Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Prélèvements obligatoires

Par / 7 novembre 2002

par Marie-Claude Beaudeau

Monsieur le Président,
Messieurs les ministres,
Chers collègues,

Ce débat sur les prélèvements obligatoires a été institué par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Je rappelle que notre groupe CRC a seul voté contre ce texte qui a établi de nouvelles procédures budgétaires porteuses en elles-mêmes d’une logique de restriction de la dépense publique et de rigueur.

C’est bien le cas aussi des termes du débat d’aujourd’hui que nous devons d’ailleurs à un amendement sénatorial de nos collègues Marini et Descours qui ont introduit dans notre législation la notion de prélèvements obligatoires.
Ils posent, comme l’exprime ouvertement le rapport remis par le gouvernement, comme postulat de toute politique publique l’objectif technique de la réduction du niveau de ces « prélèvements ».

Implicitement, ils portent la diabolisation de l’impôt, de la cotisation sociale et de l’intervention publique selon le credo libéral du « moins d’Etat ».
En ce sens, ce débat a pour fonction de légitimer, en écho avec les objectifs démagogiques affichés par le Président de la République et le Premier ministre de baisse des impôts et des « charges sociales », les mesures contenues dans les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2003 qui renforcent l’injustice fiscale et sociale, mettent gravement en cause les services publics et la protection sociale, accroissent l’emprise des marchés financiers sur notre pays.

Aussi ne vous étonnerai-je pas, chers collègues, en vous disant que nous récusons les termes de ce débat et que nous combattons les conclusions unilatérales auxquelles la majorité et vous-mêmes, Messieurs les ministres, allez immanquablement aboutir pour justifier une politique de classe au service des possédants et du MEDEF.

Il n’est pas bien rigoureux sur un plan économique, permettez-moi de vous le faire remarquer, de considérer le niveau des prélèvements obligatoires comme un indicateur pertinent pour juger d’une politique budgétaire.
Cela n’a déjà pas de sens de discuter des recettes publiques sans prendre en considération leurs utilisations.
Par ailleurs, les comparaisons internationales des taux des prélèvements rapportés au PIB, utilisées systématiquement pour laisser entendre que nos concitoyens seraient écrasés d’impôts et de cotisations, n’ont guère de validité.
Tout dépend du périmètre des secteurs socialisés dans chaque pays.

On ne peut pas comparer par exemple le taux français avec celui des Etats-Unis où la protection sociale n’est pratiquement pas socialisée. Le cas des pays nordiques, où le taux de prélèvement se situe très au dessus de la France (55% en Suède), et où pourtant l’activité économique et la situation de l’emploi se tiennent bien montre également l’inanité de telles comparaisons.

Fondamentalement, vous laissez entendre que les impôts et cotisations - l’expression « prélèvements obligatoires » est loin d’être neutre- seraient de l’ordre de la confiscation, de la spoliation du revenu national ou pour reprendre les mots utilisés en 2001 par notre rapporteur général du « sacrifice demandé à l’économie et à nos concitoyens ».
Cette vision des choses est totalement erronée. Non, financer la santé, le logement, les retraites, la formation, les services publics ne relève pas du sacrifice.
Au contraire, l’intervention publique, permise par l’impôt et la cotisation, contribue de façon décisive à la création de richesses à la fois par sa fonction redistributive et par les services non marchands qu’elle fournit.
Les retraités, les familles, les allocataires des minima sociaux consomment, alimentent la croissance.

Une étude de l’OCDE de 1999 démontre même que le taux de prélèvements obligatoires après déduction de tous les transferts sociaux se situe à 15% du revenu d’un couple avec deux enfants en France, c’est à dire en dessous de la Grande Bretagne, 16,7%, de l’Allemagne, 20,9% et même des Etats-Unis 18,7%.
La qualité de nos services publics, des équipements de santé, de notre système de formation…, autant de prestations publiques financées par les prélèvements, constitue le socle de la création du revenu national et de la croissance.

Toutes les enquêtes auxquelles vous faites si souvent référence, mes chers collègues, y compris le rapport Charzat, insistent sur ce point : l’attractivité de la France repose avant tout sur l’atout que représentent ces services publics, le niveau de qualification des salariés, la qualité des infrastructures, le potentiel scientifique, le cadre de vie… Elle est loin de ne dépendre que d’une pression fiscale au demeurant plutôt plus faible que chez nos voisins en ce qui concerne le taux réel d’imposition des sociétés et des revenus, quand on prend la peine de considérer aussi les assiettes.
Aussi votre argumentation sur la nécessité primordiale de baisser les prélèvements obligatoires n’arrive pas à masquer les objectifs réels de sa politique de baisse des impôts et des cotisations sociales : un véritable choix de classe visant à diminuer toujours les contributions des hauts revenus, des entreprises et du capital et à marchandiser, c’est à dire à subordonner aux règles de la prédation financière, des domaines relevant aujourd’hui encore des services publics et sociaux, au prix d’un renforcement des inégalités, d’une dégradation de la qualité des services rendus, d’une fragilisation des conditions d’une croissance saine et durable du pays.
En ce qui nous concerne, nous estimons que le niveau des dépenses publiques et sociales constitue un gage d’égalité, de cohésion sociale et d’efficacité économique contre le gâchis et l’injustice de la loi du profit et qu’il revient à la Nation de définir les limites du domaine qu’elle considère plus juste et efficace de confier à la collectivité plutôt qu’au marché. Nous ferons tout pour que l’obsession dogmatique de la baisse des prélèvements obligatoires que vous martelez à nos concitoyens n’esquive pas les véritables choix de société que sont parmi d’autres la gratuité des études, la pérennité de la retraite par répartition contre les fonds de pension, l’avenir des services publics…

