Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

La politique culturelle publique ne peut se concevoir sans les collectivités

Collectivités locales et culture -

Par / 10 juin 2014

Monsieur le président, madame la ministre de la culture, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous remercier d’être présents ce soir, car ce débat est, selon notre groupe, de la plus haute importance.

Culture et collectivités territoriales : voilà bien, en effet, un des couples les plus prometteurs, et pourtant l’un des plus menacés, de notre République ! Si nous n’y prenons garde, le cumul des saignées budgétaires et de la dévitalisation des territoires pourrait venir à bout de pans entiers de la création vivante dans notre pays. Notre vigilance doit donc être une priorité nationale.

En ces périodes de crise, je le sais, la tentation de penser l’inverse est forte. Face au chômage de masse, à la précarité galopante au sein de la jeunesse, certains jugeront naturel de reléguer la culture au second plan, de considérer comme superflus les moyens et la place à lui accorder, de transformer progressivement ce qui devait être une priorité en parent pauvre des politiques publiques.

La situation est pourtant alarmante, car la crise frappant notre société n’est pas seulement structurelle sur le plan économique et social. Il s’agit d’une grave crise de sens, de projet, de valeurs, une crise de l’émancipation pour chacun, de la libération pour toutes et tous, une crise de civilisation. C’est, comme nous le voyons chaque jour un peu plus et comme les dernières élections l’ont montré, une crise démocratique et politique au sens le plus profond, une crise de la Cité et du bien commun, qui fait le lit de tous les obscurantismes et réprime les imaginaires quand tout devrait au contraire inviter à leur donner libre cours.

Alors même que la crise bouche l’avenir et rétrécit l’horizon du plus grand nombre, qu’entend-on chaque jour répéter comme une prétendue évidence ? « La culture doit prendre sa part des sacrifices ! »

Paul Krugman, prix Nobel d’économie, résume ainsi la philosophie qui nous gouverne trop souvent aujourd’hui : « L’élite des responsables politiques, [notamment] les élus qui se dressent en défenseurs de la vertu budgétaire, agissent comme les prêtres d’un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humains pour apaiser la colère de dieux invisibles ». Ainsi donc, aux dieux Marché et Rentabilité la culture devrait apporter sa part de sacrifices, ainsi qu’une bonne proportion des dépenses qu’y consacrent les collectivités locales.

Dieux invisibles, dit Paul Krugman… Mais ce sont aussi des dieux aveugles, tant est grande l’urgence culturelle de faire ou de refaire société, de penser ou de repenser le monde ! C’est précisément au cœur de la crise que les créations et les pensées nouvelles révèlent ce qui nous aide à faire émerger un autre modèle de société.

Ainsi, malheureusement, la culture n’est pas devenue la priorité tant espérée. La réalisation des « grandes » ambitions annoncées se fait attendre, au point qu’on peut, chaque jour un peu plus, douter qu’elles aient jamais été nourries. Quant au budget consacré par l’État à la culture, loin d’être préservé, il est, comme tant d’autres, programmé à la baisse année après année.

Et voilà que l’offensive annoncée contre les dépenses publiques des collectivités locales et le prétendu millefeuille territorial pourrait porter des coups fatals à l’action culturelle des collectivités locales. En effet, chacun le sait, les collectivités sont devenues des acteurs majeurs de nos politiques publiques culturelles.

Avant d’aller plus loin, je ne peux manquer l’occasion de renouveler notre soutien aux justes exigences des intermittents, si nombreux à faire vivre la création et l’action publique culturelle en région.

Mercredi dernier encore, devant la commission de la culture de notre assemblée, démonstration a été faite de la viabilité de leurs propositions. Celles-ci sont légitimes, équilibrées, utiles à la diversité culturelle, de nature à assurer la viabilité d’un régime d’indemnisation indispensable à la vie des professions artistiques. Seul l’acharnement idéologique du MEDEF y fait obstacle depuis dix ans. Et nous assistons maintenant à l’incroyable ralliement du Gouvernement à ses thèses, au mépris de toutes les promesses, y compris celles qui ont été faites tout récemment par l’actuel ministre du travail ! Les festivals d’été sont menacés par cet acharnement. Pourtant, un geste suffirait : refuser l’agrément.

