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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales

Par / 6 février 2008

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, en étendant aux écoles privées sous contrat d’association l’obligation de participation des communes au financement de la scolarité d’un enfant dans une autre commune, introduit de fait une véritable différence de traitement entre écoles publiques et privées.

En effet, une commune peut refuser d’assumer les frais de fonctionnement liés à la scolarisation de l’un de ses enfants dans une école publique située hors de son territoire. Elle ne le peut pas si l’enfant est scolarisé dans une école privée, et ce même si les écoles, publiques ou privées, qui se trouvent sur son territoire peuvent l’accueillir.

Cette disposition risque donc de fragiliser l’école publique. Un tel argument avait déjà été défendu par mon groupe en 2004, par le biais d’un amendement de suppression de l’article 89. À l’époque, nous avions également souligné les risques d’accroissement difficilement maîtrisables des dépenses des communes, de déstabilisation de la carte scolaire et de perte de pouvoir du maire, qui a pris, devant ses électeurs, un certain nombre d’engagements.

Nous avions raison, car, en 2006, des associations ont déposé un recours devant le Conseil d’État, lequel a annulé la circulaire du ministre de l’éducation nationale. C’est dans ce cadre que le groupe CRC avait déposé une proposition de loi visant à abroger l’article 89. Vous l’avez souligné, ma collègue Annie David avait alors conduit un travail d’auditions très poussé.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Un très bon travail !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le dernier débat budgétaire a vu resurgir cette question, sous l’impulsion de mon groupe, qui a déposé des amendements en ce sens. À chaque fois, une fin de non-recevoir nous a été opposée, par le biais d’arguments techniques destinés, en fait, à esquiver la discussion. Je me réjouis donc aujourd’hui de la tenue de ce débat.

Car chacun sait bien ici que rien n’est réglé, la situation des communes étant en effet très complexe. M. Arthuis l’a d’ailleurs souligné, en considérant que ce dispositif « impose une double peine aux communes vertueuses ».

Comment, en effet, justifier auprès des communes cette dépense imposée ? Je pense notamment aux communes rurales ou à petit budget, qui font des efforts pour maintenir sur leur territoire une école publique, afin d’assurer la scolarisation de tous les enfants. Comment, dès lors, prévoir des investissements à plus long terme ?

L’argument financier n’est effectivement pas négligeable : des associations ont estimé que cette mesure pourrait coûter de 132 à 400 millions d’euros aux communes, en fonction du montant du forfait communal par élève et du nombre d’élèves concernés.

Ce surcoût est préjudiciable à l’école publique. L’article 89 constitue ainsi un verrou supplémentaire à la création d’écoles publiques et risque donc finalement de mettre en danger le maintien et le développement de l’enseignement public.

Il faut rappeler une réalité : en France, 12 000 communes ne disposent plus d’école communale et 28 % des écoles ont deux classes au plus. Nous savons par ailleurs que la situation ne va pas en s’arrangeant.

L’école privée sous contrat scolarise plus de 2 millions d’élèves, soit un élève sur six. Les établissements qu’elle regroupe sont confessionnels pour 90 % d’entre eux. Rappelons qu’elle dispose déjà de moyens importants, avec un personnel enseignant formé et payé par l’État. Elle n’est cependant pas soumise aux mêmes obligations que l’école publique, qui garantit seule la proximité avec la population, la non-sélection des élèves, le respect des principes de neutralité, de gratuité et de laïcité.

Au demeurant, l’article 89 - c’est une autre source d’inquiétude - n’est pas sans incidence sur les prérogatives du maire.

Si des parents veulent scolariser leur enfant dans une école publique située hors de leur commune, ils doivent obtenir l’accord préalable du maire, faute de quoi la commune de résidence n’aura pas à payer de contribution.

À l’inverse, aucune demande de dérogation auprès du maire n’est nécessaire si les parents veulent scolariser leur enfant dans une école privée située hors de leur commune. Dans ce cas, le maire est contraint de payer.

Or, je le rappelle, toute dépense doit résulter d’une délibération en conseil municipal. Avec le dispositif que je viens d’évoquer, la dépense est imposée au maire a posteriori. C’est, de fait, une perte de contrôle de la gestion de la dépense communale, ce qui est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales fixé par l’article 72-2 de la Constitution.

