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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Aéroports : question préalable

Par / 9 novembre 2004

par Robert Hue

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Cher(e)s collègues,

La question préalable que nous vous opposons vise à démontrer à notre assemblée que le projet de loi qui nous est soumis dépasse très largement la seule question du changement de statut juridique de l’entreprise Aéroports De Paris. En effet, au-delà de ce texte constitué d’articles aussi lapidaires qu’inquiétants, se cachent des enjeux très lourds de conséquences pour les usagers et les salariés du transport aérien, mais aussi pour les habitants et les élus locaux riverains des plateformes aéroportuaires. Il s’agit bien d’un projet de loi s’inscrivant dans le cadre de la déréglementation européenne des services publics de transport aérien.

Vous le savez, derrière la question du statut juridique d’Aéroports De Paris, se jouent des questions d’aménagement du territoire, de maîtrise foncière, d’environnement, d’avenir financier des collectivités locales riveraines, de protection et de sécurité, de transparence, de démocratie, et encore d’avenir pour ce qui concerne la compagnie Air France ; tout cela mérite bien mieux qu’un débat législatif et un projet de loi bâclés et engagés à la hussarde.

Nous ne sommes pas les seuls à regretter le manque de concertation évident qui a présidé à la préparation de ce texte et qui s’est traduit par l’unique audition du Président d’ADP, Pierre Graff.

Dans ce contexte, comment ne pas s’étonner des inquiétudes exprimées par nombre d’interlocuteurs, de professionnels et de représentants syndicaux de l’aviation civile, de l’aviation marchande et des compagnies aériennes regrettant cet état de fait alors qu’il n’y avait aucune urgence dans l’actualité nécessitant l’adoption d’un tel calendrier.

Le communiqué de la Fédération nationale de l’aviation marchande est à ce sujet éloquent, tout autant qu’il révèle le niveau et la hauteur des enjeux de ce projet de loi.

Il commence ainsi : « La profession s’étonne et regrette vivement que les pouvoirs publics n’aient pas jugé utile de répondre à sa demande d’être consultée dans l’élaboration de ce projet » et termine par « Au-delà les intérêts propres, les enjeux économiques, sociaux et d’aménagement attachés à ce projet justifient qu’il fasse l’objet d’un large débat public. »
Nous ne disons pas autre chose. Les élus locaux et les associations de riverains ont subi les visions technocratiques et le manque de transparence de cette entreprise quant à ses décisions concernant la vie quotidienne de dizaines de milliers de riverains des plateformes aéroportuaires. Nous pouvons aisément et légitimement nous inquiéter du comportement qui sera celui de l’entreprise ADP, lorsque celle-ci sera libérée de ce qu’elle appelle les « contraintes » que lui impose son statut actuel.

Nous savons que si nationalisation et étatisation ne riment pas systématiquement avec démocratie et transparence, vous savez que privatisation et libéralisation sont antinomiques de ces notions, et l’expérience le montre, ici et ailleurs... Oui ! Ce texte de privatisation que vous nous présentez est gravissime et nous y sommes radicalement opposés.

Ainsi, quand les exposés des motifs justifiant les raisons de cette loi invoquent de nouveaux besoins en terme de capacité d’accueil, de réactivité des grandes plateformes aéroportuaires, la volonté de créer les conditions d’un nouveau développement du hub d’Air France à Roissy Charles-de-Gaulle dans un contexte d’intensification de la concurrence et de volonté de se doter de modes de fonctionnement compétitifs : Or tous ces éléments ne seront pas les priorités de l’entreprise gestionnaire.
Cette vision et cette perception d’un nouveau développement du transport aérien ne peuvent qu’alarmer davantage les salariés et riverains de Roissy, les élus d’Ile de France et plus particulièrement l’élu Val-d’Oisien que je suis.
Au-delà la concentration des moyens sur des dessertes jugées rentables, créant de véritables disparités territoriales, que le projet de loi va obligatoirement renforcer, nous entérinerions, si cette loi était votée en l’état, une nouvelle escalade des nuisances subies par les riverains de Charles-de-Gaulle.

Ces nuisances, déjà considérables, sont telles que l’ensemble des élus de toutes sensibilités de mon département s’était mobilisé autour de l’idée d’un 3ème aéroport, hors d’Ile de France et avaient applaudi, en son temps, cette décision du gouvernement de gauche.

Au moment où vous décidez de rompre cet engagement de l’état, et où nombre de mes collègues Val-d’Oisiens appartenant à votre majorité, voir ministre de votre gouvernement, malheureusement se taisent aujourd’hui, que deviennent les promesses faîtes en ce qui concerne le plafonnement du nombre de mouvements journaliers dans le ciel de Roissy Charles-de-Gaulle et l’interdiction des vols de nuit ?

On atteint déjà le nombre de 700 000 mouvements annuels en lieu et place des 550 000 annoncés et la perspective de développement de l’aviation civile de 4,3 % par an nous amènera très rapidement, sur Roissy, au million de mouvements.
Les conséquences sur les 400 000 riverains de l’aéroport qui subissent quotidiennement ces nuisances ne sont pas neutres, ce que démontre une enquête épidémiologique récente - pour partie financée par le Conseil Général du Val-d’Oise - qui met particulièrement l’accent sur la nocivité des vols de nuit, générateurs de stress, d’insomnie, et d’accentuation des pathologies cardio-vasculaires.

Une seconde enquête, diligentée début 2004 par Airparif, démontre que les riverains de Roissy Charles-de-Gaulle subissent un niveau de pollution identique à celui de ceux du périphérique parisien...