Je le rappelle, cet accord aggrave encore celui de 2003, que nous n’avions eu de cesse de combattre. L’augmentation des cotisations menace les revenus de nombreux intermittents et la pérennité financière des petites et moyennes structures, mais les conditions de calcul du différé d’indemnisation placent, elles aussi, une grande majorité de ces professionnels dans une situation de grande précarité. Sur ce point, les aménagements récemment opérés ne sont pas suffisants, le nombre d’intermittents concernés par ce différé de paiement restant en très forte augmentation.

C’est pourquoi nous exigeons une fois de plus, madame la ministre, que le Gouvernement n’agrée pas l’accord imposé par le MEDEF en matière d’indemnisation par l’assurance chômage des intermittents du spectacle et rouvre réellement la discussion. Pour notre part, nous resterons solidaires des luttes actuelles des artistes, des techniciens et de l’ensemble des acteurs culturels.

D’ailleurs, si de nombreux élus locaux déclarent tour à tour leur soutien à ce combat, cela ne doit rien au hasard.

En effet, le lien entre collectivités locales et culture n’a cessé de s’approfondir avec les progrès de la décentralisation, au point qu’il est aujourd’hui permis d’affirmer que la politique publique en matière culturelle n’aurait plus de force et de sens sans cette dimension.

La coopération associant État et collectivités territoriales a favorisé l’aménagement culturel du territoire et permis d’œuvrer pour la démocratisation culturelle. Certes, beaucoup d’inégalités subsistent, renforcées par la faiblesse persistante du budget national et l’insuffisante démocratisation de la définition des politiques culturelles. Mais il serait insensé, surtout en ce moment, de mettre en cause les progrès réalisés.

Cette coopération a souvent permis d’innover et d’aider un milieu fragile à dégager les moyens de son existence et de sa capacité de création. Dans bien des cas, création et action culturelles survivent uniquement grâce à un équilibre précaire, impliquant une pluralité d’acteurs et de financements publics.

C’est pourquoi l’impact des réformes annoncées de gouvernance et de financement des collectivités territoriales sur la culture doit être envisagé avec la plus grande attention.

Qu’adviendra-t-il si, la culture n’étant déjà pas une priorité nationale, l’action des collectivités territoriales est de surcroît réduite à peau de chagrin ? Poser la question, c’est malheureusement y répondre. La menace est extrêmement sérieuse et quelques belles paroles ne suffiront pas à l’écarter.

Tout l’objet du débat de ce soir est de remettre l’ambition culturelle au centre de la discussion, avec l’objectif, au moment où nous allons à nouveau nous pencher sur la question des collectivités territoriales, d’affirmer son rôle et sa place comme ferment de la démocratie et de la vie citoyenne, levier du développement local, outil d’éducation et d’émancipation, tant à l’école que dans la Cité ou encore dans le monde du travail.

Pour nous, la compétence culturelle des collectivités territoriales est indissociable du maintien de la clause générale de compétence, la préservation des financements croisés, mais aussi l’affirmation du rôle de l’État. Il faut s’assurer que les compétences des collectivités, comme celles de l’État, seront préservées, avec les moyens nécessaires à la clé.

La compétence culturelle des collectivités territoriales, fondée sur la clause générale de compétence, est un principe démocratique qui garantit la libre intervention des collectivités.

En 1982, ce principe, valable pour toutes les collectivités, permettait à celles-ci de se protéger contre les empiétements de l’État, mais il a aussi permis la coopération croissante entre les différents niveaux de collectivités par le biais de financement croisés.

Ce sont ces financements croisés et ces compétences partagées qui permettent aujourd’hui de garantir la vitalité de bon nombre d’activités culturelles.

La culture fournit une belle illustration de l’aveuglement technocratique qui nourrit le discours sur le prétendu « millefeuille ». Pourquoi tous les niveaux de collectivités interviennent-ils, ou cherchent-ils à le faire, dans le champ culturel ? Tout simplement parce que la culture est comme l’air qu’on respire : c’est en quelque sorte une compétence vitale pour construire du bien-être commun. La culture est une compétence naturellement partagée.

Or chaque nouvelle réforme des collectivités menace ce principe de compétence partagée. C’était déjà le cas de la loi du 16 décembre 2010, qui prévoyait la suppression de la clause de compétence générale. Il a fallu toute la bataille parlementaire pour que soit finalement arraché, de justesse, en deuxième lecture, le maintien de la clause de compétence générale, mais uniquement dans des domaines particulièrement sensibles comme la culture et le sport.