M. Gérard Le Cam. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourtant, je rappelle que, avant l’adoption de l’article 89, rien n’interdisait à un maire qui le souhaitait de prendre en charge ce type de coût, avec l’accord de son conseil municipal. L’article 89 - c’est la principale différence - rend ce financement obligatoire, sans aucune concertation entre le maire et les parents.

Que l’on ne m’oppose pas ici l’argument du libre choix ! En effet, le libre choix, c’est celui de donner le droit à chaque enfant de pouvoir accéder à une école laïque, gratuite, de proximité, sur tout le territoire. Autre chose est la décision souveraine de parents de faire le choix, parfaitement respectable, de l’école privée.

Parler de libre choix, ce serait aussi parler de règles partagées par tous les établissements. Or, je l’ai déjà dit, les établissements privés ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que l’école publique. Quid, dès lors, de la laïcité fondatrice de l’école de la République ?

Et permettez-moi de dire, après d’autres, que, sur ce sujet, les récentes déclarations du chef de l’État à Rome et à Riyad avivent mes craintes.

Quelle est donc la meilleure solution ? Certainement pas le statu quo que vous proposez, monsieur le rapporteur, en prétextant que la nouvelle circulaire du 27 août 2007, signée conjointement par les ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur, aurait tout réglé, apaisant la situation...

Ce n’est pas l’avis de très nombreux maires, de gauche comme de droite. C’est le cas, notamment, dans mon département, les Hauts-de-Seine. Je crois savoir que c’est également le cas en Dordogne, votre département, monsieur le ministre, où la position de l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, est partagée. L’AMRF, qui a déposé un recours devant le Conseil d’État après la publication de la deuxième circulaire, appelle toujours les maires ruraux à ne pas payer les factures qui leur seront présentées par les écoles privées.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le nombre de contentieux est faible. Et pour cause : les factures ne sont pas encore arrivées ! En revanche, à ma connaissance, les délibérations de conseils municipaux qui refusent de payer se comptent par centaines.

Permettez-moi aussi de reprendre, monsieur le rapporteur, un argument que vous avez avancé en commission des affaires culturelles, et selon lequel un « compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré » aurait été trouvé.

Faites-vous référence à la rencontre du 16 mai 2006 entre le secrétaire général de l’enseignement catholique et le président de l’Association des maires de France, menée sous le patronage de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur ? Le relevé de conclusions de cette rencontre précise que le financement prévu à l’article 89 est rendu obligatoire si la commune de résidence est, aux termes du paragraphe 3 de ce relevé, « dépourvue de capacité d’accueil dans ses établissements scolaires ».

Dans le cas inverse, c’est le flou, car les deux parties précitées n’ont tout simplement pas trouvé de compromis, des divergences d’interprétation étant apparues.

On est donc loin d’un compromis, d’un cadre juridiquement fondé, d’un équilibre politique, d’un climat apaisé et d’une situation dans laquelle il serait urgent d’attendre. La question est loin d’être réglée et notre travail d’aujourd’hui est, de mon point de vue, parfaitement fondé.

À mon sens, l’abrogation de l’article 89 est la seule voie de sagesse pour l’instant, a fortiori si nous nous dirigeons vers le modèle d’école décrit par la commission Attali dans son rapport : une école sans carte scolaire, transformée en « supermarché », pour laquelle les parents disposeront d’un chèque-école utilisable dans tous les établissements, publics comme privés sous contrat d’association.

La généralisation du principe d’autonomie des établissements fixé par le Président de la République dans sa lettre de mission, repris par la commission Attali et, ce matin même, par la commission Pochard, associée à la suppression de la carte scolaire prend alors tout son sens et explique votre dérobade sur l’article 89.

Cette mesure prend sa place, en réalité, dans un tout cohérent qui n’aura plus grand-chose à voir avec notre école publique gratuite, laïque, d’égal accès pour tous et toutes sur le territoire. Il s’agit d’installer l’école dans une autre société, celle du chacun pour soi.

J’achèverai mon propos en réaffirmant que les sénateurs du groupe CRC partagent la préoccupation des milliers d’élus locaux opposés à la mise en oeuvre de l’article 89. C’est la raison pour laquelle ils soutiendront son abrogation.

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