Chers collègues, puisque je vous sais friands de comparaisons internationales, permettez-moi d’attirer votre attention sur les dépenses de santé aux Etats-Unis.
Dans ce pays, où le taux de prélèvements est si bas, et où la santé est presqu’entièrement du ressort du secteur marchand, elles s’élèvent à 13,6% du PIB, record des pays de l’OCDE, contre 9,5% en France.
Malgré cela, les Etats-Unis arrivent en queue de peloton pour l’espérance de vie, au 24ème rang, la France occupant le 3ème, et sont aussi le pays où le plus d’habitants renoncent à se soigner faute de moyens. Cette situation a même fait écrire à un représentant de l’OMS dans un rapport daté de 1999 : « un Américain meurt plus tôt et passe plus de temps malade que n’importe quel autre individu des autres pays industrialisés ».

N’est-ce pas vers ce modèle que vous cherchez à entraîner notre pays ? Jacques Barrot, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, n’a-t-il pas vendu la mèche en déclarant qu’il convenait d’étudier à l’avenir un financement « volontaire » de la couverture maladie pour ce qui serait des affections graves nécessitant des soins longs et coûteux ?
« Volontaire », voilà un mot qui sonne peut-être mieux qu’ »obligatoire », mais qui est surtout synonyme d’injustice. La santé à deux vitesses que propose M.Barrot revient à exclure les ménages les plus modestes de certains soins et à les faire payer, plus cher, par ceux qui le peuvent.
Ces exemples illustrent les perspectives de société auxquelles conduit l’objectif de réduction du niveau des prélèvements obligatoires et du périmètre de l’intervention publique.
Les projets de loi de finance et de financements de la Sécurité sociale pour 2003 sont totalement emprunts de cette orientation.

La politique de rigueur, de restriction de la dépense publique, de sape des ressources légitimes de l’Etat et de la Sécurité sociale, d’accentuation de l’injustice fiscale qu’ils portent n’est pas nouvelle.
Mais le gouvernement actuel la pousse indéniablement plus loin.
Je me bornerai à constater que ces dernières années, les « fruits de la croissance » ont déjà été utilisés en priorité à la baisse des prélèvements notamment en faveur des entreprises, préparant la dégradation des comptes publics et le retour des déficits sociaux.
Pour 2003, vous choisissez d’accentuer ces déficits par des mesures qui vont toutes dans le sens d’un renforcement de l’injustice fiscale.

Comment ne pas noter la contradiction flagrante entre le discours qui fustige les déficits publics et la volonté de diminuer les prélèvements, c’est à dire de les creuser. Dans la conjoncture difficile du moment, le gouvernement dépasse cette contradiction en remettant en cause les critères du pacte de stabilité, ce qui n’est pas sans nous intéresser : vous montrez vous-mêmes, Messieurs les ministres que les sacro-saintes directives européennes ne sont pas intangibles.
A terme, nous ne doutons pas que vous comptez résoudre cette contradiction par la diminution de la dépense publique et la remise en cause des acquis sociaux, déjà largement amorcée.
Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur le projet de budget 2003.

Les mesures nouvelles avantagent les entreprises et les ménages aisés auxquels va profiter la nouvelle baisse de l’impôt sur le revenu pour 1,2 milliard d’euro, c’est à dire à ceux dont la propension à consommer et à soutenir la croissance est moindre.
Sur plusieurs années, on notera que le produit de l’IR sera tombé de 4,37% du PIB en 1993 à 3,38% en 2003 et le taux marginal de 65% en 1986 à 49%. Le seul impôt progressif et donc juste de notre fiscalité, dont il ne représente que 20% des recettes, notoirement moins que chez nos voisins, est ainsi progressivement restreint. En 2003, le coût cumulé de ses baisses votées depuis le budget 2001 dépassera les 8 milliards d’euros de manque à gagner pour le budget de l’Etat.
J’observe en même temps que le bénéfice attendu de la hausse des droits sur le tabac est de 1 milliard, montant qui indique bien l’absence d’effet dissuasif attendu sur le tabagisme.

Compte tenu de la priorité donnée aux dépenses d’armement (+11%) et de la compensation par le budget de l’Etat des nouvelles déductions de charges sociales patronales, le coût de ces baisses d’impôt sera supporté par la baisse des budgets sociaux les plus structurants : éducation, recherche, emploi…
Et encore, l’extrême optimisme de la prévision de croissance retenue pour 2003 (2,5% alors que les analystes attendent au mieux 2%) prépare de nouvelles coupes sombres en cours d’exécution.
Concernant la sécurité sociale, le PLFSS pour 2003, présenté comme un budget de « transition », est porteur de graves menaces. Vous continuez à réduire les cotisations sociales patronales pour près de 1 milliard d’euros toujours au nom de l’emploi, effet jamais clairement établi.

