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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Débat sur la loi "Littoral"

Par / 26 octobre 2004

par Gérard Le Cam

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Où veut en venir exactement le gouvernement ? C’est la question que chacun se pose après le rapport de l’Assemblée Nationale, celui du Sénat, le CIADT du 14 septembre 2004 et de nombreuses déclarations ministérielles ?
S’agit-il de trouver un savant équilibre entre les appétits des promoteurs immobiliers et les défenseurs de l’environnement ?

Ou bien s’agit-il de répondre aux attentes des élus et des populations résidentes des communes littorales, de leur permettre un développement harmonieux et durable, de réduire significativement les contentieux juridiques liés à l’urbanisme par une évolution de l’article 146 ?

J’avoue préférer me situer sur cette seconde hypothèse qui, tout en conservant l’esprit de la loi de 1986, une bonne loi votée à l’unanimité, qui devait permettre aux communes du littoral d’avoir une autre alternative que la sanctuarisation ou le bétonnage.

Les difficultés de sa bonne application sont multiples, pour n’en citer que quelques-unes, j’évoquerai : l’imprécision de nombreux termes de la loi soumis à des interprétations subjectives et par conséquent, variables ; le retard accumulé dans la prise de décrets indispensables ; dessaisissement des responsabilités des élus face aux tribunaux et aux services instructeurs ; lecture réductrice de la loi…
Les communes du littoral, vues de loin sont souvent idéalisées à partir de clichés touristiques, comme la virginité et la beauté des paysages, la liberté, les vacances, la plage, le soleil, la pêche artisanale…

La réalité est quelque peu nuancée et plus complexe : le littoral est avant tout une zone de vie du 1er janvier au 31 décembre où les communes voient leur population se multiplier par 5, 10 ou davantage pendant deux mois de l’année. Le littoral est également une zone d’activités liée d’une part à la mer et, d’autre part, au littoral lui-même. Pêche côtière ou hauturière, pisciculture, conchyliculture, algoculture se côtoient avec l’agriculture, le tourisme, le nautisme, les transports maritimes, les industries portuaires, l’énergie, la défense nationale, la pêche récréative, l’urbanisation… tout ceci montre qu’une perception réductrice par les nouveaux occupants du littoral, limitant celui-ci à un espace de nature, n’est pas sans créer de multiples conflits qui s’inscrivent dans la « Judiciarisation croissante » de la société.

L’image de la nouvelle ruralité que j’avais eu l’occasion de développer ici même il y a quelques mois, n’est pas sans rapport avec celle de la « littoralité », si je puis dire.
Certes, l’urbanisation du littoral va être au cœur de nos contributions, mais ne perdons pas de vue qu’elle n’est qu’une des très nombreuses manifestations des multiples conflits d’usages qui animent cette zone particulièrement exploitée et convoitée qu’est l’espace littoral.

A propos de la méthode, les parlementaires que nous sommes, regrettons le choix de la voie réglementaire pour résoudre les difficultés liées à la loi littoral, cette voie est peu démocratique, elle risque d’être insuffisante, et peu inefficace.
Il serait préférable de débattre de la loi littoral après un grand débat national, la richesse des contributions des habitants, des élus, des associations du littoral qui permettrait ainsi d’être en phase avec les réalités locales en faisant fonctionner la démocratie participative.

Il serait également souhaitable que simultanément, nous prenions connaissance du contenu des décrets en préparation. A ce propos, M. le Ministre, vous avez annoncé la création d’une mission spécifique chargée « d’identifier les besoins en matière de données géographiques, économiques, sociales et écologiques, de repérer les opérateurs et les maîtres-d’œuvre, hiérarchiser les priorités et préciser les rôles respectifs de l’Etat et des collectivités locales, d’évaluer les budgets nécessaires (…) ». Allez-vous prendre des décrets, M. le Ministre, avant février 2005, date à laquelle cette mission remettra ses propositions ? Si oui, lesquels ?

Un important travail de réflexion et de propositions, quant à l’application de la loi littoral, est en cours sur le terrain, ce travail pointe une par une les difficultés rencontrées par les élus et les populations. J’ose espérer que la mission spécifique en tiendra compte avant de remettre ses propositions.

L’autre crainte, M. le Ministre, est celle de voir modifier la loi littoral au détour de textes législatifs comme celui des « territoires ruraux », de la « Loi de modernisation agricole » ou je ne sais quel autre texte. Cette méthode ne permet que de répondre partiellement aux problèmes sans avoir une vision globale du texte ainsi modifié (Cf. Conseil national du littoral).

