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Les débats

Face à cette barbarie, la communauté internationale est restée trop longtemps muette

Violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés -

Par / 5 février 2014

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la fin de l’année dernière, la délégation que je préside s’est saisie de la question des violences sexuelles dont les femmes sont victimes du fait des conflits armés.

C’est pour moi une satisfaction particulière que cette séance nous donne l’occasion d’évoquer dans notre hémicycle ce sujet aussi grave qu’important et d’en débattre avec vous, madame la ministre.

Les évolutions récentes en Libye, en Syrie et en Centrafrique ont souligné la tragique et révoltante actualité du phénomène des viols de guerre et ont confirmé que, hélas, les violences sexuelles sont véritablement des armes de guerre, notamment quand elles servent à propager de manière intentionnelle le virus du sida.

Il nous a aussi semblé que le moment était venu de faire un bilan des conséquences du conflit en ex-Yougoslavie, pendant lequel le viol de guerre a été utilisé de manière systématique, dans un but d’épuration ethnique. À l’époque, voilà maintenant vingt ans, la communauté internationale était longtemps restée incrédule devant les témoignages de ces horreurs et devant ce déchaînement de barbarie...

C’est un lieu commun, les conflits armés affectent les femmes d’une manière particulière : ils rendent encore plus vulnérables les femmes enceintes ou chargées de jeunes enfants ; on sait aussi, entre autres conséquences des guerres, le fardeau que constitue pour les femmes la responsabilité de la subsistance de leurs proches dans un environnement de pénurie généralisée.

Il faut aussi souligner le défi particulier que représente le fait de porter les armes pour les femmes qui participent aux combats : cette difficulté est fréquemment rappelée à la délégation dans le cadre de la réflexion qu’elle conduit actuellement sur le rôle des femmes dans la Résistance contre l’occupant allemand, dans la perspective de l’organisation d’un colloque sur ce sujet le 27 mai prochain.

Mais parmi toutes les violences auxquelles les femmes sont confrontées du fait des guerres, les violences sexuelles occupent une place particulière, en raison tant de leur ampleur que de la barbarie inacceptable qui les sous-tend. Et le fait qu’elles soient aussi vieilles que les guerres, au point que, depuis l’enlèvement des Sabines, elles semblent faire partie de notre inconscient collectif, ne doit en aucun cas nous conduire à valider une vision fataliste d’un problème contre lequel on ne pourrait pas lutter...

Les statistiques, même imparfaites, sont éloquentes : entre 20 000 et 40 000 viols perpétrés en ex-Yougoslavie ; 400 000 viols commis au Kivu entre 2003 et 2008 ; plus de 10 000 patients par an soignés pour des pathologies liées aux viols par Médecins sans frontières depuis 2007.

Et pourtant, ces statistiques sont certainement très en-deçà de la réalité, compte tenu de toutes les victimes que la honte a contraintes au silence. Une raison supplémentaire pour ne pas rester indifférent !

La délégation a commencé ses travaux – cinq tables rondes et auditions – sur les violences sexuelles faites aux femmes lors de conflits armés à une date, le 21 novembre, proche de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes fixée au 25 novembre : ce symbole était important.

Tout aussi symbolique était le choix de la date de publication du rapport, le 18 décembre, à deux jours du vingtième anniversaire de la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 20 décembre 1993, qui reconnaît la particulière vulnérabilité des femmes dans les zones de conflits armés.

Ces travaux nous ont convaincus, s’il en était besoin, que la lutte contre les violences sexuelles subies pendant les conflits armés s’inscrit de manière générale dans la lutte contre toutes les violences faites aux femmes : or cette lutte, en temps de paix comme en temps de guerre, est un élément essentiel du combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans lequel notre délégation est tout particulièrement engagée.

L’une de nos intentions, lorsque nous avons décidé de lancer ces travaux, était de donner un signal fort de notre implication aux associations et ONG qui viennent en aide aux victimes, dans des conditions souvent périlleuses, dans les pays ravagés par des conflits.

Les témoignages que nous avons entendus ont tous été bouleversants, certains même insoutenables.

Ces violences sexuelles détruisent les victimes, à tout jamais marquées dans leur chair et dans leur esprit : c’est une évidence.

