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Recueils de mes interventions

Amnistie des mineurs grévistes de 1948 et de 1952 :

un pas vers la reconnaissance du préjudice moral et matériel de ces ouvriers injsutement condamnés pour fait de grève -

Par / 27 février 2013

La grève de 1948, qui avait été votée à l’unanimité par l’ensemble des organisations syndicales de tous les bassins et puits des Charbonnages de France, a donné lieu à une répression brutale, qui s’est soldée par plus de 2 000 licenciements, cinq morts et de nombreux blessés.

Les mineurs concernés n’ont cessé de se battre pour la reconnaissance du préjudice moral et pour leur réhabilitation, en demandant notamment l’application de la loi d’amnistie du 4 août 1981 pour leurs condamnations, dont chacun s’accorde à dire qu’elles n’étaient pas justifiées.

Contrairement aux travailleurs sanctionnés dans toutes les branches professionnelles nationalisées, ces mineurs ont été exclus du bénéfice de cette loi d’amnistie. J’ai donc déposé un amendement avec le groupe CRC dont je suis premier signataire (N°26) visant à les amnistier définitivement.

Vous trouverez ici la discussion qui a entouré l’adoption de cet amendement qui constitue un premier pas significatif vers la reconnaissance du préjudice moral et matériel subi par ces mineurs dont il ne demeure qu’une dizaine de survivants.

Avant de présenter cet amendement, je tiens à remercier M. le président de la commission des lois des propos qu’il vient de tenir.

La grève de 1948, qui avait été votée à l’unanimité par l’ensemble des organisations syndicales de tous les bassins et puits des Charbonnages de France, a donné lieu à une répression brutale, qui s’est soldée par plus de 2 000 licenciements, cinq morts et de nombreux blessés.

Les mineurs concernés n’ont cessé de se battre pour la reconnaissance du préjudice moral et pour leur réhabilitation, en demandant notamment l’application de la loi d’amnistie du 4 août 1981 pour leurs condamnations, dont chacun s’accorde à dire qu’elles n’étaient pas justifiées.

Contrairement aux travailleurs sanctionnés dans toutes les branches professionnelles nationalisées, ces mineurs ont été exclus du bénéfice de cette loi d’amnistie.

L’article 13 de la loi précitée dispose que seuls sont exceptés du bénéfice de l’amnistie « les faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes mœurs ou à l’honneur ».

Pourtant, ces ouvriers ne se sont rendus coupables d’aucun manquement à cet égard. Quelques années avant que ne survienne cette grève, ceux-ci, dont beaucoup avaient été résistants, étaient même nommés meilleurs ouvriers de France et récompensés pour avoir contribué dans une large mesure au relèvement économique de notre pays.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, saisie de ce dossier en 2007, a estimé que la discrimination était « à l’évidence incontestable », car « aucun fait autre que les faits de grève ne peut [...] être reproché aux anciens mineurs ».

Le caractère discriminatoire du licenciement a été reconnu par la cour d’appel de Versailles, dans sa décision du 10 mars 2011. Cependant, le ministre de l’économie et des finances a immédiatement diligenté un pourvoi en cassation contre cette décision, qui a eu pour effet de l’annuler sur la base de motifs de procédure liés aux délais de contestation du licenciement. Les voies de recours sont désormais épuisées pour la dizaine de mineurs concernés encore en vie.

Estimant qu’il s’agit d’une question non pas de délais mais de mémoire, les auteurs de cet amendement souhaitent que les mineurs condamnés pour avoir suivi les grèves de 1948 et 1952 soient définitivement amnistiés. Ce serait une première étape significative vers la reconnaissance du préjudice moral et matériel qu’ils ont subi.

Comme l’écrit un des rares survivants, Norbert Gilmez, quatre-vingt-treize ans, « ce n’est pas à l’honneur de la France de refuser l’application d’une loi d’amnistie à des patriotes qui ont toujours privilégié l’intérêt national au prix des plus grands sacrifices, au prix de leur santé, au prix de leur sang ».

Faisons en sorte, par le vote de cet amendement, de rétablir et l’honneur de la France et l’honneur de ces mineurs, grévistes licenciés, dégradés de leur titre militaire, dont la vie a été injustement gâchée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Éliane Assassi, rapporteur. Jean-Pierre Sueur a été un très bon avocat de l’amendement déposé par notre collègue Dominique Watrin.

Il est temps en effet que ces quelques mineurs, très âgés aujourd’hui, retrouvent leur dignité et leur honneur. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je viens de demander une vérification d’ordre juridique et je dois dire que l’avis du Gouvernement est plus nuancé.

Tout le monde ici sait, car c’est une histoire qui n’appartient pas à la seule mémoire territoriale mais aussi à la mémoire nationale, les sacrifices que les mineurs ont consentis, notamment leur santé et jusqu’à leur propre vie, pour le développement industriel du pays.

La grève de 1948 provoqua, en même temps que le licenciement de 3 000 d’entre eux, un véritable drame humain.