Venons-en concrètement aux difficultés rencontrées sur le terrain.
A propos de la bande des 100 mètres, le bon sens voudrait qu’on puisse reconstruire les immeubles incendiés ou en ruines, sous réserve de respecter le style local et les hauteurs de construction.
ÿ De véritables sanitaires ou locaux de surveillance en dur, bien intégrés, seraient plus élégants que les sanisettes en PVC et les abris de chantier trop souvent vus sur nos côtes.

ÿ La création de parkings paysagés à proximité des plages pourrait être assouplie afin de faciliter l’accès à celles et ceux qui n’ont pas les moyens de louer une résidence à proximité du rivage.
Ces trois mesures devraient contribuer à réduire sensiblement les difficultés liées au caractère inflexible de l’article 146-4 III.
Au sujet des espaces proches du rivage, il conviendrait tout d’abord de bien définir la notion d’urbanisation qui concerne aujourd’hui de la même façon un immeuble de 4 étages, une maison particulière, un tunnel plastique, une serre ou un parc de stationnement.

Au sein des espaces proches du rivage, la constructibilité se heurte à de multiples difficultés qui méritent que soient précisées définitivement les notions d’agglomération, de hameau, de village, d’extension et de densification. En Bretagne, tout particulièrement, la densification des hameaux pourrait apporter une solution aux problèmes en comblant « les dents creuses ».

Les zones situées au-delà des espaces proches du rivage devraient permettre une extension de l’urbanisation en continuité des hameaux existant afin de compenser les rigidités du littoral, selon la volonté des élus dans le cadre de leurs documents d’urbanisme.
L’agriculture, et tout particulièrement le maraîchage, souffrent des règles qui régissent les espaces proches du rivage, il serait souhaitable que l’on tienne compte de la qualité agricole des terrains pour les rendre constructibles ou non, de la nécessaire mise aux normes des exploitations, de la possibilité d’ériger des tunnels plastiques intégrés au paysage par des écrans végétaux. Maintenir les conditions d’existence d’une agriculture côtière, c’est aussi assurer des limites à l’urbanisation et garantir une diversité des paysages.
Enfin, la notion d’espace proche du rivage pourrait être doublement encadrée, tout d’abord, par une distance maximale du rivage, restant à déterminer, et par des critères de visibilité ensuite, appréciés tant depuis le rivage que depuis les limites de l’espace considéré.

Au sujet de la notion de hameau nouveau intégré à l’environnement, la formule n’est pas suffisamment utilisée nous dit-on ; sans doute à cause des difficultés administratives et interprétatives qu’elle soulève. Il conviendrait donc de préciser le contenu possible de ces hameaux nouveaux intégrés et d’y favoriser l’accès aux plus modestes.

A propos des espaces remarquables mentionnés à l’article 146-6 du code de l’urbanisme, le rapport sénatorial préconise une hiérarchisation de ces espaces et des protections s’y référant. A notre avis, un espace est remarquable ou il ne l’est pas, au regard de sa définition, à savoir : « les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application de la loi du 2 mai 1930 modifiée et des parcs nationaux créés… ainsi que les réserves naturelles… »

La notion d’espaces caractéristiques doit être précisée ou supprimée dans la mesure où elle ne contribue pas à faciliter l’interprétation des textes.
Quant à la notion d’espace naturel, nous pourrions préciser que ceux-ci s’entendent comme les espaces non-agricoles, qui ne sont ni urbanisés, ni altérés, ni dégradés significativement par l’activité humaine.
Le rapport sénatorial préconise d’inclure un volet maritime dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT), volet approuvé par le préfet et de supprimer les schémas de mise en valeur de la mer (SMVM).

L’idée est intéressante - sous réserve de faire participer le plus grand nombre à l’élaboration du SCOT et de son volet maritime - sous réserve également d’articuler correctement la compatibilité des PLU et autres documents d’urbanisme avec le SCOT et de rendre, enfin, opposables ces documents, ce qui contribuerait à rendre leurs responsabilités aux élus et réduire les contentieux.

A ce sujet, de très nombreuses difficultés sont soulevées par les élus, difficultés liées au POS non approuvé et au passage du POS en PLU où des terroirs ayant obtenu un CU dans le cadre du POS deviennent inconstructibles dans le nouveau PLU.

