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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Vous souhaitez supprimer l’échelon que représentent les départements, alors même que la Constitution vous l’interdit

Conseillers territoriaux : exception d’irrecevabilité -

Par / 7 juin 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objectif annoncé de la réforme des collectivités territoriales était la simplification du prétendu « millefeuille territorial » ; en fait, vous n’avez fait que rajouter plusieurs couches, rendant encore plus illisible l’organisation décentralisée de notre République !

Somme toute, ce n’est guère étonnant, puisque cette réforme n’est qu’une vaste opération de restructuration des compétences des collectivités territoriales visant à neutraliser leur pouvoir d’action.

Un coup d’arrêt a d’abord été porté à l’intervention publique locale par le biais de la fiscalité, avec la suppression de la taxe professionnelle, alors que les collectivités territoriales n’étaient déjà autonomes qu’à hauteur de 50 % environ de leurs ressources.

Et ce premier élan a ensuite été complété par cette réorganisation territoriale contraignante et autoritaire, introduite par la loi adoptée le 16 décembre 2010, dont l’objectif premier était, et reste toujours, la réduction de la dépense publique et des services publics locaux.

Une telle réforme, votée à une très courte majorité par notre Haute Assemblée, a été élaborée « à la va-vite », tout comme le tableau, introduit au matin à deux heures via un amendement du Gouvernement à l’Assemblée nationale, sans aucune concertation préalable en commission.

Pourtant, dans une décision du 25 juin 2009, le Conseil constitutionnel a rappelé que « les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » s’appliquaient « aux travaux des commissions ». Il faut donc considérer que ce principe s’applique a fortiori lorsque la procédure accélérée est engagée.

L’évocation du débat à l’Assemblée nationale nous offre l’occasion de rappeler que, aux termes de l’article 39 de la Constitution, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales doivent être soumis en premier lieu au Sénat.

Sur ce point, monsieur le ministre, vous avez répondu aux députés que le présent projet de loi avait « pour objet principal de « fixer le nombre de circonscriptions d’élections du nouveau conseiller territorial et non de fixer l’organisation du conseil général ou du conseil régional ». Sauf à considérer que nous sommes peu au fait des questions locales, nous savons tous ici qu’une telle nuance n’existe pas ; vous l’avez inventée.

Ainsi, nous sommes aujourd’hui réunis pour apporter un correctif exclusivement numérique au séisme que vous avez provoqué en vertu d’une posture idéologique et partisane visant à tailler une carte électorale sur mesure pour l’UMP !

Le Conseil constitutionnel, dont tout le monde connaît le mode de désignation des membres, n’a pas retenu les nombreux griefs invoqués dans le recours qui lui a été présenté. Et pourtant… Le seul qui ait été retenu, et qui vous a valu une censure, n’a même pas fait l’objet d’une véritable rectification dans le tableau que vous nous présentez aujourd’hui.

M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales. Ah bon ?

M. Jean-François Voguet. En effet, force est de constater qu’il subsiste encore une importante rupture d’égalité devant le suffrage. Les réalités démographiques ne sont pas plus prises en compte ici que dans le tableau de répartition qui nous avait été soumis pour simple validation, et ce au mépris du travail parlementaire, lors de l’examen de la réforme.

Par exemple, avec cette répartition, le département du Val-de-Marne perd quatorze cantons et n’aura plus que trente-cinq conseillers territoriaux. Dans le même temps, le Bas-Rhin, département que vous connaissez bien, monsieur le ministre, aura quarante-trois conseillers territoriaux, alors qu’il a 30 % d’habitants de moins que le Val-de-Marne.

Nous nous garderons d’énumérer l’ensemble des territoires où il existe encore de fortes disparités et des inégalités flagrantes qui demeurent dans ces opérations arithmétiques où personne ne trouve son compte ; la liste serait bien trop longue…

Depuis 1985, par deux décisions relatives à l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel s’est engagé dans le contrôle du découpage des circonscriptions électorales fondé sur le principe d’égalité du suffrage.

