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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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L’examen de ce texte n’a été qu’une succession de coups de force de la majorité

Modification du statut de La Poste : conclusions de la commission mixte paritaire -

Par / 23 décembre 2009

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous faire voter ce projet de loi – ô combien ! symbolique, puisqu’il touche le plus ancien des services publics – le 23 décembre témoigne de votre volonté inébranlable d’avancer à marche forcée vers le passage en société anonyme de La Poste. En effet, alors qu’un amendement adopté à l’Assemblée nationale permet que le changement de statut n’intervienne qu’au 1er mars prochain, il n’y avait aucune urgence et rien ne vous empêchait de prévoir la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire en janvier, comme cela est organisé pour les députés.

Les conditions du travail parlementaire sont donc une nouvelle fois déplorables : la commission mixte paritaire s’est tenue hier dans la foulée du vote des députés et nous votons dès le lendemain sur ses conclusions, en plein milieu des vacances de Noël.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Non, les vacances, c’est demain !

M. Jean-Claude Danglot. Je souhaite également souligner ici que le texte de la commission mixte paritaire n’a été disponible que tard dans la matinée.

Je déplore donc une nouvelle fois le peu de cas que fait ce Gouvernement des parlementaires. Mais nous aurions pu nous y attendre, car l’examen de ce texte n’a été qu’une succession de coups de force de la majorité.

Le premier et le plus important a consisté dans la confiscation du débat public, alors que 2,3 millions de citoyens se sont prononcés le 3 octobre dernier pour la tenue d’un référendum sur cette question. Depuis, des millions de cartes postales ayant le même objet ont été reçues à l’Élysée.

Si vous n’avez pas eu de mots assez durs contre l’organisation de cette votation, pour notre part, nous n’avons pas de mots assez forts pour qualifier votre mépris de l’expression citoyenne. Pour les représentants du peuple que nous sommes, cette attitude est intolérable.

Certes, vous considérez que la question était tronquée, mais si des citoyens exigent de se prononcer sur l’avenir du service public postal, alors que le patrimoine de La Poste a été financé pendant plus de deux cents ans par les usagers citoyens, je reste convaincu que vous devez entendre ce message et organiser une consultation.

Ce référendum est d’ailleurs permis par la récente réforme constitutionnelle, à la condition que des dispositions d’application soient entérinées.

Concernant l’organisation même du débat, vous avez marqué votre volonté d’en resserrer la durée, premièrement, en déclarant l’urgence – c’est dorénavant monnaie courante – et, deuxièmement, par l’organisation même des débats au sein de notre hémicycle. Ainsi, si quatre jours de débats étaient initialement prévus, le nombre d’amendements déposés par l’opposition vous a contraints à poursuivre la discussion pendant huit jours et huit nuits. Cela n’a pas été de trop, puisque ces amendements ont permis qu’un débat de fond s’engage et que des avancées, certes minimes, soient entérinées.

La réforme constitutionnelle vous a facilité les choses à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, grâce au fameux « crédit-temps ». Les débats auront donc été beaucoup plus courts, puisqu’il aura fallu à nos collègues simplement trois jours pour sceller l’avenir de La Poste.

C’est donc bien à marche forcée que nous débattons de l’avenir de ce service public structurant.

Sur le fond, vous nous dites deux choses, monsieur le ministre : tout d’abord, ce texte n’est pas nocif, puisque les missions de service public de La Poste sont confortées par la loi et que des garanties ont été données non seulement sur l’« imprivatisabilité » de cette entreprise, mais aussi sur le maintien de la présence postale ; ensuite, si l’État souhaite soutenir financièrement les activités postales par un apport en capital, il faut tout simplement changer le statut de La Poste, sous peine de voir cette aide qualifiée d’aide d’État par la Cour de justice de l’Union européenne.

À vous écouter, monsieur le ministre, on se demande pourquoi ce projet de loi suscite tant d’émotion de la part non seulement de la population, mais également des élus. Le décalage entre vos déclarations et le contenu même de ce projet de loi est pourtant flagrant. Loin de conforter les missions de service public assumées par La Poste, ce texte met en péril l’existence même d’un service public postal. Le refrain est connu : vous commencez par changer le statut en arguant qu’il ne s’agit que d’une simple question de forme juridique, puis, une fois que ce verrou a sauté, vous ouvrez le capital au secteur privé comme une suite logique et naturelle permettant à la nouvelle société anonyme de faire appel aux fonds privés pour financer son développement à l’international.

Nous sommes désolés de vous rappeler que les faits sont têtus. En effet, nous avons tous en mémoire les débats sur France Télécom ou encore sur Gaz de France, ainsi que les promesses qui avaient été faites à cette époque.

