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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Musée du Louvre d’Abou Dabi

Par / 25 septembre 2007

Comme tout le monde ici, je suis pour la circulation des oeuvres. Mais comme le dit si bien Octavio Paz, « le marché est efficace, mais il n’a ni conscience, ni miséricorde ».

La tradition du travail muséal en France, c’est précisément la conscience et la miséricorde. Or voici inscrite précipitamment -en pleine session extraordinaire, excusez du peu !- la ratification du projet de Louvre à Abou Dabi, préparée sans concertation, en grand secret. Si ne s’étaient pas exposés les 5 500 signataires de la pétition du monde de l’art, on se serait cru dans le secret défense ! Pourquoi ce secret, si c’est si beau, si bien, si bon ? C’est que ça ne l’est pas !

Le fond des choses se résume à ceci : les Émirats Arabes Unis sont bourrés de pétrole, friands d’armements et acheteurs d’Airbus. Son Louvre sera construit sur une île réservée à la gentry internationale et inaccessible au petit peuple.

Voix à droite. Il n’y en a pas, là-bas !

M. Jack Ralite. - Un rapport a été remis le 23 novembre 2006 à M. Breton, ministre des finances ; ses signataires sont inspecteurs des fiances ou industriels, un seul d’entre eux appartient au monde de l’art.

M. Jacques Valade, président de la commission. - L’un d’eux est devenu ministre !

M. Jack Ralite. - Pas celui qui appartient au monde de l’art !

Dans ce rapport Lévy-Jouyet, tout l’accord du 6 mars est développé, y compris ce en quoi il viole le code de déontologie des musées. On y lit, à la page 123, une recommandation incitant les musées à classer leurs oeuvres en deux catégories, les trésors nationaux et les oeuvres susceptibles d’être aliénées, et à vendre certaines de celles-ci. Classer ainsi les oeuvres d’art, c’est les réifier.

Le 5 mars, je disais à M. Donnedieu de Vabres : « Puissiez-vous ne jamais regretter la signature que vous allez apposer demain. » Il m’a répondu qu’il n’avait pas mis dans le contrat l’application de ce passage sur la vente des oeuvres. Je lui ai rétorqué : « Pour combien de temps ? » Eh bien, nous y sommes ! Dans sa lettre de mission à Mme la ministre de la culture -dont je salue l’action à Versailles-, le Président de la République lui demande d’engager une réflexion sur « la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des oeuvres de leurs collections ».

Je suis certain que nombreux sont parmi vous ceux que de telles idées choquent, comme lorsqu’on a tenté de supprimer le ministère de la culture, sauvé in extremis ce printemps par l’action des artistes.

Cette idée d’inaliénabilité des oeuvres d’art a été imposée au XIIe siècle par les juristes royaux, contre la volonté des rois, pour protéger le patrimoine. Celui-ci, cette création de l’Histoire, est en danger, tout comme la création contemporaine.

J’étais samedi à Avignon pour fêter le soixantenaire de la création des semaines théâtrales par René Char et Jean Vilar. Celui-ci avait raison quand il parlait, dans une lettre à Malraux du 17 mai 1971, du « mariage cruel » entre les créateurs et le pouvoir. Pensons à René Char -« Comment vivre sans inconnu devant soi ? »-, à Braque, à Apollinaire rappelant l’invention de la roue, « qui ne ressemble pas à une jambe ». C’est cela la création !

A ce journal qui titre « Comment les musées ont appris à gagner de l’argent », j’oppose Saint-John Perse, selon qui « la poésie, c’est le luxe de l’inaccoutumance. »

Les musées n’ont pas à gagner de l’argent mais à amener le plus grand nombre à la contemplation des oeuvres de l’esprit. L’autre jour, j’assistais à l’inauguration de la cité de l’architecture. Un fort beau musée, mais en d’autres temps, on aurait mis en avant le ministère ; aujourd’hui, on parle des « partenaires fondateurs » : Bouygues, Vitra... Cette présence obsédante n’est pas sans conséquence.

M. Pierre Fauchon. - Les Médicis étaient des banquiers !

M. Jack Ralite. - Et que dire de la nomination de l’ancien directeur de cabinet de M. Aillagon à la direction de Sotheby France, où l’on vend aux enchères le patrimoine ! Est-cela la création ? Non !

Comme le dit Boulez, « toute oeuvre nouvelle est faite d’une confrontation entre le passé et l’avenir ». Les artistes connaissent la souffrance qu’il y a à sortir de soi la tradition. Mais ce n’est pas la création qui intéresse les marchands, c’est la vente !

M. Pierre Fauchon. - Il faut bien des mécènes, comme à la Renaissance !

M. Jack Ralite. - Mais ils n’ont pas à devenir rois !

M. Pierre Fauchon. - Les Médicis !

M. Jack Ralite. - Les paroles des artistes se dressent contre le nouvel esprit des lois présenté par le Président de la République. À la cité de l’architecture, il a dit n’être pas porteur d’une conception utilitariste de la culture. Celle-ci, a-t-il ajouté, vaut pour elle-même et n’est pas une simple marchandise. Elle n’est « pas un supplément d’âme mais l’âme même de la civilisation ». Je suis d’accord mais pourquoi alors imposer le contraire à son ministre de la culture ? Pourquoi dire une chose et son contraire ?

Je pense à ce propos d’un professeur à l’université La Sapienza de Rome : « nous avons un héritage, nous devons le défendre et nous en défendre ; autrement, nous aurions des retards d’avenir et nous serions inaccomplis ». Je ne veux pas que la France soit en retard d’avenir et je ne veux pas de citoyens inaccomplis ! Un jour, Char a lancé « l’inaccompli bourdonne d’essentiel ». Quel beau programme !

Voter ce projet reviendrait à accepter une logique commerciale qui a été initiée sans concertation pour justifier au nom de la démocratisation un désengagement de l’Etat et faire de l’art un atelier de l’occasion. Invoquer Malraux en la circonstance, c’est renier celui qui voyait dans le musée la plus haute idée de l’homme.

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