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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte soulève plusieurs difficultés, si importantes qu’elles mettent en péril la réalisation même de ses objectifs économiques et de sécurité

Activités privées de protection des navires -

Par / 15 mai 2014

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite moi aussi souligner la qualité des rapports de nos collègues, qui éclairent parfaitement les enjeux soulevés par la question.

La piraterie est un véritable fléau pour les navires de commerce et de pêche, ainsi que pour les bateaux de plaisance. Le Bureau maritime international a recensé, toutes zones géographiques confondues, 264 attaques en 2013, dont 141 en Asie du Sud-Est et 51 en Afrique de l’Ouest.

Il est inutile de détailler ici toutes les menaces et les formes d’attaques, recensées notamment par le ministère de la défense, pour constater l’extension des actes de piraterie et la montée en puissance de leur violence. C’est pourquoi, dès le début de nos débats, je tiens à dire que les sénatrices et sénateurs du groupe CRC sont convaincus que la situation appelle des mesures fortes pour renforcer la sécurité du transport maritime et, avant tout, protéger la vie des équipages et les marchandises.

Or, si l’on veut avoir des résultats, il est nécessaire de réfléchir non seulement aux causes de la piraterie, mais aussi à tout ce qui contribue à l’accentuer : la guerre, le développement d’un marché de sécurité privé en zone de conflits internationaux, la pauvreté, l’insuffisance de l’aide au développement des pays des zones sous tension. La situation nécessite également, comme le préconise le Conseil économique et social européen dans son avis du 16 janvier 2013, de renforcer les efforts visant à détecter et couper les circuits financiers impliqués dans la piraterie.

Reste que la solution proposée, qui consiste à légaliser les gardes armés privés sur les navires battant pavillon français, ignore la question dans son ensemble et soulève plusieurs difficultés tant théoriques que pratiques. Ces difficultés nous paraissent d’autant plus rédhibitoires que, de notre point de vue, le projet de loi ne garantira ni la réalisation des objectifs économiques mis en avant par les armateurs ni celle des objectifs de sécurité.

En premier lieu, l’argument tiré de la compétitivité n’est pas tout à fait convaincant. Les entreprises françaises sont d’abord et avant tout confrontées à la concurrence de pavillons tiers, et la question de l’offre d’une protection privée est secondaire dans ce contexte. Les pavillons de complaisance, comme le pavillon anglais, exerce malheureusement, au détriment de notre filière nationale, une attractivité accrue auprès des armateurs, au regard des conditions fiscales ou sociales qu’ils pratiquent. C’est pourquoi, si elle souhaite préserver le pavillon de premier registre français, la France doit engager des réformes.

Le dernier exemple en date, pour ce qui concerne la flotte stratégique pétrolière, témoigne d’un mouvement inverse. Après l’annonce de la compagnie Maersk de dépavillonner ses navires, le groupe CRC a adressé une lettre au précédent gouvernement pour qu’il modifie la loi de 1992, en élargissant les obligations de capacités de transport à l’ensemble des produits énergétiques stratégiques de la France. L’indépendance de notre pays en matière de transport et de ravitaillement en produits pétroliers n’est plus assurée, car nous ne disposons quasiment plus de flotte pétrolière battant pavillon français. Il doit nous rester quatorze ou quinze navires ! Il faut donc arrêter cette fuite en avant, qui consiste à porter des législations de moins en moins exigeantes pour les personnels, au nom de la compétitivité.

Nous l’avons déjà dit, l’Europe devrait construire un pavillon européen équivalent au pavillon de premier registre. En attendant, la France doit dès à présent consolider une flotte stratégique de pétroliers, gaziers et chimiquiers sous pavillon français de premier registre, armée par des armateurs français, seule à même d’être mobilisée par l’État en cas de crise et d’être compatible avec les exigences de défense et de sécurité nationale.

De notre point de vue, le projet de loi ne va pas dans ce sens. L’efficacité et la qualité des équipes de protection embarquées de la marine nationale sont saluées par les armateurs et les équipages, ainsi que par vous-mêmes, mes chers collègues. Dès lors, dans le respect de l’exercice par l’État de ses missions régaliennes, il aurait été souhaitable de les renforcer.

L’étude d’impact estime par ailleurs entre 400 et 500 le nombre de personnels nécessaires à la sécurisation des navires, mais ne s’engage pas sur la localisation des emplois. Sur la période 2008-2012, 2 600 emplois ont été supprimés dans la flotte de commerce française.