Je me dois également de revenir sur le néologisme dont vous êtes l’auteur, monsieur le ministre : vous avez déclaré que La Poste était « imprivatisable », ce qu’a tout de suite démenti Claude Guéant, qui a dit que cette notion n’était pas appropriée.

En effet, comment prédire l’avenir d’un service public ? Les dispositions d’une loi ne valent que tant qu’une autre loi ne vient pas les remettre en cause. Comme nous n’avons pas la capacité de prévoir dans le temps, nous sommes circonspects sur cette notion qui graverait dans le marbre l’avenir de La Poste. En tout cas, votre exposé ne m’a pas convaincu, monsieur le ministre. Notre collègue Michel Teston vient d’ailleurs de faire la démonstration que les choses pouvaient bouger dans le mauvais sens.

De plus, dans le dispositif que vous proposez, rien ne contraint la Caisse des dépôts et consignations à céder ses parts.

Par ailleurs, qualifier La Poste de service public national ne garantit pas son avenir. En effet, ce qui compte au regard du préambule de la Constitution de 1946, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision de 2006, c’est la réalité des missions exercées par l’opérateur. Or rien aujourd’hui n’empêche les opérateurs privés de venir concurrencer La Poste sur l’ensemble de ses activités du fait de la suppression du secteur réservé imposée par l’Union européenne.

En revanche, et c’est là un argument contre lequel je m’inscris en faux, l’Union européenne n’impose en aucune manière le changement de statut de La Poste. En effet, selon les termes même du traité, l’Union européenne ne préjuge pas du régime de propriété des États membres. Forme publique ou forme privée, là n’est pas la question pour les traités ; la seule exigence posée, indépendamment du contexte économique et social, c’est la mise en concurrence de l’ensemble des services publics. Dans tous les États membres, des monopoles privés se sont substitués aux anciens monopoles publics, générant des profits exorbitants, notamment dans des secteurs-clés comme les transports ferroviaires ou l’énergie, et ce alors même que les services rendus aux usagers se dégradaient en termes tant d’accessibilité tarifaire que de qualité des prestations proposées.

Ce système connaît aujourd’hui une déroute sans précédent du fait de la crise que nous traversons, mais vous continuez d’appliquer ces mêmes recettes au nom d’une modernité qui, dans les faits, s’apparente à un recul des droits et des garanties des usagers.

Je reviens à mon propos initial concernant l’aide financière apportée à La Poste : quelle que soit la forme juridique de cette entreprise, l’État ne peut consentir une aide en sa faveur sans que cela soit considéré comme une aide d’État. À l’inverse, rien n’empêche les États membres de définir des missions d’intérêt général et de les financer au travers d’opérateurs choisis. Ainsi, vous devez bien admettre qu’aucune démarche contentieuse n’a été engagée par la Commission européenne sur le financement des missions d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire ou de distribution de la presse, missions qui ne relèvent pas du service universel et qui sont exclusivement assumées par La Poste grâce à un financement étatique.

Une autre voie était donc possible : il fallait renforcer les missions de service public assumées par La Poste en les finançant. Mais, de cela, il n’en a point été question !

Ainsi, si vous vous « gargarisez » du fait que les missions de service public de La Poste soient désormais inscrites dans la loi, vous n’apportez aucune réponse satisfaisante sur le financement des activités d’intérêt général assumées par La Poste en dehors du service universel. En effet, le service universel, en raison de la suppression du secteur réservé, serait aujourd’hui financé par un fonds de compensation. Ce fonds a beaucoup évolué depuis sa création, mais la question de son financement n’est pas pour autant réglée.

À cet égard, nous vous avions proposé des critères cumulatifs entre chiffre d’affaires et nombre d’envois, afin de définir la contribution des opérateurs, mais vous avez préféré ne retenir que l’un des deux paramètres, ce que nous regrettons.

Nous continuons également d’avoir des inquiétudes sur la possibilité de ce fonds de permettre un véritable financement du service universel. Des exemples européens, notamment en Italie, ont en effet montré que ce type de dispositif était défaillant.

Parallèlement, vous n’avez pris aucun engagement afin de rattraper les retards pris dans le financement des missions d’aménagement du territoire, notamment. En effet, depuis 1990, l’État n’a jamais compensé de manière suffisante les obligations assumées par La Poste en matière d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire, de service universel ou encore de distribution de la presse.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est faux !

M. Jean-Claude Danglot. Chaque année, c’est une ardoise de 1 milliard d’euros que l’État laisse à La Poste ! Sans compter le fait que l’État a également ponctionné une soulte de 2 milliards d’euros en 2006 au titre du financement des retraites et un dividende important depuis deux ans. Le passage en société anonyme légitimera d’ailleurs la perception d’un dividende encore plus important.

