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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Audiovisuel public, nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France : question préalable

Par / 8 janvier 2009

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand j’étais ministre de la santé, j’ai acquis l’idée que la façon dont un État traite la psychiatrie, la folie, en sachant qu’« un fou est aussi quelqu’un qui dit des vérités que la société ne veut pas entendre », disait beaucoup sur sa politique. Je dirai la même chose de la télévision, que certains ont d’ailleurs appelée la « folle du logis ».

La télévision touche à tout, aux institutions - elle est une parmi les plus grandes -, à la politique, à l’information, à la création, aux divertissements, aux savoirs, à l’imaginaire, à toutes « les allures de la vie » privées et publiques quelles que soient les générations. On ne s’en préoccupe donc pas à la légère.

Le Président Sarkozy a une ambition : il veut une réforme « historique ». Il n’affabule pas. Ses projets de loi, nous devons donc les traiter à la même hauteur, non pas comme un sujet technique annexe, en discutant seulement de la suppression de la publicité ou de la soirée TV commençant à vingt heures. Si on se limitait à cela, on cacherait le fond des choses. Or c’est sur le fond des choses que nous devons réfléchir, débattre et décider.

Notre assemblée est bafouée de voir que le projet de loi est déjà appliqué depuis le 5 janvier, par décision imposée à la direction de France Télévisions, alors que nous avons commencé son examen hier, mercredi 7 janvier. Nous devons répliquer pour défendre notre dignité en posant les vraies questions.

La première, la plus importante, c’est le cadre politique. Il s’agit de la manière dont la réforme a été préparée et imposée en défiant notamment le Parlement.

Nicolas Sarkozy se considère comme le « manager » de la France, qu’il veut, à marche forcée, transformer en « entreprise France ».

M. Alain Gournac. Il a raison, là aussi !

M. Jack Ralite. S’il n’est pas l’inventeur de cette idée berlusconienne, il la porte dans une situation de crise, de concurrence exacerbée, rendue non libre et toujours faussée par un capitalisme financier devenu prédateur.

Selon cette vision, nous serions dans une « guerre économique » avec un « front avant » de compétiteurs, notamment les grands groupes audiovisuels qualifiés de « champions nationaux », et un « front arrière » assurant la logistique à l’aide des secteurs publics de la santé, de l’éducation, de la culture et des services à la personne. D’un côté, la compétitivité, et, de l’autre, la cohésion sociale. Voilà cette philosophie libérale dangereuse et simpliste !

C’est pourquoi le Président de la République pense qu’il doit concentrer tous les pouvoirs, comme un PDG, exigeant la performance et des obligations de résultats de chacun. Mais la France n’est pas une entreprise et sa stratégie ne se fait ni à la corbeille ni au CAC 40.

La forteresse élyséenne a un cabinet pléthorique et onéreux avec des relations extérieures choisies, le tout assurant une « expertise d’excellence », base d’une véritable « industrie politique » autoréférentielle, en interaction avec un MEDEF qui s’est délivré de toute considération humaine à l’égard des non ou peu solvables. Le tout est un ordre de contraintes, un véritable bloc historique où étatisme et affairisme sont entremêlés. Le Président Sarkozy fabrique un État de droit privé qui détricote au sécateur le droit public. Un État privé de droit en quelque sorte ...

Nous, parlementaires, sénateurs ou députés, qu’avons-nous face à cette « démocrature » naissante mais déjà proliférante à travers une RGPP verticale s’ajoutant à une LOLF et à ses dérives que beaucoup de ses auteurs n’avaient pas prévues ?

Nous avons notre statut de représentants des citoyens et nos liens avec les collectivités locales. Mais soyons lucides, les problèmes sont de plus en plus complexes et volontairement techniques.

Nous avons les lobbies qui nous visitent avec leurs projets d’amendements tout prêts. Or l’intérêt général exige autre chose.

