Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Nous préférons un service public universel performant à des subventions délivrées à des opérateurs privés

Débat sur la couverture numérique du territoire -

Par / 12 octobre 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du déploiement du débit et du haut débit est au cœur des préoccupations des acteurs locaux, principalement les départements ruraux ; M. Maurey vient de le rappeler.

L’enjeu me semble comparable à celui qui, au XIXe, siècle a justifié la volonté de doter tous les foyers en eau courante et en électricité. L’accès à l’information et à la communication est plus que jamais un facteur structurant comparable à celui de la desserte en infrastructures essentielles.

Cet accès est une condition certes insuffisante, mais indispensable pour que « la société de l’information » contribue au développement d’un territoire. Il s’agit non seulement de raisonner en termes d’attractivité, mais, au-delà, c’est bien l’avenir des territoires qui est en jeu, et les maires ruraux ne s’y trompent pas.

Aujourd’hui, la couverture numérique du territoire fait écho à la « métropolisation » voulue par le Gouvernement lors de sa réforme des collectivités territoriales, réforme largement désavouée par les élus locaux qui, à juste titre, ont vu dans cette nouvelle organisation un abandon croissant d’une large fraction du territoire national.

Pour l’usager, l’accessibilité se situe à deux niveaux : l’accès au réseau, c’est-à-dire l’existence d’une desserte du territoire, et un accès financièrement acceptable. Bien que la question ne soit pas nouvelle, le rapport souligne que la fracture en termes de téléphonie mobile et de haut débit n’a pas été résorbée, et qu’une nouvelle fracture se fait jour en termes de très haut débit.

Pourtant, en 2010, à l’issue des Assises des territoires ruraux, le Président de la République annonçait les objectifs de son Gouvernement en matière de couverture très haut débit, à savoir 70 % de la population en 2020 et 100 % en 2025.

Pour y parvenir, le programme national « très haut débit » recommande de favoriser l’initiative privée non seulement dans les zones denses, mais même au-delà. À cet égard, je partage les inquiétudes de M. Maurey, qui a écrit dans son rapport : « En choisissant de donner la priorité à la seule initiative privée et de “faire confiance” aux opérateurs pour assurer le déploiement du réseau national très haut débit, le dispositif entier du PNTHD se retrouve soumis à la plus grande incertitude ». Vous avez détaillé ce point, mon cher collègue, ce dont je vous remercie.

Ce constat est sans appel. Selon moi, en effet, non seulement il n’est pas pertinent, mais il est même dangereux d’appuyer en priorité des initiatives privées et, de plus, il est inadmissible de priver les collectivités de subventions lorsqu’elles souhaiteront couvrir des zones rentables en même temps que des zones non rentables, justement pour opérer une péréquation financière,...

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. ... comme cela a été annoncé par le Gouvernement le 27 avril 2011. Monsieur le ministre, il faudra sans doute revoir cette question.

Enfin, sur la question des schémas directeurs territoriaux devant permettre de répertorier les réseaux existants et de définir des objectifs clairs de couverture adossés à un échéancier de travaux, nous partageons votre position, monsieur Maurey, et nous réitérons la demande que nous avions formulée par voie d’amendement lors de la discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique de renforcer les caractères obligatoires et contraignants de ces schémas.

Toutefois, nous pensons qu’il faut aller encore plus loin. La question de l’aménagement numérique du territoire est liée à la déréglementation du secteur et au paysage concurrentiel qui a émergé par la suite. Cela n’est pas nouveau ; c’est ce que nous constatons tous les jours pour les entreprises en réseaux, comme le transport ou l’électricité.

Aujourd’hui, comme cela a été souligné lors des auditions, l’aménagement numérique du territoire pose de façon urgente la question d’un service public des télécommunications, la reconnaissance sur laquelle il faudra bien se pencher d’un « service universel » – pour reprendre la terminologie européenne – d’accès à la téléphonie mobile, au haut et très haut débit.

À cet égard, il est précisé dans le rapport que « la concurrence n’est pas un objectif en tant que tel, mais un moyen de satisfaire l’intérêt général. En ce domaine, la concurrence ne semble pas le meilleur moyen d’atteindre cet objectif. ». Je partage ces propos.

En matière financière, alors qu’un dispositif de péréquation nationale existe dans tous les secteurs de services publics ouverts à la concurrence, le Gouvernement a estimé qu’il ne fallait pas dissuader les opérateurs privés d’investir et a donc privé le Fonds d’aménagement numérique des territoires de financements adéquats.