En principe, l’article 13 de la loi du 4 août 1981 a amnistié ces mineurs – c’est pourquoi je demandais à mes services de procéder à une vérification juridique – et, sous réserve de voir cette appréciation infirmée, le Gouvernement considère donc qu’ils sont d’ores et déjà amnistiés. Leurs droits à pension ont été rétablis, de même que, à compter de la loi de finances pour 2005, leurs droits en nature, qui concernaient le chauffage et le logement.

En revanche, s’agissant des licenciements, ils ont été contestés par les mineurs et leurs défenseurs devant les tribunaux. Comme vous l’avez rappelé, Watrin, la cour d’appel leur avait donné raison et avait même accordé des dommages-intérêts, avant que la Cour de cassation ne casse récemment ce jugement, refusant de reconnaître les droits des mineurs.

Toutefois, par la voix de la ministre de la culture, qui répondait au député Jean-Jacques Candelier, puis par celle du ministre du travail, le Gouvernement s’est engagé à ce que les Charbonnages de France ne puissent pas recouvrer les sommes versées aux mineurs sur la base du jugement de la cour d’appel.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je partage l’appréciation que vous avez, les uns et les autres, portée sur les mineurs – je suis moi-même fils de mineur et né dans un coron.

Je voudrais toutefois rappeler quelques faits relatifs à la grève de 1948, en particulier à l’attention de Dominique Watrin.

Cette grève a été lancée à l’appel de la CGT, pour des motifs professionnels et salariaux que nous ne contestons pas, mais elle a vite dégénéré, avec l’occupation des puits de mines et l’interdiction par les piquets de grève de l’exercice du droit de travail pour les autres syndiqués.

Dans le contexte de guerre froide de l’époque,…

M. Jean-Jacques Mirassou. Mais non !

M. Roland Courteau. Le mot est fort !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … la grève a pris une allure que certains historiens ont qualifiée d’insurrectionnelle, et Jules Moch, ministre socialiste, l’a lui-même reconnue comme telle, lui qui a envoyé des milliers de CRS et la troupe pour dégager les puits de mines.

La grève, de motifs professionnels, a donc vite glissé sur le terrain politique.

Vous me permettrez également, mes chers collègues, de faire état d’un fait qui me touche personnellement.

Mon père, responsable syndicaliste à la CFTC, a été condamné à mort, pour l’exemple, par la section communiste de Bully-les-Mines et par les cégétistes, sentence qui ne témoignait par ailleurs d’aucune pitié envers sa femme et ses enfants.

À cet appel, une centaine, voire plus, – vous me pardonnerez, nous n’avons pas compté ! – de syndicalistes, de salariés mineurs, de communistes sont donc venus, au chant de L’Internationale, à notre domicile, dans le coron de la cité minière.

Nous ne dûmes notre salut qu’à la fuite : nous nous sommes réfugiés chez des amis, qui nous ont hébergés pendant une semaine, jusqu’à ce que la grève s’achève, à la fin du mois de novembre.

Madame la ministre, mes chers collègues, vous le reconnaîtrez, nous étions là très loin des débordements ou des exactions matérielles !

L’ancien syndicaliste de la CFDT que je suis comprend parfaitement l’inquiétude et l’exaspération des militants ou des salariés ; il est aussi, évidemment, totalement favorable à l’exercice le plus libre possible du droit de grève et à la protection des salariés.

Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, en 2011, la cour d’appel de Versailles a jugé tout à fait illégaux les licenciements perpétrés, d’ailleurs, par une entreprise publique, Charbonnages de France, à l’encontre de ces mineurs qui, on peut le dire, ont été pour la plupart manipulés, instrumentalisés. Je m’incline donc devant ce jugement, qui les rétablit – après quelque soixante-dix ans… – dans leurs droits.

À titre personnel, je suis prêt à pardonner à tous ceux qui nous ont menacés, ma famille et moi, et que je ne connais d’ailleurs pas, car je pense que le temps a fait son œuvre, mais ne me demandez pas d’amnistier les syndicalistes qui ont instrumentalisé en 1948 ces ouvriers mineurs qui, fort heureusement, n’ont pu passer à l’acte et perpétrer les violences inadmissibles auxquelles ils avaient été appelés.

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Il n’y a pas grand-chose à ajouter après ce que vient de dire notre collègue. Je soulignerai donc simplement que l’on n’a pas le droit, ni intellectuellement ni moralement, de réécrire l’histoire à l’occasion d’une quelconque proposition de loi.

Tout le monde sait très bien ce qui s’est passé en 1948, même si certains semblent ne plus s’en rappeler : on était en pleine guerre froide, un gouvernement socialiste était au pouvoir et le ministre de l’intérieur était lui-même socialiste.

Le même Maurice Thorez, qui, quelques mois plus tôt, alors qu’il était membre du Gouvernement, expliquait à tous, et notamment à la CGT, qu’il fallait « savoir terminer une grève », devenu secrétaire général du parti communiste, lançait les troupes syndicales contre les forces de l’ordre, tout simplement parce qu’il avait reçu la consigne de l’Internationale communiste de l’époque, le Komintern, de déclencher la guerre contre le plan Marshall. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Un sénateur du groupe socialiste. Heureusement qu’il a commencé son intervention en disant qu’il ne fallait pas réécrire l’histoire !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est cela l’histoire !