Nous avons une administration très compétente. Mais le Sénat devrait aussi bénéficier d’un service d’expertise et de recherche en relation étroite avec des universités. Le président Larcher devrait y songer vite dans son souci déclaré de favoriser notre travail. Autrement, nous risquons de devenir une représentation non représentante.

Nous menons un combat, surtout quand l’exécutif nous presse pour « alléger » nos travaux et écourter nos débats, et écorne à la machette notre droit d’amendement. Le terme « amendement » est d’origine rurale et signifie « modification dans le sens d’une amélioration de la fertilité du sol ». Eh bien, l’examen des projets de loi sur l’audiovisuel en est une expérimentation grandeur nature !

Le Président de la République instaure en fait un bougé constitutionnel. Il s’est arrogé le droit de nomination et de révocation des présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. Certes, cette nomination, qui demeure le fait du Prince manager, pourra être celle d’une personnalité d’ouverture. J’imagine même qu’il le fera, comme nous en avons l’expérience depuis son élection. Cependant, rien ne l’a empêché de muter M. Bockel, de bloquer Mme Amara, d’amoindrir M. Kouchner, de « caritativiser » M. Hirsch, de perdre M. Jouyet et d’absorber M. Besson.

M. Alain Gournac. Et ce n’est pas fini !

M. Jack Ralite. Cela touche même la majorité. Il n’a pas tenu compte de l’avis de M. Copé ni de sa commission, présentée publicitairement, puis ignorée péremptoirement. Il a même imposé à M. de Carolis de supprimer lui-même la publicité avec son conseil d’administration.

Il veut une télévision publique dont il rêve d’être le grand organisateur d’abord et le grand éducateur ensuite, en écho à la déclaration de Mme Parisot pour qui chaque chef d’entreprise devrait être comme un instituteur du « début du XXe siècle ».

La télévision n’est pas un pouvoir absolu, elle est un pouvoir important, surtout si l’on sait l’utiliser. À ce jour, Nicolas Sarkozy s’en sort bien : il maîtrise la TV du flot. Il utilise avec mépris la télévision à qui il fait faire tous les métiers ! Que sera-ce quand il aura les mains libres ? C’est ce que prévoit le projet de loi, malgré de faux freins : le CSA, qu’il a qualifié d’« hypocrite », et les commissions chargées des affaires culturelles parlementaires. À cet égard, on a vu comment la nôtre, par exemple, a été traitée lorsqu’elle a osé proposer d’augmenter raisonnablement la redevance, le 19 décembre dernier.

Et puis quel vocabulaire présidentiel ! Le débat à l’Assemblée nationale, qui ne lui convient pas, c’est la pagaille, comme les jeunes de la banlieue qui ne lui reviennent pas, c’est la racaille. Triste attirail verbal ! Qu’il ne s’étonne pas d’avoir maille à partir avec beaucoup, y compris dans son sérail.

Nous ne voulons pas que les libertés constitutionnelles déraillent, et cela n’est pas un détail. La télé mérite notre travail.

M. Dominique Braye. Aïe aïe aïe !

M. Jack Ralite. Nous, parlementaires, ne devons pas être sages, nous devons être courageux, assumant même dans la circonstance d’être désobéissants, et je pèse mes mots.

Mes chers collègues, courage donc ! Les lois auxquelles nous sommes confrontés sont une coproduction à trois. Elles visent à relever des défis : le fleurissement des nouvelles technologies, notamment du numérique qui a plus de trente ans, la multiplication massive des supports de diffusion, le lancement de la TNT, la télévision numérique terrestre, et son succès, les nouveaux entrants à dimension industrielle comme Lagardère, Bolloré et France Télécom, une nouvelle répartition des ressources - la redevance qui baisse, la publicité qui recule, les abonnements qui progressent et même la gratuité qui combat - et enfin la suppression de l’analogique pour 2011.

