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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Diffusion et protection de la création sur internet : explication de vote

Par / 30 octobre 2008

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la fin de ce débat, qui a été marqué par des moments très intéressants, je ne peux m’empêcher d’exprimer un certain malaise, une certaine insatisfaction : on a beaucoup parlé des aspects techniques et juridiques, mais fort peu de politique, de société et, surtout, de valeurs.

L’homme qui s’est le mieux exprimé sur l’objet de notre débat, c’est Georges Balandier, qui déclarait voici quelque temps : « Nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrice. » Il ne cesse de le répéter, et il apparaît chaque jour un peu plus qu’il a profondément raison.

À cela, il est impossible d’apporter une réponse exclusivement juridique. En effet, des changements importants se produisent. Et quand un nouveau projet de loi apparaît, on a surtout envie de ne pas avoir de retard d’avenir, de ne pas être, comme disait René Char, « inaccompli ». Les défis sont nombreux : défi démocratique, défi de création, défi scientifique, défi numérique.

Le problème consiste d’abord à voir dans ces « nouveaux nouveaux mondes » le rôle que jouent les nouvelles technologies.

En vérité, elles ont pris une place qui est une sorte d’usurpation au rapport si fondamental, mais si mal traité en ce moment, entre la science et la société. La science apporte, crée, doute et fait douter.

Il faut dire un mot des nouvelles technologies : elles ne datent pas d’aujourd’hui, car, si révolution il y a eu, celle-ci a eu lieu au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ; aujourd’hui, nous sommes dans l’application.

En se substituant dans la pensée courante aux sciences, les nouvelles technologies organisent finalement comme un fatum sur la vie sociale. Elles ont décidé qu’il en allait ainsi, et leurs propriétaires, que tout le monde connaît bien ici, c’est-à-dire les grandes affaires, s’en servent.

Je me souviens d’un colloque organisé voici peu au Sénat, au cours duquel M. Alain Madelin déclarait ceci : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle. ». C’est à mon avis une bêtise énorme, mais il n’empêche que cette bêtise circule et marque les esprits !

Dans le même ordre d’idées, M. Alain Minc disait un jour, au cours d’un débat organisé à l’UNESCO auquel nous participions tous deux : « Si vous voulez comprendre ma position et la réalité, le marché est naturel comme la marée. »

Dans un cas comme dans l’autre, on exclut l’homme, on en fait un être de raccroc, un être subsidiaire. Et l’on dit : « Obéissez aux nouvelles technologies ! » Il faut le dire, parce que, autrement, on ne comprend pas la situation.

Pour ma part, je dis « non » à cette espèce d’impérialisme des nouvelles technologies et à ceux qui s’en servent contre les hommes au lieu de les laisser ce pour quoi elles ont été inventées : servir les hommes. Les propriétaires, c’est-à-dire les grandes affaires, font exactement l’inverse.

D’ailleurs, les accords de l’Élysée ont été conclus sur la base exclusive du marché. Les acteurs présents étaient tous soit les laudateurs du marché, soit ceux qui ne peuvent pas s’en passer, parce qu’ils ont besoin des laudateurs.

Je me souviens de M. Denis Olivennes énonçant ses vérités au cours d’une réunion à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD. Je lui disais que je pensais que cela ne fonctionnerait pas et que je le trouvais drôlement gentil. Il me répondit : « Voyez-vous, monsieur Ralite, je ne suis pas gentil, je suis cynique. Je saisis une opportunité ! » C’est vraiment aborder le problème par le petit bout de la lorgnette ! Tout le monde sait bien que, dans les discussions privées, Pascal Nègre prétend lui-même que cela ne fonctionnera pas !

Alors, à quoi joue-t-on ? Quel théâtre construit-on devant nous ? Qui veut-on tromper ? Pour les auteurs, c’est tout à fait important. Dans la vie, l’argent joue un rôle sur plusieurs plans : il peut être un don, il peut être une vente - c’est le marché -, mais il peut être aussi une transmission. Les auteurs jouent un rôle très fort dans la construction du patrimoine symbolique d’une société. Ce faisant, ils transmettent. Et le marché lui-même ne peut pas tout régler. Il existe des activités hors marché.

Il est intéressant de mesurer ce que les auteurs gagnent avec les nouvelles technologies, et, tout à l’heure, une collègue du groupe socialiste a évoqué ce point.

Sur la plate-forme de téléchargement légal iTunes, un morceau de musique est vendu 0,99 euro, soit 0,79 euro hors taxes. L’auteur ne perçoit que 0,07 euro par téléchargement.

Prenons l’option Musique Max, d’Orange. L’abonnement mensuel coûte 12 euros, soit 10 euros hors taxes, pour cinq cents titres téléchargés. L’auteur perçoit donc 0,02 euro par titre téléchargé, soit 35 fois moins que chez iTunes.

En fait, les majors prennent une avance globale sans se préoccuper de la part revenant aux auteurs, aux artistes. Je n’oublie pas le droit moral, dont on ne parle plus, dont elles ne veulent plus entendre parler, et qui exige pourtant une bataille rigoureuse, une bataille démocratique.

