Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Il ne reste plus grand-chose des mesures phares du Grenelle

Engagement national pour l’environnement : conclusions de la CMP -

Par / 28 juin 2010

Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme du marathon législatif qu’aura constitué l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, deuxième volet du Grenelle de l’environnement.

Il y a un an maintenant, nous nous apprêtions à examiner en commission ce texte important, fort de 105 articles. Le projet de loi que nous sommes appelés à adopter définitivement aujourd’hui a doublé, puisqu’il compte dorénavant près de 250 articles, dont 80, je dois le souligner, n’ont pas été examinés au Sénat. De plus, lors du passage en commission mixte paritaire, environ 250 amendements ont encore été déposés sur différents sujets, et pas des moindres : je pense notamment à la réintroduction des péages urbains ou à la diminution de la force juridique du dispositif de la trame verte et bleue.
Force est donc de constater que le texte définitif est singulièrement différent de celui que nous avons examiné à l’automne dernier.

Cette situation me pousse à déplorer une nouvelle fois que l’urgence ait été déclarée sur ce texte, ce qui a conduit à ce que la commission mixte paritaire fasse office de deuxième lecture, alors même que ses débats ne sont pas publics. Nous regrettons le recours à cette pratique, qui ne permet pas d’aboutir à un processus législatif satisfaisant, d’un point de vue tant démocratique que technique.

Toujours sur le plan formel, alors que ce texte était censé comporter des mesures concrètes et précises, le détail de l’application d’un nombre incroyable de dispositions est renvoyé à des décrets sur lesquels les parlementaires n’auront aucun contrôle, malgré la demande formulée par les rapporteurs. Le Gouvernement entend-il préciser les choses à cet égard ? Je ne sais pas si un suivi de la mise en œuvre des dispositions du Grenelle II et du contenu des décrets d’application par les COMOP est prévu, mais il s’agit là d’une piste intéressante pour continuer à faire vivre le processus. Avant de parler d’un Grenelle III, essayons de sauver autant que possible ce qui reste de celui-ci !

En effet, et j’en suis la première attristée, il ne reste plus grand-chose des mesures phares du Grenelle. Sur le fond, l’examen de ce texte n’aura été qu’une longue suite de déceptions. Alors que le Grenelle I avait permis de poser des principes forts et suscité beaucoup d’espoir, le Grenelle II mérite bien son surnom de « boîte à outils », puisqu’il ne permettra, dans de nombreux domaines, que de bricoler, sans vraiment engager des évolutions en profondeur.

Cela ne devrait pas nous étonner, tant il est vrai que, depuis maintenant plusieurs mois, se multiplient les signes d’un changement de cap : « l’environnement, ça commence à bien faire », a-t-on pu entendre en haut lieu…

Une telle déclaration, de la part de celui qui souhaitait être le héros du sommet de Copenhague, qui voulait démontrer – une fois de plus ! – sa supériorité sur Jacques Chirac et sa Charte de l’environnement, nous a remis les pieds sur terre.

Mais plus graves sont les décisions prises cette année par ce gouvernement et ayant amorcé de nombreux reculs sur le chemin du développement durable.
Ainsi, je ne pense pas que l’objectif ambitieux posé par le Grenelle I de doubler la part des transports alternatifs à la route d’ici à 2020 pourra être atteint au travers des mesures prises actuellement.

Citons à cet égard l’adoption du décret permettant la mise en circulation des camions de 44 tonnes, le report de l’instauration de la taxe sur les poids lourds, le plan fret, qui vise une nouvelle fois à la disparition pure et simple des wagons isolés, ou encore le renvoi aux calendes grecques de la mise en place de la taxe carbone, qui avait pourtant été annoncée en fanfare. Bref, la contradiction est totale entre l’affichage et la réalité.

Quant à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il ne pourra pas être atteint sans un renforcement de la maîtrise publique. Comment, par exemple, développer le bouquet énergétique de la France sans investir dans la recherche publique dans ce secteur ? À rebours de ce qui serait nécessaire, le Gouvernement se désengage progressivement et prépare la privatisation des entreprises publiques dans le secteur des transports, comme dans celui de l’énergie.

Sa politique renvoie toujours les questions d’investissements aux entreprises privées ou aux collectivités locales. Aucun financement n’est prévu dans la loi de finances au titre du Grenelle. Sur qui reposera, dans ces conditions, l’effort nécessaire pour atteindre les objectifs fixés ? On peut l’imaginer…
La première réponse que vous apportez, mesdames les secrétaires d’État, c’est le contrôle et la réorientation des budgets des collectivités – moins de dépenses sociales, plus d’économies –, alors même que, dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales, vous dépossédez ces dernières non seulement de leurs compétences, mais également de leurs ressources. Il y a vraiment de quoi s’inquiéter !