Le premier coproducteur de ces lois est le Président Sarkozy. Il suffit de relire la lettre de mission qu’il a adressée à Mme Albanel le 1er aout 2007, les discours du 8 janvier 2008 sur la suppression de la publicité sur France Télévisions et du 25 juin 2008 sur la stratégie qu’il a arrêtée.

Le deuxième coproducteur est le groupe Bouygues, qui possède TF1 et qui a transmis, avant les vœux de 2007, un Livre blanc de multipropositions - je devrais dire d’injonctions -, dont quatre fondamentales structurent le présent projet de loi.

La première, c’est l’assouplissement des contraintes pesant sur les groupes d’édition, c’est-à-dire la suppression du dispositif anti-concentration plurimédia voté en juillet.

La deuxième, c’est l’assouplissement de l’accès à la ressource publicitaire, c’est-à-dire l’application intégrale de la directive européenne SMA, services de médias audiovisuels, ce qu’a fait, à un chouïa près, contrairement à tous les autres pays d’Europe, le gouvernement français.

La troisième, c’est le financement du service public exclusivement par des fonds publics, c’est ce que décide, sans y parvenir, le projet de loi qu’on veut nous imposer d’adopter.

La quatrième, c’est libérer la programmation de ses obligations de production, c’est-à-dire gommer la définition de l’œuvre audiovisuelle. Ah qu’il gênait le vote unanime des deux assemblées du 22 novembre 2006 sur cette définition qui attend toujours un décret gouvernemental ! Il ne viendra jamais, le Gouvernement ayant préféré remettre cette définition à la négociation des acteurs, qu’une partie d’entre eux ont signée avec une diminution des obligations de production pour TF1.

Le troisième coproducteur est la philosophie libérale du rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel, élaboré par l’inspection des finances et la publicité réunies. Devenu feuille de route du Gouvernement, il impose une vision comptable et financière du savoir et de la culture, traités comme de simples actifs financiers.

Quand on a cette coproduction à l’esprit et qu’on en lit dans la loi le bégaiement servile, nous ne pouvons y répondre que par un « Non » majuscule de résistance. Avec le groupe CRC-SPG, nous allons faire notre devoir en pensant aux citoyens-téléspectateurs et à ceux qui exercent les métiers nécessaires à la télévision, des artistes aux techniciens et aux personnels administratifs. Nous ne jouerons pas au « non » parce que d’autres disent « oui », au « oui » parce que d’autres disent « non », nous essaierons d’être, comme le disait si finement Scott Fitzgerald, « la marque d’une intelligence de premier plan [...] capable de se fixer sur deux idées contradictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner ».

Nous voulons que la télévision de service public vive en France avec son héritage qui est grand, sans ses défauts qui ne sont pas petits, mais surtout avec un accomplissement que nous sentons voir venir. La loi Sarkozy est une loi fermée, une sorte d’« acte noir », dirait Hamlet, une déclinaison de la dogmatique managériale. On dirait que le Président veut conclure l’histoire de la télévision dans l’immédiat, en en pétrifiant le sens.

Quant à nous, nous proposons une Responsabilité publique de l’audiovisuel, de l’information et de la communication, la RESPAIC - qui est le féminin de respect -, locale, nationale et internationale. Dès 1987, les états généraux de la culture, avec des milliers d’artistes de toutes disciplines, sensibilités et esthétiques, ont avancé cette idée dans une Déclaration des droits de la culture qui fut traduite en quatorze langues - la japonaise, la chinoise, l’arabe.

Les médias et les moyens de communication électroniques sont devenus aujourd’hui un besoin essentiel pour la vie quotidienne de chacun, la société, l’économie, la démocratie et les échanges internationaux. Ce sont des biens communs, des biens publics mondiaux qui doivent être régulés à chaque niveau territorial de responsabilité. Ces biens publics doivent être reconnus dans un droit universel à la communication actualisé comme un droit de l’homme, conformément à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il est urgent de construire ce droit en France, en Europe et dans le monde : pour combattre les inégalités dans l’accès à l’information et à la communication et favoriser l’association humaine universelle, pour refuser la guerre économique fratricide des nations et développer les coopérations économiques et les échanges culturels, pour rejeter les enfermements dogmatiques et soutenir le développement de la culture, de la recherche, de la création et de l’innovation.