Ces nouvelles technologies ne sont pas stables ; elles bougent, elles évoluent. Aujourd’hui, le site Deezer en témoigne, qui permet une écoute en continu sans possibilité de téléchargement. Son audience est telle qu’il bat en brèche les sites de téléchargements.

Ce projet de loi est obnubilé par le fatum, mais il ne tient pas compte du processus qu’est la vie sociale, qu’est la vie moderne, qu’est la vie tout court. Je le dis comme je le pense : cela ne marchera pas !

J’éprouve personnellement une angoisse, qu’Ivan Renar et les collègues de notre groupe partagent. Ici, on entend toujours dire qu’il « faut » faire. Mais si l’on n’aboutit pas ? La DADVSI a échoué. Mais si ce nouveau projet de loi échoue lui aussi ? Je vois bien le Gouvernement dire aux auteurs : « Il va bien falloir que vous revoyiez le droit d’auteur ! » Aussi, on ne peut pas prétendre qu’on construit quelque chose de solide pour les auteurs, et c’est grave.

J’ai évoqué le mot « valeurs ». On parle des internautes. Je suis comme les gens sérieux : quand je bois de l’eau, je la paie. Je sais bien qu’il ne s’agit pas là du même produit, de la même réalité. Il s’agit là d’une spiritualité. Aussi, je ne peux pas adhérer à la captation sans rémunération pour les auteurs.

Ce soir, trente-sept jeunes passent en jugement devant le tribunal de Nanterre pour avoir procédé à des téléchargements illégaux en 2003. Je ne connais pas encore le verdict, mais j’ai pris connaissance tout à l’heure de la position du procureur et de celle des plaignants, c’est-à-dire Microsoft, la société de diffusion du film et la société de vidéos ; ils réclament des sommes faramineuses : 750 euros par film téléchargé !

L’un des jeunes prévenus - c’est le fils de l’un de mes amis - me rappelait au téléphone que, lorsque l’affaire a démarré, en 2003, six gendarmes, après l’avoir mis sur écoutes de mai à octobre, se sont présentés un matin au domicile de son père, chez qui il habitait. Ils ont saisi tous les matériels, dont dix DVD sur lesquels étaient gravés dix-neuf films téléchargés et dix logiciels de jeu. Tous ces jeunes étudiants se partageaient les téléchargements.

Depuis cette date, il a été interdit à ce jeune homme de quitter l’Île-de-France, sauf à demander une autorisation exceptionnelle quinze jours auparavant. Il a dû se présenter tous les mois au commissariat de police d’Aubervilliers !

Je trouve qu’il faut payer ce que l’on consomme, et je ne dis pas à ces jeunes gens, qui ont quitté un domaine de valeurs, qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Néanmoins, notre société leur offre un sacré spectacle ! Et ce n’est pas la crise actuelle qui me fera dire le contraire ! Où sont les valeurs des grandes affaires, qui, depuis des années, nous disent : « Dérégulez ! Dérégulez ! Ce sera le bonheur ! » ? Eux, ils dérégulent, c’est un petit bonheur, et, après, ils sont condamnés ! Cela soulève une immense question de société, qu’il nous faut régler et qui demande un important travail d’éducation.

Les grandes affaires n’ont pas de valeurs. Elles l’ont prouvé ! Et qu’elles ne viennent pas s’excuser aujourd’hui ! Ce sont des choses qu’on ne pardonne pas !

J’ai toujours pensé que, quand un peuple abandonne son imaginaire aux grandes affaires, il se condamne à des libertés précaires. En ce moment, ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre, c’est l’argent !

Bien évidemment, j’ai apprécié le travail des deux rapporteurs. Incontestablement, voilà des dossiers qui ont servi pendant nos débats et qui serviront encore. Mais cela ne me suffit pas pour me donner envie de crier : « Hip, hip, hip ! Hourra ! »

Lorsque Ivan Renar a défendu tout à l’heure l’amendement n° 161, il avait à l’esprit les idées que je viens de condenser et qui sont, en quelque sorte, notre bien commun. Nous partageons en effet le souci de ne pas refaire la même erreur que lors de l’adoption de la première loi, celle que l’on nous a tant louée ici même. Je me souviens encore des propos du ministre de l’époque qui se disait comblé par le texte, censé tout résoudre et servir d’exemple à l’Europe tout entière ! Or j’ai entendu des expressions quasi identiques tout à l’heure...

Ivan Renar a fait une proposition qui était la sagesse même : que le nouveau dispositif fasse l’objet pendant deux ans d’une évaluation et, au terme de cette période, en fonction des résultats obtenus, qu’il soit maintenu, modifié, ou supprimé. Mais cet amendement a été rejeté !

J’entends certaines voix s’élever parmi les auteurs - que j’apprécie tant ! -, pour affirmer que ce texte est un moindre mal. Mais ce n’est pas avec des « moindre mal » que l’on fait l’histoire ! C’est avec des décisions nettes, précises et acquises !

Dans ces conditions, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre groupe avait opposé un « non » catégorique à la loi DADVSI, il juge aujourd’hui, s’agissant du présent texte, que l’on peut mieux faire, que l’on doit mieux faire. Nous nous abstiendrons donc. Et cette abstention, je vous l’assure, est combative !

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