Après d’autres tentatives de suppression de même nature, la clause de compétence générale a finalement été rétablie par la loi du 27 janvier 2014. Or, quelques mois plus tard, les menaces sont de nouveau d’actualité avec les projets portés par le Président de la République et le Premier ministre.

Dans le cadre de sa grande réforme territoriale, et au nom de la clarification des compétences, le Premier ministre propose de nouveau la suppression de la clause de compétence générale et le retour à des compétences des collectivités spécifiques et exclusives. Quant aux conseils départementaux, leur existence est, à terme, purement et simplement remise en cause.

On dit à nouveau, ici ou là – mais nous sommes dans le plus grand flou –, que la culture pourrait faire figure d’exception. Quel crédit accorder à un tel engagement si tout se réduit comme peau de chagrin : crédits, compétences, taille et nombre des assemblées élues ?

Pour conjurer le danger et maintenir un haut niveau d’action culturelle, l’heure n’est plus aux approximations, aux bricolages, aux allers et retours inconséquents.

L’action et la décentralisation culturelles sont aujourd’hui des co-constructions entre l’État et l’ensemble des collectivités ; elles doivent le rester et être confortées. L’art et la culture sont d’intérêt national. Le rôle de l’État et celui des collectivités doivent être préservés. S’il fallait légiférer dans ce domaine, c’est sans aucun doute vers l’établissement d’une compétence partagée entre l’État et l’ensemble des collectivités qu’il faudrait aller.

En l’absence d’engagements clairs, nombreux sont les périls qui nous guettent : dévitalisation des communes, suppression des départements, dont les effets pourraient être très lourds sur la politique culturelle des villes moyennes et des territoires ruraux.

Quant aux métropoles, elles sont souvent regardées avec méfiance par nombre de services culturels, lesquels redoutent d’être noyés dans un immense ensemble métropolitain, le risque étant qu’aux fractures sociales et spatiales existantes vienne s’ajouter une fracture territoriale.

Quid de la culture dans des métropoles vouées à la mise en concurrence des territoires, aux antipodes de l’action attendue en faveur de la réduction des inégalités culturelles sur le territoire ?

Comment les politiques culturelles locales trouveront-elles leur place dans le futur paysage territorial de la France ? Tous les acteurs culturels rencontrés par vous, madame la ministre, comme par moi et beaucoup d’autres, sont inquiets.

Toutes ces inquiétudes sont évidemment avivées par le contexte d’austérité budgétaire dans lesquelles elles s’inscrivent, la réforme territoriale se doublant d’un plan d’économie de 50 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros sur les dépenses des collectivités.

Le maintien de la clause générale de compétence et la participation de tous les échelons territoriaux et de l’État, aussi importante soit-elle, ne suffiront pas à préserver l’action culturelle locale si les collectivités n’ont plus les moyens d’exercer les compétences dont elles ont la charge. Des compétences sans moyens seraient évidemment vides de sens.

La fragilisation des politiques publiques est d’autant plus à craindre dans le domaine culturel que les collectivités sont devenues, je l’ai dit, d’importants financeurs de la culture.

La montée en puissance des collectivités n’a pas cessé depuis 1978, comme l’indiquent des études du département des études, de la prospective et des statistiques, la DEPS, sur les dépenses culturelles locales. Ces études, respectivement menées en 2006 et en 2010, font apparaître une augmentation régulière des dépenses des collectivités de 10 % en quatre ans. Elles démontrent, chiffres à l’appui, que les dépenses des collectivités territoriales en matière culturelle sont désormais nettement supérieures au budget du ministère de la culture ! L’étude de 2010 évalue en effet le financement des collectivités à la culture à 7,6 milliards d’euros, soit 118 euros par habitant, alors que le budget du ministère pour la même année était de 2,9 milliards d’euros.

À titre d’exemple, les financements accordés par les collectivités au spectacle vivant sont dix fois supérieurs aux crédits que l’État y consacre. Ils représentent aujourd’hui 70 % du financement public de ce secteur pour son fonctionnement, ses créations, mais aussi ses équipements. Les collectivités assurent ainsi de nombreux emplois permanents et intermittents.