Or la possibilité de taxer les opérateurs privés n’est pas dangereuse, comme on l’entend souvent ; au vu des investissements nécessaires dont vous avez parlé, monsieur Maurey, elle est impérative pour irriguer l’ensemble du territoire national. Sans ressources pérennes octroyées au Fonds d’aménagement numérique des territoires, comment penser que la fracture numérique pourra se résorber, voire être prévenue concernant le très haut débit ?

M. Roland Courteau. Évidemment !

Mme Mireille Schurch. En effet, au vu de la crise du pouvoir d’achat que nous traversons, il n’est pas socialement juste de solliciter l’usager, via une contribution de solidarité numérique, ou les consommateurs, via une taxe sur les produits électroniques grand public.

De surcroît, la proposition qui consisterait à céder des participations de l’État dans certaines entreprises publiques pour les affecter au Fonds d’aménagement numérique des territoires est pour nous inacceptable.

Nous estimons en effet qu’il est absolument urgent de plébisciter un service universel du haut débit, appuyé sur un pôle public des télécommunications capable de faire les investissements nécessaires, afin de permettre le fibrage de l’ensemble du territoire. La mise en place de réseaux publics est préférable à l’octroi de subventions à des opérateurs privés porteurs de leur seul intérêt individuel.

Le phénomène de libéralisation des télécommunications a été enclenché en 1993. L’expérience montre aujourd’hui que cela a conduit à une opacité des offres de services, à une baisse de la qualité des services de maintenance dont se plaignent nos concitoyens, à des ententes entre les opérateurs privés pour se partager les bénéfices et, surtout, à laisser sur le bord du chemin les territoires jugés non rentables économiquement. Monsieur Maurey, vous avez même évoqué le risque d’assister à un « écrémage ».

Or, comme le souligne le rapport du Conseil économique et social Conditions pour le développement numérique des territoires, il est aujourd’hui essentiel de « faire prévaloir les critères d’aménagement du territoire sur ceux de la concurrence ». C’est ce que réclament fortement les maires ruraux. C’est pourquoi nous regrettons que le rapport ne revienne pas sur le découpage du territoire national en trois espaces étanches. Nous ne souscrivons pas à cette vision qui, de fait, crée une rupture d’égalité par un mécanisme de privatisation des profits et de socialisation des pertes.

En outre, dans cette configuration en droite ligne avec la loi pour la confiance dans l’économie numérique, les collectivités locales les plus concernées seront, comme aujourd’hui, très lourdement sollicitées, alors même qu’elles payent les conséquences du désengagement de l’État.

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Mireille Schurch. Il est essentiel de rappeler que le coût de l’accès au numérique sur tout le territoire doit être pris en charge essentiellement à l’échelon national et non local. Attention, renforcer le rôle des collectivités ne doit pas conduire à un désengagement de l’État, qui ne peut que se traduire par l’émergence d’une France à deux vitesses ! Selon moi, l’État doit être le garant de l’intérêt général sur tout le territoire national.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. Ainsi, en tant qu’actionnaire principal de France Télécom, il doit reprendre la main et infléchir la stratégie de l’entreprise, afin d’employer les dividendes qu’il reçoit pour aider les collectivités locales. L’opérateur historique et les fournisseurs d’accès à internet dégagent des marges considérables sur cette activité depuis plusieurs années. C’est pourquoi ils ne peuvent envisager de ne faire appel qu’aux subventions des collectivités dans les zones blanches ou grises, en concentrant leurs investissements sur les zones rentables, sans contribuer au Fonds d’aménagement numérique des territoires. L’État doit imposer un critère d’aménagement du territoire !

Enfin, il faut être extrêmement vigilant sur ce point, le numérique ne doit pas servir à renforcer, voire à légitimer, le retrait de l’État. Si la « e-administration » permet aux habitants des territoires ruraux d’effectuer à domicile et à toute heure une multitude de démarches administratives, elle favorise aussi l’isolement et une certaine fracture sociale. Il en est de même pour la télémédecine, qui, si elle peut s’avérer utile, dans certaines configurations très particulières, aux patients et aux médecins, ne doit pas et ne peut pas être une réponse à la désertification médicale.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. En conclusion, le modèle qui nous est proposé depuis plusieurs années a conduit aux multiples fractures dont souffre notre pays, que celles-ci soient sociales, scolaires, postales, énergétiques ou numériques. Le résultat des élections sénatoriales du 25 septembre dernier est un signal fort, qui confirme le mécontentement des élus locaux face à l’abandon de toute une partie du territoire. Il nous conforte dans l’idée que les territoires doivent être au cœur de toutes les réflexions sur les services publics en réseau, domaine dans lequel l’État doit reprendre la main.

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