Pour se fassent la reconnaissance et la mise à jour de ce droit universel à la communication, nous avons besoin de cette RESPAIC, qui fixe les principes fondamentaux de la régulation et de l’éthique universelles.

Cette RESPAIC se définit par des missions, des droits et des obligations d’intérêt général appliqués à l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel et des communications électroniques, qu’ils soient privés ou publics, locaux, nationaux ou internationaux.

J’en profite pour vous dire que M. Meirieu a rédigé dans Le Monde un article de très grande qualité sur la responsabilité des médias, sur lequel nous devrions beaucoup réfléchir.

C’est une manière concrète d’aborder cette question.

Je rappelle que, dans la loi du 1er août 2000, que Catherine Tasca connaît bien pour y avoir tenu la plume, il existe une définition des missions qui préfigure cette responsabilité, sur laquelle nous devrions également réfléchir.

Voici ce qu’il en est de ces missions.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Ralite.

M. Jack Ralite. J’en ai presque terminé, monsieur le président.

Premièrement, le respect du pluralisme de l’information et des esthétiques, de la diversité des expressions culturelles nationales et régionales en intégrant notamment une solide réglementation anti-concentration.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est très intéressant !

M. Jack Ralite. Ce pluralisme doit s’entendre comme le droit à être informé, mais aussi comme le droit d’informer. Cela conduit à permettre à un secteur associatif non-marchand à avoir droit de cité dans notre pays.

Deuxièmement, la recherche d’un large public pour les médias audiovisuels afin d’informer, de cultiver et de distraire, pour renforcer le lien social, notamment par des programmations généralistes de qualité.

Troisièmement, le soutien substantiel à la recherche, à la production de programmes et à la création audiovisuelle.

Quatrièmement, le développement massif d’éducation populaire aux technologies et aux nouveaux services, notamment la maîtrise de l’internet, la lecture critique des médias, l’apprentissage de l’image.

Cinquièmement, la maîtrise publique des réseaux et des infrastructures, en particulier de l’internet et des réseaux à très haut débit, qui doivent être reconnus comme des biens publics mondiaux et régulés de façon multinationale dans le cadre des instances de l’ONU.

Sixièmement, le développement rapide des infrastructures en fibre optique et la reconnaissance de l’internet à haut débit comme un service public universel accessible à tous.

Septièmement, le développement des coopérations internationales, notamment européennes, pour la diffusion et la production audiovisuelle, avec la création d’un pôle public européen des industries de l’audiovisuel et des communications électroniques.

Huitièmement, l’affectation de moyens financiers publics et privés, de prêts bancaires pour le développement des réseaux à haut débit, la recherche, la production et la création de services, de programmes et de logiciels innovants et éducatifs.

Récemment, au cours d’une réunion du Collège de France au lycée technique Le Corbusier à Aubervilliers, le conférencier Predrag Matvejevic, un Bosniaque professeur à l’université de Rome, a dit : « Nous avons tous un héritage et nous devons le défendre mais, dans un même mouvement, nous en défendre. Autrement, nous aurions des retards d’avenir, nous serions inaccomplis ».

C’est cela la responsabilité publique que ne prend nullement en compte la coproduction Sarkozy-Bouygues-Jouyet-Lévy.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Ralite.

M. Jack Ralite. Je conclus, monsieur le président.

Cette responsabilité publique, cette RESPAIC ouvre, comme dirait l’anthropologue Georges Balandier, des « fenêtres sur un nouvel âge », tandis que la coproduction législative qu’on veut nous imposer, sur l’initiative arbitraire du Président de la République, tire les volets.

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