Cette volonté transparaît particulièrement dans le titre Ier de ce projet de loi, qui traite de l’urbanisme et dont les dispositions ne peuvent cacher une reprise en main, sur ce sujet, par le pouvoir central, et ce dans la droite ligne des réformes en cours concernant les collectivités ou le Grand Paris. Le rôle du préfet est largement accru et l’État se voit donner les moyens d’imposer des projets aux collectivités sur leur territoire. Ce n’est pas l’intervention de l’État que nous dénonçons, mais la conception autoritaire et centralisée de l’aménagement du territoire de ce gouvernement, dont l’unique objectif est de compenser l’absence de relais locaux de la majorité actuelle.

L’autre réponse que vous apportez, pour pallier la déficience de l’action de l’État, c’est la contrainte sur l’individu, sur le consommateur, culpabilisé sans cesse, pris au piège d’injonctions contradictoires, sans qu’il ait réellement de choix.

Cette orientation vous pousse à faire un demi-choix pour l’environnement, consistant à repeindre en vert l’économie libérale. Pourtant, trop de contradictions demeurent entre les déclarations d’intention et les actes posés. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une véritable remise en cause du système capitaliste et de ses excès. Pouvoir des marchés financiers et protection de la planète ne font pas bon ménage ; c’est en tout cas notre conviction.

Vous avez déclaré, madame la secrétaire d’État, que nous n’avancerons pas à marche forcée. Certes, il est toujours préférable de convaincre, mais un gouvernement est là pour affirmer des choix au nom de l’intérêt général.
Or, nous avons constaté une faiblesse, voire une complaisance, face aux actions des lobbyistes venus défendre tel ou tel intérêt particulier. Jusqu’au jour de la réunion de la commission mixte paritaire, les grands donneurs d’ordres se sont lâchés : propositions d’amendements, petits-déjeuners, colloques, appels, rien ne nous a été épargné. Et ce qu’ils font auprès des parlementaires, ils le font aussi après du Gouvernement. Pourtant, ils ont été auditionnés, comme tout le monde, et ont pu défendre leur point de vue. Visiblement, cela ne leur suffisait pas.

Des pans entiers du projet de loi sont issus de ce travail de liquidation des acquis des COMOP, par le rabotage constant des lobbies : je fais allusion par exemple à la question des pesticides, sur laquelle j’ai déposé au nom de mon groupe un amendement en commission mixte paritaire visant à ce que la mention assujettissant la restriction de l’emploi d’un pesticide ou son retrait à une « évaluation des effets socio-économiques » soit supprimée. Au vu du rejet de cet amendement, je ne donne pas cher de l’objectif, posé dans le Grenelle I, de réduire de moitié l’utilisation des pesticides.

Il en va de même dans d’autres domaines, notamment celui des OGM, où les enjeux financiers sont tels qu’ils prennent le pas sur les enjeux écologiques et sanitaires, et donc sur l’intérêt général.

Ainsi, la certification « haute valeur environnementale » pourra être attribuée à des exploitations pratiquant la culture d’OGM, alors même que la nocivité des OGM vient d’apparaître au grand jour en Chine, à propos du coton. Le nuisible éliminé par la culture de la variété de coton OGM commercialisée par Monsanto a en effet laissé la place à un autre, qui est en train de tout détruire. On a vraiment tort de jouer ainsi aux apprentis sorciers avec la nature !
Que dire également de la trame verte et bleue, qui était l’un des rares dispositifs à avoir survécu à l’examen du texte par l’Assemblée nationale ? On sait bien qu’elle cédera face à la pression du premier intérêt économique venu, surtout en matière d’infrastructures de transport.

Je pourrais citer encore le recul sur l’étiquetage « carbone » des produits de consommation, mesure pourtant indispensable pour que chacun puisse prendre conscience de l’incidence de sa consommation sur son empreinte carbone. Il est probable que d’aucuns ne souhaitaient pas affirmer un tel volontarisme au moment où l’on cherche à relancer l’économie avec toujours la même recette : soutenir la consommation des ménages sans remettre en cause le modèle.

Dans cette bataille menée par les lobbies, l’épisode le plus choquant ou le plus triste reste sûrement l’introduction de l’article 105, sur lequel je voudrais m’attarder un instant pour exprimer mon indignation.
Ajouté en commission à l’Assemblée nationale, voté au beau milieu de la nuit par une poignée de députés, cet article prévoit la possibilité, pour les fabricants de tabac, de distribuer gratuitement des cendriers jetables en carton, prétendument pour protéger la nature en facilitant la récupération des mégots. Il s’agit, en réalité, d’une incitation à la consommation de tabac ; de surcroît, ces cendriers seront porteurs de messages publicitaires.