Je retiens notamment ces mots très perturbants d’une participante libyenne à notre première table ronde : « il faut voir le regard de ces femmes : c’est un regard mort », ou cette remarque de Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la francophonie, au retour d’un déplacement en République démocratique du Congo : « Les petites filles sont transformées en poupées de sang. »

Par-delà les témoignages intolérables de ces horreurs, ce qui nous a frappés, c’est l’ampleur des dévastations que causent ces violences, car elles affectent non seulement les victimes, mais aussi des familles entières, voire des villages, qui sont parfois contraints d’y assister, impuissants. L’objectif des violeurs n’est pas uniquement de détruire leurs victimes, c’est aussi d’humilier leurs proches et toute une communauté. Au point que l’on se demande si l’objectif n’est pas aussi d’avoir une incidence sur le rétablissement de la paix en rendant toute réconciliation impossible.

Comme l’ont relevé divers témoins et observateurs, les violences sexuelles n’épargnent pas les hommes ; il est cependant évident que les grossesses imposées aux femmes, contraintes de porter et d’élever « l’enfant de l’ennemi », de même, inversement, que les stérilisations forcées, sont une dimension spécifique de ces violences pour les femmes.

Enfin, la stigmatisation des victimes, bannies par leurs familles, voire menacées de mort par des proches soucieux de laver la souillure, ajoute une violence sociale insupportable aux épreuves physiques et morales qu’elles ont déjà subies.

Autre cause d’aggravation de ces souffrances : internet et les techniques modernes de communication, qui font peser sur les victimes un risque supplémentaire, celui que les images de leur humiliation, filmées sur les téléphones portables des bourreaux, soient rendues accessibles à tous et les privent de l’anonymat de leur silence.

Selon un témoin, la menace de divulguer ces images serait même devenue un élément de chantage contre les victimes et une source de revenus pour les criminels : c’est un martyre qui n’a pas de fin !

Un autre aspect extrêmement perturbant des violences sexuelles liées aux conflits armés est l’impunité des bourreaux, par contraste avec la souffrance infinie des victimes.

Or cette souffrance demeure longtemps après la fin du conflit, comme le montre le cas de l’ex-Yougoslavie où elle est toujours présente, et elle perdure sur tous les plans, physique, psychologique et aussi matériel, car ces femmes survivent souvent dans le plus grand dénuement...

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a constaté que la communauté internationale avait véritablement pris conscience du problème, si l’on en juge par la constitution au fil du temps d’un arsenal juridique complet, constitué par un ensemble de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU dites « Femmes, paix et sécurité ».

Permettez-moi de dire un mot du contenu de ces textes, plus particulièrement de la résolution 1325 du 31 octobre 2000, emblématique, en quelque sorte, de cette construction juridique.

Ces résolutions affirment la nécessité de protéger tout particulièrement, pendant les conflits armés, les victimes de ces violences sexuelles, femmes et petites filles.

Elles appellent à mettre en place – c’est particulièrement important, j’y reviendrai dans un instant – une formation spécifique des personnels participant aux opérations de maintien de la paix, prenant en compte les besoins des femmes et des enfants.

Le Conseil de sécurité de l’ONU recommande enfin aux États de mettre fin à l’impunité des coupables et d’exclure ces crimes des mesures d’amnistie.

Un autre aspect de ces résolutions est le rôle qu’elles reconnaissent aux femmes comme actrices à part entière des processus de paix, nous invitant donc à considérer les femmes certes comme des victimes, mais également comme des atouts pour la reconstruction de ces pays.

Plus récemment, au mois d’avril 2013, le G20 de Londres a adopté une déclaration rappelant le niveau de brutalité terrifiant atteint par les viols de guerre et appelant les participants à prévoir les financements appropriés pour soutenir non seulement les femmes, mais aussi les enfants victimes de ces viols.

Dans le même esprit, le traité sur le commerce des armes, ouvert à la signature le 3 juin 2013 – c’est tout récent – engage les États exportateurs à s’assurer que les armes classiques ne peuvent servir à commettre des actes de violence fondés sur le sexe ou des actes graves contre des femmes et des enfants.

L’adoption de cet ensemble juridique cohérent peut être perçue de deux manières.

On peut y voir un signe positif de la détermination de la communauté internationale à lutter contre le fléau des viols de guerre.

Mais on peut aussi y voir, et c’est moins rassurant, le signe de son impuissance, dont témoignent à la fois la poursuite sans fin de ces violences et le fait que leurs auteurs soient bien peu nombreux à avoir été punis...

Permettez-moi de m’attarder un instant, mes chers collègues, sur l’insupportable impunité des bourreaux.

Certes, et c’est là un motif de satisfaction, les viols systématiques, la prostitution contrainte, les grossesses imposées et la stérilisation forcée sont considérés par les statuts des juridictions internationales spécialisées comme des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Mais cette satisfaction reste à bien des égards théorique, en raison du faible nombre de personnes effectivement condamnées pour ces crimes. Dans ces conditions, comment peut-on espérer que la justice puisse contribuer à apaiser les victimes de ces horreurs et leur permettre de se reconstruire ?