Il exerce son contrôle au regard du principe constitutionnel d’égalité en se fondant sur plusieurs dispositions du bloc de constitutionnalité, à savoir l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel la loi « doit être la même pour tous », l’article 1er de la Constitution, qui énonce que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens » et, enfin, l’article 3 de la Constitution, aux termes duquel le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».

Le Conseil constitutionnel considère que la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée en respectant le principe d’égale représentation des populations de chacune des circonscriptions, sans pour autant – nous le savons – être astreinte à une stricte proportionnalité.

Dans deux décisions de 1986, il a considéré que, en l’espèce, l’Assemblée nationale devait « être élue sur des bases essentiellement démographiques » et que « si le législateur pouvait tenir compte d’impératifs d’intérêt général susceptibles d’atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée et en fonction d’impératifs précis ».

Il a même récemment ajouté que la mise en œuvre des cas de dérogation au principe de stricte égalité devait être « strictement proportionnée au but poursuivi ».

Enfin, d’une manière générale, il veille à ce que la délimitation des circonscriptions ne procède d’« aucun arbitraire ».

Or, si ce n’est vos intérêts particuliers, comme l’a d’ailleurs souligné le Conseil constitutionnel, aucun impératif d’intérêt général ne justifie que subsistent de telles inégalités de répartition, inégalités qui relèvent précisément de l’arbitraire.

De même que rien ne justifie d’engager une procédure accélérée pour un texte modifiant en profondeur l’organisation territoriale de notre pays. Du reste, il n’y a aucune cohérence chronologique perceptible dans l’adoption des différentes dispositions de la loi.

La loi du 16 décembre 2010 entre déjà en application dans son volet consacré à la coopération intercommunale. La plupart des autres dispositions essentielles, notamment celles qui intéressent le tableau à annexer, n’entreront en vigueur qu’en 2014 ou en 2015.

En outre, les limites des nouveaux cantons n’ont pas encore été fixées. Le redécoupage n’interviendra que postérieurement à l’établissement d’un schéma départemental de coopération intercommunale, qui doit être arrêté pour la fin de l’année 2011. Pour notre part, nous jugeons ce délai bien trop court pour appréhender l’ensemble des problématiques liées à la définition du périmètre et à l’organisation des compétences des collectivités.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements qui tendent à la mise en place d’un délai supplémentaire.

Quoi qu’il en soit, comme ces découpages, élaborés pour enrayer une évolution politique qui ne vous est pas favorable, ne sont pas encore intervenus, il paraît tout à fait absurde de fixer le nombre de conseillers territoriaux.

Deux autres projets de loi portant sur le mode d’élection et sur le régime des conseillers territoriaux sont encore en sommeil sur les bureaux du Sénat. Aussi la question des conseillers territoriaux aurait-elle très bien pu être couplée à l’un de ces textes.

Alors, permettez-nous de vous demander pourquoi ce tableau, qu’on nous impose d’adopter aujourd’hui en urgence, après une seule et unique lecture par nos deux assemblées, est purement déconnecté de la loi et de ses principales dispositions, qui ne seront applicables que dans quelques années.

La réalité est que vous souhaitez supprimer l’échelon de collectivité que représentent les départements, alors même que la Constitution vous l’interdit. Vous passez alors par un moyen détourné : l’institution des conseillers territoriaux.

Or, ainsi que le reconnaît la doctrine, si une telle fusion entre deux collectivités peut a priori se justifier dans certains cas exceptionnels, comme dans les régions monodépartementales, on ne peut pas la généraliser sans avoir préalablement révisé la loi fondamentale. Le législateur ne peut pas expressément supprimer un échelon prévu par la Constitution.

Toujours est-il que vous remettez précisément en cause la distinction claire et formelle existant entre la région et le département.