Que vient faire une telle disposition dans le Grenelle ? À qui fera-t-on croire que cette mesure, qui n’aura d’ailleurs probablement aucune efficacité pour réduire la quantité de mégots jetés sur la voie publique, a réellement sa place dans ce texte ? Le fait qu’elle ait été insérée à la fin du projet de loi, au sein d’un chapitre créé spécialement à cet effet, en dit long sur l’opportunisme de ses défenseurs et sur la perméabilité des députés de la majorité aux arguments des lobbies. Nos collègues de la commission mixte paritaire, après être convenus, dans un premier temps, de la nécessité de supprimer cette disposition, ont finalement fait marche arrière. C’est vraiment triste !
Ainsi, dans l’ombre du principe de gouvernance à cinq prôné par le Grenelle, c’est en réalité une gouvernance à six qui s’organise.
En résumé, alors que le Grenelle avait fait naître de grands espoirs, je crois sincèrement que le texte que l’on nous demande d’adopter aujourd’hui n’est pas à la hauteur des attentes.
Une révolution écologique ne pourra certainement pas avoir lieu avec de telles dispositions. Je suis pleinement consciente, croyez-le bien, de l’ampleur de la tâche que vous vous étiez assignée et de la valeur du travail accompli en amont. Nous nous sommes tous beaucoup investis, le Gouvernement au premier chef, mais un tel chantier ne s’inscrit manifestement pas dans le temps médiatique : il s’agit ici d’un processus de très longue durée, et le Président de la République ainsi que la plupart des membres du Gouvernement sont déjà passés à autre chose… Le Grenelle est aussi victime de cette réalité.

Vous aviez fait naître, avec le Grenelle, un véritable espoir. Nous saluons la force de conviction de M. Borloo. Récemment encore, madame la secrétaire chargée de l’écologie, vous avez affirmé que « l’enjeu, c’est la révision de l’ensemble de notre modèle de croissance, qui ne prend pas en compte la finitude des ressources ». Vous avez raison, mais l’État doit alors se doter d’outils de régulation puissants. Il faut en finir avec les modèles libéraux dont le développement est fondé sur un accroissement de la consommation, considéré comme une source de profits.

Une révolution dans ce domaine passe aussi par une forte maîtrise publique exercée sur les secteurs économiques reconnus comme cruciaux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment ceux des transports et de l’énergie. Or les entreprises concernées sont d’ores et déjà privatisées ou en voie de l’être. Le maillage du territoire par les services publics est mis à mal et l’offre de transport de plus en plus limitée aux axes rentables, ce qui contraint une partie de nos concitoyens à prendre leur voiture.

Une révolution écologique passe enfin par un renforcement de la construction publique de logements exemplaires en matière environnementale.
Les Français attendent de l’État qu’il prenne à bras-le-corps un problème d’une telle ampleur – il s’agit aujourd’hui de « décarboner » la société, de faire face aux conséquences des émissions de gaz à effet de serre – et qu’il soit conscient que la révolution verte appelle forcément une révolution sociale, car la réduction des inégalités est au cœur de la question écologique.
L’urgence environnementale est une question profondément politique ; elle ne doit pas devenir le terrain d’action des lobbies, et encore moins un nouvel argument de marketing.

Parce que le présent texte n’a pas su éviter ces écueils, parce qu’il n’a plus rien à voir avec le consensus ambitieux issu des COMOP, parce qu’il est par trop symptomatique de l’influence grandissante des groupes de pression sur notre démocratie, parce que les quelques mesures qui avaient survécu à leur examen par l’Assemblée nationale et le Sénat ont été achevées par la commission mixte paritaire, nous ne pourrons, et je le regrette, adopter les conclusions de la commission mixte paritaire.

Les dernieres interventions

Affaires économiques Mobilisés contre le frelon asiatique

Proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique - Par / 11 avril 2024

Affaires économiques Un plan large pour un temps long

Débat sur le thème : « Haut-commissariat au plan : quel bilan et quelle influence sur les politiques publiques depuis 2020 ? » - Par / 10 avril 2024

Affaires économiques Kanaky : dire non à la colonisation de peuplement

Projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. - Par / 27 mars 2024

Affaires économiques Formation, salaires et accès au crédit

"Tests PME" et création d’un dispositif "impact entreprises" - Par / 26 mars 2024

Affaires économiques CETA : une victoire démocratique

Projet de loi sur la ratification du CETA - Par / 21 mars 2024

Affaires économiques Sécurité nucléaire : pourquoi défaire ce qui fonctionne ?

Projet de loi sur la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection - Par / 7 février 2024

Affaires économiques La bagnole reconditionnée

Proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires - Par / 14 décembre 2023

Affaires économiques 1% du budget de l’État pour le sport

Vote des crédits 2024 pour le sport - Par / 11 décembre 2023

Affaires économiques Inflation : les rustines du gouvernement

Si vous voulez agir sur la hausse des prix, bloquez-les ! - Par / 9 novembre 2023

Affaires économiques Les pratiques détestables des acteurs du secteur

Accès au marché de l’assurance emprunteur - Par / 26 janvier 2022

Affaires économiques Cette pratique fait obstacle aux continuités écologiques

Limitation de l’engrillagement des espaces naturels - Par / 10 janvier 2022

Affaires économiques L’agrivoltaïsme maîtrisé peut avoir des vertus

Développement de l’agrivoltaïsme en France - Par / 4 janvier 2022

Administration