourdement l’économie européenne.

Enfin, nous avons besoin d’une Europe protectrice de ses citoyens, conduisant une véritable action pour l’amélioration des droits sociaux.

Le traité de Lisbonne, en l’espèce, n’apportera aucune arme à l’Union pour affronter la crise. C’est un outil au service des règles qui ont prévalu jusqu’à maintenant dans la construction européenne, celles de la financiarisation de l’économie et du dogme de la concurrence entre les hommes et les territoires.

La crise laitière en constitue une bonne illustration : c’est une crise mondiale de surproduction qui a entraîné un effondrement des prix payés aux producteurs depuis le printemps dernier. Alors que les producteurs manifestent depuis des semaines, dénonçant des prix du marché inférieurs aux coûts de production et demandant un renforcement des quotas, la réunion extraordinaire des ministres européens de l’agriculture, le 5 octobre dernier, a été « une réunion pour rien ». Il a simplement été décidé de créer une commission qui rendra son rapport en juin prochain. La revendication des organisations de producteurs réclamant un renforcement des quotas de production à la place de leur suppression, programmée pour 2015, n’a pas non plus été satisfaite. La mise en place d’un nouveau système visant à réguler le marché après la disparition des quotas laitiers n’est pas à l’ordre du jour, et nous le déplorons.

De manière plus générale, c’est tout le secteur agricole qui pâtit des conséquences désastreuses du capitalisme. L’Europe poursuit indéfectiblement sa route vers une plus grande libéralisation des échanges agricoles et l’absence d’une véritable politique des prix pour les producteurs.

Comment donner aux citoyens européens le sentiment d’appartenir à une même communauté lorsqu’on soutient une concurrence aussi féroce entre les membres de cette communauté ?

Les institutions européennes doivent au contraire abandonner les mécanismes libéraux en faillite aujourd’hui, au premier rang desquels la libre circulation des capitaux, le pacte de stabilité et la marchandisation de l’ensemble des activités humaines.

Face à la crise, il faut mettre en œuvre un vrai bouclier social à l’échelon européen. Celui-ci doit notamment permettre de s’opposer aux plans de licenciements comme aux délocalisations, d’augmenter les salaires, les minimas sociaux et les pensions. Il faut s’appuyer sur des services publics européens développés, soutenir une politique industrielle créatrice d’emplois de qualité et respectueuse de l’environnement.

À ce sujet, le sommet de Copenhague, en décembre prochain, doit donner une suite au protocole de Kyoto et instaurer ainsi un cadre international de lutte contre le changement climatique. Nous sommes très inquiets face à un possible échec de ce sommet si les États-Unis refusent de s’orienter résolument vers une économie décarbonée, donnant un signe très négatif à l’Inde ou à la Chine.

Or, pour parvenir à un accord suffisamment ambitieux à Copenhague, les pays industrialisés devront prendre des engagements contraignants pour leurs économies. Ils devront également apporter un soutien financier et technologique important aux pays en voie de développement, afin que ceux-ci puissent atteindre leurs propres objectifs, et ce au regard de la responsabilité historique que portent les pays industrialisés.

À ce titre, nous pensons que l’Union européenne doit jouer un rôle essentiel. À l’instar des aides financières, l’Union doit s’engager plus fortement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle doit s’engager à atteindre l’objectif de 30 % de réduction, tout en créant une taxe carbone à ses frontières pour éviter qu’au dumping social ne s’ajoute le dumping environnemental.

Cependant, combattre sérieusement le réchauffement climatique et préparer une révolution énergétique, c’est avant tout s’attaquer aux logiques de rentabilité qui caractérisent le capitalisme financier mondialisé. Nous devons, par exemple, proscrire tout marché des « droits à polluer » et lutter contre les spéculations qui les accompagnent.

Nous insistons sur la nécessité de politiques publiques fortes pour permettre de réduire les émissions de CO2, par exemple dans le bâtiment ou les transports publics.

Enfin, nous réaffirmons la nécessité de donner un caractère contraignant aux décisions qui pourraient être prises à Copenhague, afin que les paroles puissent enfin se transformer en actes. Parce que le bien commun de l’humanité qu’est notre planète ne peut attendre, nous ne pourrons nous satisfaire d’un simple contrat d’objectifs !

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