Face à de tels problèmes de santé publique et à la perspective d’un doublement du volume de transport aérien d’ici à 2015, les motifs évoqués dans ce projet de loi pour dessaisir l’état et confier la gestion des plateformes aéroportuaires à un prestataire privé ne peuvent qu’inquiéter et recueillir notre opposition la plus radicale.

Au-delà, la volonté de confier à Aéroports De Paris la gestion de l’ensemble du foncier appartenant à l’Etat sur le périmètre des aéroports est également un choix extrêmement dangereux pour l’avenir.

De fait, ce projet de loi, qui fait suite à la mise en place des Communautés aéroportuaires, entérine le fait que les élus locaux n’auront plus, dans l’avenir, leur mot à dire sur les questions essentielles d’aménagement du territoire.

Pour exemple, les ambitions dévoilées du PDG d’ADP sur le développement débridé du commerce sur Roissy Charles-de-Gaulle, sans réflexion ni concertation, sont révélatrices des dangers sous-jacents sur ces questions.

La presse régionale faisait justement état ce week-end du comportement unilatéral d’Aéroports de Paris dans ses projets commerciaux ; celle-ci relatait qu’autour d’un projet commercial de 50 000 m2 ni les chambres consulaires, ni les élus concernés n’avaient été consultés, prouvant ainsi que l’entreprise ne se sent nullement préoccupée des questions d’un développement harmonieux du territoire, sur lesquelles elle avait pourtant été bien souvent interpellée.

Quand l’on sait qu’ADP possède déjà d’énormes réserves foncières, allant bien au-delà des périmètres des plateformes actuelles, c’est une vraie question de démocratie, de maîtrise et d’avenir des territoires que nous vous soumettons au travers de cette question préalable.

Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter que nos partenaires étrangers et gouvernements concernés par cette question de propriété des installations aéroportuaires et après d’importants débats décident, comme aux Etats-Unis, que l’on ne peut soupçonner d’être le fer de lance du "tout public", que les aéroports demeureraient des propriétés publiques, ou encore comme à Amsterdam où l’on travaille à un fonctionnement par bail sans pour autant dessaisir l’Etat de sa propriété.

Je voudrais également pointer au travers de cette question préalable, le problème de la sécurité aérienne. Au moment où ce projet vise selon le gouvernement à s’adapter à la concurrence exacerbée que connaît l’aviation civile, il est impératif de faire de la sécurité un élément incontournable sur lequel l’Etat français ne peut transiger.

Et si, Monsieur le Président, mes Cher(e)s Collègues, je dis cela, c’est bien parce que cette loi en l’état ne peut nous rassurer et qu’il est nécessaire de clairement réaffirmer que cette question relève intégralement du rôle de l’Etat au travers la seule Direction Générale de l’Aviation civile. Or, le poids donné à Aéroports de Paris devenant propriétaire des installations destinées aussi à la sécurité, à l’entretien des équipements, etc, ne clarifie certes pas mais complexifie davantage cette question essentielle. D’autant que nous ne pouvons faire "notre" les conceptions de la Commission Européenne quand elle affirme
"Qu’il ne fait aucun doute que la communication, la navigation, la surveillance, l’information aéronautique et le traitement des données de vol pourraient être fournis sur une base concurrentielle. Ceci renforcerait aussi les relations entre les fournisseurs et leur clientèle en facilitant des compromis entre la qualité des services et des coûts".

Cela fait froid dans le dos et renforce l’idée que la sécurité et le contrôle aérien doivent être impérativement exclus du champ concurrentiel afin qu’ils puissent agir en toute indépendance. Malheureusement, force est de constater que le texte proposé et les motifs évoqués ne garantissent pas cette nécessaire indépendance financière, technique, morale, matérielle et humaine.
Le dernier aspect que je souhaite évoquer est la relation existante entre ce projet de loi et l’avenir de l’entreprise Air-France, principal utilisateur des aéroports français.
Il nous faut en effet mesurer que la mainmise d’Aéroports de Paris sur la gestion et l’organisation des plateformes d’Orly et Roissy sera sensible et importante sur justement ce qui a fait le succès d’Air France au niveau international.

Air France a tiré sa force de la mise en place de son hub basé sur la succession des créneaux de départs et d’arrivées modulables entre périodes creuses et périodes de pointe. Or, la modulation proposée de la redevance et la mise en dépendance de la compagnie nationale vis à vis de l’exploitation de l’aéroport pénaliserait économiquement et de fait l’entreprise Air France.

Il y a là un véritable danger axé sur une tentation de baisse de tarifs servant à attirer les seules compagnies Low cost et d’augmentation des tarifs aux heures de pointe. Ne nous y trompons pas ! Il y a là des risques non négligeables pour Air France.

Vous le constatez monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes Cher(e)s Collègues, ce projet de loi s’il était adopté en l’état aurait des conséquences humaines, économiques, territoriales, démocratiques dépassant la gestion du statut juridique des plateformes aéroportuaires. C’est pourquoi il aurait mérité un tout autre traitement que la précipitation.

Il y a besoin d’un large débat public rassemblant tous les acteurs concernés, professionnels, riverains, salariés et élus.

Cela n’a pas été le cas. Voilà pourquoi nous opposons la question préalable à ce projet de loi qui est préjudiciable tant aux missions de service public aéroportuaire qu’au développement d’Aéroports de Paris et de l’ensemble des grands aéroports régionaux.

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