J’en viens maintenant au plan national d’action instauré par la France pour assurer la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité.

Ce plan a été adopté en 2010 pour la période 2010-2013. La France a été, semble-t-il, plutôt en avance par rapport aux autres pays.

Le plan français comporte, entre autres mesures, le renforcement de la participation des femmes aux opérations de maintien de la paix et aux opérations de reconstruction. Cet axe passe par la nomination de femmes au sein de composantes civiles et militaires.

Dans le cadre de ce plan d’action, le ministère de la défense a mis en place un programme de formation des personnels extrêmement efficace.

Ses représentants, dont je salue l’implication, ont exposé à la délégation l’intérêt de faire participer des femmes aux opérations de maintien de la paix, par exemple dans les pays où il est difficile aux hommes, a fortiori étrangers, d’entrer en contact avec des femmes, même dans un contexte médical. Parmi les effets du facteur « genre » dans la planification des opérations a aussi été citée la réduction des violences liée tout simplement – encore fallait-il y penser ! – au changement d’horaire des patrouilles pour privilégier leur passage au moment où les femmes et les enfants circulaient.

Le plan d’action français 2010-2013 est venu à échéance à la fin de l’année dernière et je pense, madame la ministre, que vous allez nous dire quel bilan peut en être tiré et comment se présente le suivant.

Un rapport annuel aux deux commissions parlementaires compétentes en matière de défense était prévu par ce plan. Je suggère que la présentation au Parlement du prochain plan associe à ces commissions les deux délégations aux droits des femmes, particulièrement sensibilisées aux sujets traités par les résolutions « Femmes, paix et sécurité ».

Au cours de ses réunions, notre délégation a acquis la certitude que les viols de guerre ne sont pas une fatalité et que le viol et les violences sexuelles peuvent cesser d’être des armes de guerre.

Notre rapport esquisse donc des pistes susceptibles d’être prises en compte pour que les choses évoluent à l’avenir.

Ainsi, il est important de veiller au renforcement des moyens matériels des institutions judiciaires dans les pays en situation de post-conflit. Trop de témoignages ont souligné les obstacles souvent très concrets qui découragent les victimes d’avoir affaire à la justice, par exemple, l’obligation de subir un contact avec leurs bourreaux, faute d’espaces de circulation séparés entre victimes et prévenus. Ces obstacles renforcent de fait l’impunité des bourreaux.

Or l’accès des victimes à la justice est une condition essentielle de leur apaisement : il est donc indispensable d’aider ces pays à recueillir dans les meilleures conditions possibles les plaintes des victimes.

De plus, il est nécessaire de s’assurer que les victimes ont accès à toute l’aide médicale, psychologique, économique et juridique dont elles ont besoin. À cet effet, notre délégation veillera à ce que les moyens des ONG et des associations présentes sur le terrain pour venir en aide aux victimes soient portés à un niveau cohérent par rapport aux besoins.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il nous a aussi semblé pertinent d’essayer d’intégrer, comme nous en a convaincus Yasmina Benguigui, les institutions de la francophonie à la lutte contre l’impunité des auteurs des violences en faisant pression sur les pays concernés pour que ces crimes ne demeurent pas impunis.

Il est important que notre pays milite pour une entrée en vigueur rapide du traité sur le commerce des armes par lequel les États s’engagent à s’assurer que les armes classiques ne peuvent servir à commettre des violences contre des femmes et des enfants.

Notre délégation souhaite que soient encouragées et poursuivies les mesures très prometteuses mises en œuvre par le ministère de la défense pour faire progresser la place des femmes, notamment dans l’encadrement des écoles militaires et par la création d’un observatoire de la parité. Nous avons considéré que ces mesures étaient de nature à participer à la déconstruction des stéréotypes indispensable à la lutte contre toute violence de genre.

Dans le même esprit, notre délégation a été convaincue que la participation des femmes militaires aux opérations extérieures doit être encouragée par l’affectation de ces personnels à des postes où leur présence peut permettre de contribuer à la prévention de ces violences et de mieux aider les femmes et les personnes vulnérables qui en sont victimes.

Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réflexions et propositions qu’a inspirées à notre délégation ce sujet si grave. Non, les viols et les violences sexuelles commis pendant les conflits ne sont pas une fatalité ! Oui, la France a un rôle décisif à jouer pour que ces violences cessent d’être des armes de guerre !

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