M. Hugues Portelli. Il fallait briser le processus de rupture qui venait de s’enclencher. N’oublions pas en effet que, quelques mois plus tôt, les communistes avaient été chassés du gouvernement par Paul Ramadier. (Protestations sur les mêmes travées.) Tel était le contexte politique et raconter n’importe quoi au mépris de l’histoire réelle à propos de cette époque est inadmissible ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Je voulais éviter d’avoir à aborder le fond de l’histoire en trois minutes, mais vous m’y obligez, mes chers collègues : je ne peux pas laisser passer l’idée que ce mouvement de grève ait été insurrectionnel et je crois que c’est vous qui êtes en train de réécrire l’histoire !

Mme Cécile Cukierman. Tout à fait !

M. Dominique Watrin. Je voudrais rappeler quelques faits.

Tout d’abord, cette grève a été votée à la quasi-unanimité et suivie par la quasi-totalité des mineurs. Il s’agissait bien d’un mouvement de masse, vérité qui ne fut jamais démentie jusqu’à la fin, voire, malheureusement, jusqu’à la faim.

Ensuite, s’il y a eu des instrumentalisations, je parlerais pour ma part plutôt de l’instrumentalisation de certains syndicats, mais celle-ci n’a de toute façon pas empêché que l’unité des mineurs, du début à la fin de la lutte, se fasse sur la base des revendications qu’ils avaient unanimement définies.

Enfin, vous semblez oublier la répression terrible qui s’est abattue sur les corons, sur le bassin minier. Je peux vous assurer que ce souvenir-là est encore bien vivant dans les esprits de ceux qui l’ont vécu : 60 000 CRS furent déployés sans parvenir à mater la grève ; on fit appel aux troupes d’occupation en Allemagne et aux troupes coloniales pour écraser le mouvement avec, au final, plus de 2 000 arrestations et un bassin minier quadrillé par les tanks. Tout cela rappelait, non pas un mouvement insurrectionnel, mais l’occupation allemande à ceux qui l’avaient vécue quelques années plus tôt !

Je voudrais également dire un mot de la situation sociale, car c’est là le fond de ces événements. Dès 1947, les mineurs faisaient le constat d’une dégradation insupportable de leur situation – 80 % de leurs enfants, par exemple, étaient rachitiques –, dégradation à laquelle il n’avait pas été apporté de solution en dépit de nombreux appels.

Que dire des conditions de travail ? Certains veulent réécrire l’histoire en oubliant que, dans le seul Nord-Pas-de-Calais, sur un effectif de 126 500 mineurs de fond, il y eut, entre le 1er janvier 1948 et le 1er octobre de la même année, 90 tués dans la mine, 1 974 blessés graves atteints d’une incapacité permanente de travail et 3 000 silicosés, incapables de retourner au fond de la mine.

Il faut effectivement panser les plaies du passé et, moi, ce que je veux retenir, alors que nous allons célébrer le cinquantième anniversaire des grèves de 1963, c’est l’immense mouvement de solidarité qui s’empara de la France, en particulier de la classe ouvrière tout entière, dans des temps difficiles pour les mineurs.

En 1948, beaucoup d’enfants de mineurs – voire presque tous –, du Nord-Pas-de-Calais notamment, furent accueillis dans des familles solidaires de la région parisienne ou d’ailleurs. Je veux souligner ici, à l’attention de ceux qui cherchent à nous diviser, que cette solidarité s’est exprimée aussi dans les municipalités du bassin minier, y compris dans les municipalités socialistes, comme celle de Billy-Montigny à côté de laquelle j’habite, où des repas gratuits furent offerts aux enfants de mineurs.

Au nom de cette histoire, au nom de cette mémoire, je souhaite vivement que cet amendement soit adopté ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.))

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans ma précédente intervention, j’ai dit que je connaissais l’histoire et toutes les histoires.

Je connais l’histoire de la SFIO et ce qu’il en a été. Je connais l’histoire du syndicalisme, l’histoire du Parti communiste et ce qu’il en a été. Je n’ignore rien de ce qu’a dit M. Vanlerenberghe et je connais aussi les combats de Joseph Sauty et d’Eugène Descamps pour faire exister la diversité syndicale.

Je crois qu’il est des comparaisons que l’on ne peut pas faire, par exemple avec le nazisme. Cependant, cette histoire, nous la portons. Il revient aux historiens de faire leur métier. Dans ce débat-là, nous aurions tous des choses à dire et des leçons à tirer.

Toutefois, par respect pour les sept mineurs encore en vie comme pour tous les mineurs qui ont vécu ces épreuves terribles, et quelles que soient les divergences que nous pouvons avoir sur l’interprétation de l’histoire, il est juste de voter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 26.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.

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Bio Express

Dominique Watrin

Sénateur du Pas-de-Calais
Membre de la commission des Affaires sociales
Elu le 25 septembre 2011
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Administration