Le groupe de travail du Sénat propose « d’accroître les moyens du conservatoire de l’espace littoral, de lui adjoindre une réserve d’établissements publics de gestion auxquels les collectivités territoriales seraient associées et d’étendre le régime des contraventions de grande voirie ». Tout ceci va plutôt dans le bon sens. Chacun connaît et reconnaît l’action du conservatoire dont les moyens financiers semblent préservés pour l’instant grâce à une acrobatie financière de la loi de finances rectificative du budget 2004. Nous savons également que la coopération de gestion et financière des collectivités territoriales est déterminante, explique en grande partie le succès et le bilan du conservatoire du littoral.

Ce qui nous inquiète à ce sujet concerne, d’une part, les moyens qui seront alloués au Conservatoire pour les années à venir et, d’autre part, la conception décentralisatrice qu’a le gouvernement. Nous craignons, en effet, de voir les charges des collectivités locales devenir de plus en plus conséquentes pour assurer les futures « agences de rivages » évoquées dans un futur projet de loi « Conservatoire du littoral ».
Le transfert du Domaine public maritime aux collectivités contribue également à accentuer leurs charges.

Il serait bien, Monsieur le Ministre, que vous éclairiez notre assemblée sur les moyens que vous destinez au conservatoire et aux collectivités locales pour les années à venir par votre gouvernement. De la pérennité de ces moyens dépendra le succès des actions du conservatoire, quant aux moyens financiers des collectivités territoriales, c’est un vaste débat, mais nous savons que si celles-ci sont étranglées financièrement, elles chercheront des solutions dites de rentabilité, souvent préjudiciables au littoral lui-même.

L’article premier de la loi Littoral a entre autre pour objet « la protection des équilibres biologiques et écologiques », à ce sujet, tous les maux ne viennent pas du littoral, mais des fleuves qui charrient près de 650.000 tonnes d’azote chaque année et 43.800 tonnes de phosphore qui contribuent aux phénomènes d’eutrophisation - plus de 30.000 m3 d’algues vertes sont ramassés en Côtes d’Armor chaque année.

A propos des marées noires et des dégazages, la sécurité et la sûreté des transports maritimes ont certes progressé, cependant, comme le souligne le rapport de la DATAR « une logique d’indemnisation continue d’être privilégiée sur une logique de responsabilisation des affréteurs. Tout ce qui n’a pas été sérieusement traité en amont, finit à la mer, qui est réceptacle naturel des bassins versants. La maîtrise de ces pollutions très diverses et le plus souvent dangereuse, nécessite également des efforts financiers et législatifs importants ».
En ma qualité de membre de l’Observatoire du réchauffement climatique, je voudrais également attirer votre attention sur les conséquences du relèvement du niveau de la mer lié au réchauffement climatique.

Celui-ci risque d’accélérer l’érosion du littoral et surtout les inondations et submersions marines - ce qui n’est pas sans incidence sur l’éventuelle inconstructibilité à moyen terme de zones littorales importantes.

M. le Ministre, sans vouloir être exhaustif, nous avons écouté ce que dit la population et les élus, à la fois pour recenser les problèmes rencontrés dans l’application de la loi littoral. Un certain nombre de critères guide notre réflexion : tout d’abord, nous partons du point de vue qu’une commune littorale n’est pas et ne peut pas être figée, qu’elle doit rassembler les conditions pour assurer le développement harmonieux et durable de son territoire, l’accueil et l’hébergement de ceux qui vivent là toute l’année et de ceux qui viennent y passer leurs vacances.
Le maintien de la diversité des activités économiques est essentiel au bon équilibre de ces collectivités.

Enfin, et je l’ai déjà évoqué, une attention toute particulière doit être menée en direction de l’accessibilité de tous à la côte et naturellement, l’accueil des plus modestes doit être encouragé et favorisé par des facilités d’aménagement et des dispositions fiscales.

Ce débat aura, je l’espère, son utilité, mais devant l’ampleur et la diversité des difficultés rencontrées par les élus qui sont dans leur très grande majorité, opposés au bétonnage des côtes, une remise à jour de la loi aurait été plus efficace que des séries de décrets à venir, des effets pervers de la décentralisation ou des morceaux de textes de loi rattachés ici et là.

Quoi qu’il en soit, il est indispensable de conserver le socle de la loi littoral de 1986 et ses principes fondateurs énoncés à l’article premier autour de la recherche spécifique au littoral, de la protection des équilibres biologiques et écologiques, de la préservation des activités économiques.

Le littoral doit être rendu à ses habitants, ses élus, ses gestionnaires qui seront les garants d’espaces ou les spéculations en tout genre et les contentieux doivent sensiblement s’atténuer à défaut de disparaître.

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