Parmi les collectivités, ce sont les communes et les groupements de communes qui, aujourd’hui, prennent en charge la plus grande partie des financements culturels. Elles assument en effet les trois quarts des financements des collectivités, soit 4,6 milliards d’euros pour les communes et 1 milliard d’euros pour leurs groupements, contre respectivement 18 % et 9 % pour les départements et les régions.

Le soutien à l’expression artistique et aux activités culturelles représente près de 60 % des dépenses des communes et de leurs groupements. Il s’agit en grande partie de dépenses de fonctionnement.

Départements et régions se sont eux aussi investis de manière croissante dans le patrimoine, qui représentait 59 % des dépenses culturelles départementales et 23 % des dépenses culturelles régionales en 2010.

Les communes gèrent souvent les services et les équipements culturels de proximité, tels les bibliothèques, les conservatoires, les écoles d’art et les musées. Il est intéressant de noter que la moitié de ces dépenses de fonctionnement sont des dépenses de personnels.

En effet, il ne faut pas oublier qu’une grande partie des dépenses des collectivités permet directement, notamment par l’emploi de fonctionnaires et de contractuels, ou indirectement, via des subventions, de financer un très grand nombre d’emplois dans le milieu culturel.

Une diminution de la participation financière des collectivités à la culture risquerait donc de se traduire par une grave remise en cause de l’emploi, du fait du non-renouvellement de nombreux contractuels et du non-remplacement de fonctionnaires partant à la retraite. Cela fragiliserait l’ensemble du secteur.

Au même moment, la part du budget de l’État consacrée aux missions du ministère de la culture confirme, elle aussi, un désengagement financier dans la durée, programmé dans le plan annoncé par le Premier ministre.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons de notre inquiétude.

Notre assemblée a souvent inscrit à son ordre du jour, ces dernières années, la défense de l’exception culturelle. Aujourd’hui, c’est l’exceptionnel engagement de nos collectivités qui doit être défendu et protégé. Nous n’aurons pour notre part de cesse de mener ce combat.

Adossée aux 50 milliards d’euros de coupes budgétaires, la réforme territoriale que le Gouvernement continue de chercher à faire passer au forceps risque d’être foncièrement antidémocratique, politicienne et au service d’une vision concurrentielle et libérale de l’aménagement du territoire. Elle représente un très grand danger pour le mouvement artistique et culturel, pour l’avenir même de la culture dans notre pays.

L’affaiblissement des moyens des collectivités, la suppression de la clause générale de compétence, la suppression des conseils généraux, le regroupement autoritaire des communes et des agglomérations, la formation de métropoles et de très grandes régions, représentent au total un danger quasi létal pour des pans entiers des politiques publiques de soutien à l’art et à la culture, à la création comme à l’éducation populaire.

Si nous ne réagissons pas, nous sommes à la veille d’un processus de déculturation de nos territoires et des populations qui y vivent. Une fois de plus, nous constatons qu’il faut défendre le lien étroit existant entre la culture et la démocratie, la mise en cause de l’une affaiblissant gravement l’autre. Nous refusons de nous engager sur ce chemin dangereux, préférant continuer à construire l’émancipation par l’art et la culture.

Les dernieres interventions

Les débats Un vrai débat entre deux projets de société

Le partage du travail : un outil pour le plein-emploi ? - Par / 6 janvier 2022

Les débats Aucune cause profonde des migrations n’est traitée

Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021 - Par / 8 décembre 2021

Les débats Le Président de la République veut plateformiser l’État

Situation des comptes publics et réforme de l’État - Par / 1er décembre 2021

Les débats L’école a besoin d’un réinvestissement massif

Éducation, jeunesse : quelles politiques ? - Par / 1er décembre 2021

Les débats Ce sont les inégalités qui mûrissent depuis des décennies

Situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer - Par / 1er décembre 2021

Les débats Le mal-être des professionnels de la justice comme des forces de l’ordre doit être entendu

Quel bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ? - Par / 30 novembre 2021

Les débats Ce gouvernement a décidé d’aller le plus loin possible dans la surveillance et le contrôle des populations

Quel bilan de l’action du gouvernement en matière de justice et de sécurité ? - Par / 30 novembre 2021

Les débats La désindustrialisation se poursuit depuis 2017

Perte de puissance économique de la France et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat - Par / 30 novembre 2021

Administration