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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réconcilier la création avec l’ère du numérique

Par / 16 mars 2007

Introduction au séminaire de travail interdisciplinaire "Création et numérique"

Chacune et chacun d’entre vous,

Bonjour, et merci de votre participation à ce séminaire que nous souhaitons être une « dispute » sur le thème « société et numérique ». Il occupe souvent le devant de la scène, notamment dans les quotidiens, mais surtout fait maintenant partie de la vie des personnes. Nous vous proposons de nous polariser sur la problématique « culture et numérique » en vue de dégager des réflexions constructives.

Il s’agit moins d’approfondir l’analyse que de cerner les questions clefs et de proposer des pistes d’action à débattre. Sur les 7 heures de notre séminaire les exposés auront 2 heures à leur disposition, et les échanges 5 heures. Notre nombre relativement restreint devrait faciliter cette pratique, cette dynamique. Les exposés concerneront les questions verticales (cinéma et numérique, audiovisuel et numérique etc.) et horizontales (public et numérique, industrie et numérique etc.) et les tensions et les articulations que cela implique.

C’est d’autant plus important que l’approche du numérique est trop souvent fatalisée, approchée d’une manière éclatée et ne connaît qu’un mot, l’adaptabilité à la technique, comme si l’histoire de la peinture se résumait à l’histoire du pinceau. Cette adaptabilité est un choix de société, qui, fondamentalement est à l’origine du choix de la technique nouvelle.

En disant cela je pense à un propos de Pierre Boulez : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l’immobilité illusoire du passé mais le projeter vers le futur avec peut-être l’amertume de l’inconfort mais plus encore avec l’assurance de l’inconnu (...) avoir le sens de l’aventure ne veut pas dire pour autant brouiller les traces, ignorer l’antécédent. Curieusement, la création s’appuie constamment sur deux forces antinomiques la mémoire et l’oubli. »

Une question cristallise ces problèmes, la propriété intellectuelle. On l’a vu lors de la discussion de la DADVSI au parlement qui a donné lieu à des affrontements houleux par exemple autour du « peer-to-peer » et de « l’interopérabilité ». La loi est boiteuse, « mauvaise et exécrable dans la forme » disait dans un colloque vendredi dernier le professeur Lucas. J’ai participé au débat au Sénat et suivi celui de l’Assemblée nationale. Beaucoup de principes étaient avancés par le gouvernement dans une démarche du style « appuyons sur les principes, ils finiront bien par céder » (de Portalis).

Cette loi n’a pas vraiment de cap, elle est handicapée et handicapante pour qui est attaché à la création, cette « bête fabuleuse », selon André Breton, pour qui est passionné par la « belle numérique ». Entre cette « belle » et cette « bête », il faut réussir un mariage, une « mêlée », avec son contrat d’usage - c’est un travail inouï qui nourrira une nouvelle loi, mais après des « Etats Généraux sur le Numérique et la Culture » pouvant avoir lieu à l’automne, ce séminaire en étant une prémisse.

Pour être très pertinents toutes les cartes doivent être mises sur la table. Les atouts historiques incontestables que sont le numérique et l’Internet ne sont pas suspendus dans le vide. Ils dépendent de qui les possède, comme il s’en sert et avec quelles finalités. Dans le considérant 7 de la directive européenne que la DADVSI a traduit on lit « le cadre législatif, communautaire, relatif à la protection du droit d’auteur et des droits voisins, doit être adapté et complété dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».

La préoccupation culturelle ne vient qu’au considérant 19 : « le droit moral reste en dehors du champ d’application de la présente directive ». Et certains chiffres montrent que le signal a été compris. A l’Assemblée Nationale en première lecture, sur les 17 séances, le droit moral a été évoqué 12 fois et le marché 114. Lors de la première séance, séance préface, le droit moral 0 fois et le marché 29 fois.

Notre « dispute » ne peut ignorer le nouvel « esprit des lois », la concurrence libre et non faussée. La pression a été si forte qu’elle a aux yeux du grand public réduit le débat de la DADVSI à une lutte guerrière entre auteurs et internautes tandis que les affaires, Vivendi, Microsoft, Google, etc. restaient dans les coulisses sauf dans les assemblées où elles ont lobbyisé à vu et à outrance. Dans ce débat les grandes questions étaient à résoudre dans le sens de l’intérêt général en abordant « l’immatériel » comme un « bien commun ». Les véritables auteurs de la loi se sont inspirés du rapport Levy-Jouyet à Thierry Breton qui propose de mettre « les actifs immatériels publics au service de l’économie » et de traiter les sites et institutions publiques comme des « marques ». Autre manière de dire « cerveaux disponibles ».