Au titre de l’article 12 du projet de loi, aucune condition de nationalité n’est requise pour les agents employés par les entreprises privées de protection des navires. La multiplicité des nationalités pose, tout comme pour les équipages navigants, des difficultés de communication, qui peuvent engendrer incompatibilités et complications.

En second lieu, le projet de loi présente des défaillances en termes de sécurité.

L’Assemblée nationale a porté à trois le nombre minimum d’agents requis à bord, ce qui constitue bien sûr une amélioration. Toutefois, il convient de le préciser, les commandos de la marine embarquent au minimum six militaires pour assurer une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre – il faut bien qu’ils se reposent ! –, pendant des trajets qui peuvent durer jusqu’à dix jours en fonction de la puissance du navire et de la zone à couvrir.

De plus, les membres des commandos de marine intervenant dans la lutte contre la piraterie reçoivent, outre une formation initiale solide, une formation particulière. Dans le cadre des sociétés d’armement privées, on peut s’interroger sur la prise en compte des règles de déontologie, essentielles au regard de la dangerosité de l’activité.

Par ailleurs, des précautions sont prises sur le nombre d’armes et les catégories d’armes embarquées, ce que l’on peut comprendre. Cependant, comment pourront se faire les opérations dissuasives comme les tirs de barrage ?

Enfin, l’encadrement de l’emploi de la force et l’application du droit commun de la légitime défense constituent un artifice juridique dangereux pour les agents de sécurité et le capitaine. Après l’avoir très justement remarqué, madame la rapporteur, vous avez tenté d’apporter des corrections sur ce point. L’avis du Conseil économique et social européen précise pourtant que, dans le cadre du recours aux vigiles privés, les États devraient « définir un encadrement juridique strict qui fixe entre autres les conditions de responsabilité du commandant du navire, notamment en cas d’ouverture de feu ».

Soulignant l’inadaptation du régime de la légitime défense et de l’état de nécessité, Arnaud Leroy, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, affirme : « Incertain de ce que sera finalement la lecture juridictionnelle de ces dispositions, […] votre rapporteur […] appelle cependant le pouvoir réglementaire et les autorités judiciaires à la plus grande vigilance dans les conditions de son application. »

Au-delà du risque de mise en danger des équipages, nous déplorons particulièrement la situation d’insécurité juridique dans laquelle pourra se trouver le capitaine du navire. En réalité, l’argumentaire initié dans l’étude d’impact pour réfuter les escortes privées, selon lequel « l’effectivité de l’autorité que le capitaine du navire protégé sera en mesure d’exercer sur le navire d’escorte est donc plus qu’incertaine », est largement transposable à bord.

Pour finir, si l’article 8 dispose que l’autorisation d’exercice ne confère aucune prérogative de puissance publique à l’entreprise ou aux personnes qui en bénéficient, il s’agit, nous le savons tous, d’une déclaration de principe. Précisons que cette dernière n’est pas valable du point de vue du droit international, qui tiendra, dans tous les cas, l’État du pavillon responsable des agissements des entreprises privées. Ainsi, le droit coutumier international, codifié à l’article 5 du texte de la Commission du droit international des Nations unies sur la responsabilité internationale de l’État, et confirmé par la Cour internationale de justice, dispose que « le comportement d’une personne ou entité qui n’est pas un organe de l’État […], mais qui est habilitée par le droit de cet État à exercer des prérogatives de puissance publique, pour autant que, en l’espèce, cette personne ou entité agisse en cette qualité, est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international ».

Au sens du droit international, on ne voit donc pas comment l’exercice d’une mission de surveillance armée dans les espaces internationaux et dans les mers territoriales étrangères, sur des navires arborant le pavillon de l’État, pourrait être autre chose que l’exercice de prérogatives de puissance publique. Du reste, si tel n’était pas le cas, pourquoi cette loi serait-elle nécessaire, si ce n’est pour déroger à l’exclusivité étatique des fonctions de police ?

En raison de toutes ces remarques, et bien que nous le regrettions, car nous aurions aimé soutenir ce texte, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC, qui souhaitent que la politique de transport maritime se construise en France et en Europe autour de l’emploi maritime et des activités à terre, en assurant l’avenir de la filière et la pérennisation des savoir-faire de la marine marchande et des professions des gens de la mer, voteront contre le projet de loi.

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