Surtout, vous voulez faire voter une loi qui prévoit un déficit considérable, 7,1 milliards d’euros, un véritable « trou », sans se préoccuper des recettes et sans revenir sur le FOREC. Pourtant, chers collègues, on se rappelle la manière dont vous aviez dénoncé, je vous cite, la « tuyauterie » du FOREC. L’an prochain, il atteindra plus de 17 milliards dont 12 au détriment des comptes de la Sécurité sociale correspondant aux déductions de cotisations patronales accordées depuis les 35 heures non compensées dans les faits.
Voilà une « transition » qui annonce de lourds sacrifices et une remise en cause de pans entiers de notre système de protection sociale comme le laissent craindre les propos récents de M.Barrot ou du Ministre M.Fillon.
Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur nos propositions en matière budgétaire qui s’opposent totalement à ces orientations désastreuses prétextées par la baisse des prélèvements.

Elles se structurent autour de trois axes : rétablir et renforcer le caractère redistributif des prélèvements. Dans ce sens, nous combattrons la baisse de l’impôt sur le revenu, demanderons l’extension de son assiette avec notamment la fin de l’avoir fiscal et des prélèvements libératoires. Nous proposerons également un rééquilibrage entre la fiscalité directe et la fiscalité indirecte qui frappe davantage les ménages les plus modestes avec notamment une baisse de la TVA et qui représente le double du produit de l’IR. Nous défendrons dans un même objectif de justice fiscale, la hausse et l’élargissement de l’assiette de l’ISF.
Concernant le financement de la Sécurité sociale, la défense de la place centrale de la cotisation sociale, part socialisée de la rémunération du travail, qui a fait la preuve de son efficacité économique, est primordiale pour nous. Nous demandons l’extinction des dispositifs de déduction des cotisations en faveur des entreprises, l’extension de l’assiette de prélèvement. A terme, nous envisageons sereinement la revalorisation de ses taux, que permet la hausse de la productivité et la croissance pour financer de nouveaux besoins par exemple de consolider notre système de retraite par répartition suivant les recommandations du Conseil d’orientation des retraites.
Notre deuxième axe d’intervention sera en effet d’exiger le maintien et l’extension du périmètre des secteurs économiques socialisés en partant des besoins et en adaptant les recettes, à l’opposé de toute « maîtrise comptable » préalable. Enfin nous serons porteurs d’une exigence de démocratisation des choix budgétaires notamment de la gestion des branches de la Sécurité sociale.

Vous l’aurez compris, Messieurs les Ministres, chers collègues, à la notion de prélèvements obligatoires pour désigner les impôts et les cotisations, nous opposons la notion de contribution solidaire aux charges communes de la Nation. Derrière ces mots, c’est toute une conception fondamentalement divergente de la chose publique, du bien commun, de la solidarité nationale que nous vous opposons, une profonde contradiction idéologique, un autre parti pris, celui des salariés, du plus grand nombre.

Les dernieres interventions

Finances Qui a peur d’un projet de loi de finances rectificative ?

Débat sur le programme de stabilité et l’orientation des finances publiques - Par / 2 mai 2024

Finances Les injustices de la solidarité fiscale pour les femmes

PPL Justice patrimoniale au sein de la famille - Par / 19 mars 2024

Finances Médecine scolaire : l’État doit assumer son rôle

Proposition de loi visant à PPL visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires - Par / 18 mars 2024

Finances Et pour 13 000 milliards de dollars

Rapport de la Cour des comptes 2024 - Par / 13 mars 2024

Finances Non à l’économie de guerre

Financement des entreprises de l’industrie de défense française - Par / 7 mars 2024

Finances Les Départements dans le collimateur

Débat sur les finances des Départements - Par / 7 mars 2024

Finances Que faire d’EDF ?

Proposition de loi proposition de loi visant à protéger visant à protéger EDF d’un démembrement - Par / 24 janvier 2024

Finances Un budget, deux visions de la société

Explication de vote sur le projet de loi de finances pour 2024 - Par / 12 décembre 2023

Finances La chute de la démographie a bon dos

Débat sur les crédits de l’enseignement supérieur - Par / 4 décembre 2023

Finances Le logement est en urgence humaine, sociale et économique

Vote des crédits pour la cohésion des territoires - Par / 1er décembre 2023

Finances Les lois de la République contre celles des actionnaires

Débat sur la partie recettes du projet de loi de finances pour 2024 - Par / 23 novembre 2023

Finances Le budget de l’État à l’aune de la vie de Chantal

Question préalable au projet de loi de finances 2024 - Par / 23 novembre 2023

Finances 30 millions d’euros pour l’aide alimentaire

Vote sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 - Par / 20 novembre 2023

Administration