C’est avec des « cerveaux émancipés » que l’on « dispute » le mieux. Au passage je vous invite à lire un article d’Yves Clôt, titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM paru dans « La Croix » de samedi dernier, où il montre je cite que « lorsqu’on assèche le continent du travail de son potentiel créatif on brise les ressorts de sa « demande » à l’égard des artistes. Au mieux on fabrique le souci de se distraire (...) Sans destinataire dans le monde du travail, la création artistique est donc en danger (...) elle respire mal et se rouille en marchandise. » Pour les Etats Généraux de la Culture, la lucidité sur le travail et sur le rôle des grandes affaires, toujours plus puissantes aujourd’hui, sont des incontournables.

Ceci dit, le numérique et l’internet doivent d’abord être abordés positivement. René Char ne disait-il pas : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? ».

1. au plan de la diffusion : on va loin, vite, et partout. C’est un élargissement potentiel étonnant des publics. Tout se passe à une nouvelle échelle.
2. au plan de la démocratie : l’échange est multidimensionnel, ce qui est appelé « l’interactivité » n’a jamais eu d’outil de masse de cette ampleur.
3. au plan de la création : de nouvelles audaces créatrices sont permises. La création est un processus. Le numérique permet d’objectiver un moment du processus et de travailler dessus. Il permet mieux que tout, la création collective.
4. au plan de la transmission et de l’éducation : comment ne pas rêver avec les possibilités offertes par la nouvelle encyclopédie (collaborative) Wikipedia et Google.
5. au plan du droit : le travail législatif est aujourd’hui enrichi par une pluralité de sources.
6. au plan international : à l’instant T, on est ici et ailleurs. « L’espace public » est agrandi à l’échelle de la planète.

Il s’agit d’atouts à ne pas ignorer, ce qui oblige à des sauts de pensée qui ont notamment une dimension de vigilance.

Reprenons les 6 points :
1. Les systèmes de diffusion actuels sont court-circuités, comme dans le livre (menace sur les librairies), dans le cinéma (menace sur la diversité des films). Quelle parade pour servir le livre et le cinéma ?
2. L’utopie technologique ne doit pas se substituer à l’utopie sociale.
3. La définition de l’œuvre de l’esprit comme droit de la personne, celle de l’auteur sont mises en jeu par l’œuvre-produit et le public-consommateur.
4. Le savoir n’est pas l’information et surfer sur le net court-circuite l’acquisition des fondamentaux.
5. Au plan du droit, le tri entre légalité et illégalité perd de son opérativité. N’y-a-t-il pas intérêt à explorer ce que l’on pourrait appeler l’extra-légalité ?
6. Il faut redéfinir et construire l’espace public sur le plan international et plus particulièrement en Europe.

Tout cela est un travail immense où doivent se rencontrer et se confronter experts et experts du quotidien avec au cœur de leurs préoccupations la place et une nouvelle définition du Service Public en faisant sauter les frontières autour du concept de « bien de l’humanité ». C’est la mise à jour et en œuvre d’une responsabilité publique nationale et internationale que l’OMC même accompagnée du vote de l’UNESCO sur la « diversité culturelle » ne peut assumer. N’est-il pas opportun de réfléchir à une charte du numérique et Internet. Pensons-y au-delà de l’analyse. En France, 5 lois ont été votées sur le numérique, la dernière en date concernant la « télévision du futur », laquelle, ignore superbement le Service Public, régularise en les intensifiant les droits des grandes affaires notamment de se concentrer, alors que la grande tâche est de réguler.

Je conclus avec Jean-Pierre Vernant :

« Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit, par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont ».

« Le vrai courage c’est au-dedans de soi, de ne pas céder, de ne pas plier, de ne pas renoncer. Etre le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage ne réussissent pas à briser. »

« Pas d’homme sans outillage, mais pas d’homme non plus à coté des outils et techniques sans langage ».

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