Dans le même ordre d’idée, le fait que deux catégories de collectivités, qui ont pourtant une place distincte dans la Constitution, soient administrées par les mêmes élus pose encore problème au regard de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, principe inscrit au cinquième alinéa de l’article 72 de la Constitution.

En imposant ses décisions aux départements, la région exercera concrètement une tutelle sur les départements.

Dès lors, si le département ne devient qu’un démembrement du conseil régional, il est de fait placé sous tutelle, et ce n’est plus une collectivité territoriale telle que la Constitution les définit.

L’article 72 de la Constitution, en plus de préciser que les départements sont des collectivités à part entière, dispose que les collectivités territoriales doivent pouvoir s’administrer librement par des conseils élus.

Le respect du principe de libre administration a deux conséquences majeures.

D’une part, il implique le bénéfice de la clause générale de compétence, socle de l’action publique des collectivités. Aussi, le simple fait de l’ôter aux départements et aux régions foule donc aux pieds un tel principe et transforme ces deux collectivités de plein exercice en simples administrations déconcentrées aux pouvoirs totalement encadrés.

D’autre part, le principe de libre administration s’entend aussi comme l’exigence que chaque collectivité possède un organe délibérant qui lui soit propre, lui-même composé d’élus qui lui soient aussi propres.

La logique constitutionnelle, qui – nous l’aurons compris – n’est certes pas la vôtre, impose donc la tenue de deux élections distinctes, pour élire deux assemblées distinctes, composées d’élus également distincts.

Autre étrangeté inconstitutionnelle, qui n’a pourtant, elle non plus, pas été censurée par le Conseil Constitutionnel : le mode de scrutin choisi pour l’élection de ces conseillers.

En décidant d’opter pour le scrutin uninominal à deux tours, vous sabordez l’objectif constitutionnel de parité et vous vous inscrivez à contre-courant de la dynamique de représentation des femmes en politique.

L’exclusion des femmes sera indubitablement la conséquence directe de votre réforme, d’autant que cette dernière remet aussi en cause le principe de parité dans les exécutifs régionaux.

En guise de compensation, vous entendez élargir le régime électoral paritaire en retenant pour seuil d’application, peut-être, les communes de 500 habitants et plus, sous-entendant ainsi que la diminution de la représentation des femmes dans les assemblées départementales et régionales serait compensée par des responsabilités dans les petites communes. Je rappelle que ces petites communes, qui ne sont pas assujetties en raison de leur taille à une obligation de parité, ont déjà élu plus de 32 % de femmes aux élections municipales. En revanche, aux élections cantonales, le nombre de conseillères ne dépasse guère les 13 %.

Alors que vous nous avez récemment présenté un texte tendant à renforcer la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises, voilà que vous ne les considérez pas aptes, maintenant, à traiter des affaires départementales et régionales.

À l’instar des positions que nous avons fait valoir à l’occasion du débat sur la réforme territoriale, nous tenons, pour notre part, à ce que les prérogatives actuelles des collectivités territoriales soient maintenues et renforcées, tant ces collectivités jouent un rôle primordial dans la régulation et la prise en compte des besoins sociaux de nos concitoyens. Sans leur capacité d’intervention et d’innovation sociale, les services publics locaux, les crèches, les maisons de retraite et les clubs du troisième âge, les écoles et les centres de loisirs, les transports, les actions menées en matière d’économies d’énergie, le sport, la culture, bref, tout ce qui fait les services de proximité, qui répondent aux besoins et aux attentes des habitants, risque de disparaître pour laisser place à des marchés privés, lesquels ne s’adresseront plus qu’à ceux qui ont les moyens de se les offrir.

En vertu de notre engagement pour plus de justice sociale et parce que l’ensemble des dispositions contenues dans le texte présentent des incompatibilités manifestes avec nos normes constitutionnelles, nous défendons aujourd’hui cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion que nous vous invitons à adopter, mes chers collègues.

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