La seule disposition prise en termes d’aménagement du territoire réside en une augmentation de l’exonération de taxe professionnelle dont bénéficie La Poste afin de financer le fonds de péréquation. Connaissant le manque à gagner que va générer la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités locales, nous sommes inquiets quant aux sommes qui seront réellement versées au fonds de péréquation. De plus, instrumentaliser l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, pour évaluer ce coût, outre le fait que cela renforce les pouvoirs déjà exorbitants confiés à cette Autorité, n’est pas de bon augure quand on sait que sa mission première est de faire de la place pour les nouveaux entrants.

En tant qu’élu d’un département touché par la disparition progressive des services publics, la question de la présence postale me touche particulièrement. Certes, le texte prévoit le maintien de 17 000 points de contact, mais les services rendus par un point poste, par un bureau de poste de plein exercice ou par une agence postale communale sont fondamentalement différents, vous le savez bien.

Les élus que nous sommes ne peuvent ignorer que la présence postale dans les territoires ruraux n’est pas qu’une simple question de distribution du courrier ou d’accès aux services bancaires, même si ces services constituent le socle de droit minimum auquel les usagers doivent pouvoir prétendre. Le postier est également un maillon essentiel de la cohésion sociale permettant de lutter contre l’isolement des personnes les plus fragiles.

Mais cette dimension sociale s’étiole depuis bien longtemps. En effet, la direction de La Poste est d’ores et déjà tournée vers la recherche d’une rentabilité accrue : suppression de guichets, de bureaux non rentables, allongement des circuits des facteurs, suppression massive d’emplois de fonctionnaires, externalisation continue de l’ensemble des activités. Le groupe La Poste compte ainsi aujourd’hui trois cents filiales.

Ce chemin est celui qu’a déjà emprunté France Télécom, avec la triste actualité que nous connaissons. Les conditions de travail des salariés de La Poste sont déplorables et vont encore se dégrader. Pourtant, vous avez fait le choix de précariser un peu plus ceux-ci, en les alléchant avec la possibilité d’un actionnariat salarié. Or l’urgence pour les agents du service public postal n’est pas de rentrer dans le jeu de Monopoly géant de la finance mondialisée : elle est de bénéficier d’une hausse de salaire, les salaires des postiers étant ridiculement bas.

L’extension des horaires d’ouverture des bureaux de poste pourrait être une idée intéressante si elle ne venait pas détériorer encore les conditions de travail des salariés. Déréglementer le temps de travail ne peut conduire qu’à des amplitudes horaires infernales pour s’adapter à tous les rythmes.

L’Assemblée nationale a supprimé la disposition interdisant au PDG de La Poste d’exercer des responsabilités dans d’autres entreprises. Nous considérons qu’il s’agit là d’une erreur. Si le simple objectif de ce correctif était de permettre à M. Bailly de présider les filiales de La Poste, une autre rédaction était possible. On voit donc bien que c’est une autre logique que vous poursuivez !

Pour finir, nous continuons de penser que, pour La Poste, la modernité n’est pas d’ouvrir la voie à sa privatisation : la modernité, c’est de construire des synergies dans le secteur des télécommunications. Il y a peu, nous débattions ici de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, qui a mis en lumière le besoin de disposer d’un maillage du territoire important et fiable, afin de garantir le droit de tous à l’information et à la communication. Alors que ce maillage numérique n’existe pas encore, faute d’investissements, sauf dans certaines zones particulièrement rentables, vous faites le choix de démanteler le réseau postal au nom de la rentabilité économique, transformant tout bureau de poste peu lucratif en un point postal de seconde zone.

Il faudrait, à l’inverse, organiser les complémentarités sur l’ensemble du territoire national. C’est là un défi pour la puissance publique. Or vous bottez en touche, en refusant de créer un grand pôle public des postes et télécommunications digne du XXIe siècle. Je vous le concède, il faudrait pour cela en finir avec la logique qui guide toutes les réformes entreprises par le Gouvernement, celle de l’incapacité de la puissance publique à répondre aux besoins, à offrir des services à tous : celle-ci se défausse de ses responsabilités sur le privé ou sur les collectivités locales.

Je vous le disais lors de l’ouverture de la discussion sur ce texte, c’est aujourd’hui notre pacte social qui est remis en question par le démantèlement de l’entreprise publique et l’ouverture totale à la concurrence des activités postales.

Pour ces raisons, nous restons convaincus que La Poste a un bel avenir devant elle, à la condition de mettre en échec ce projet de loi organisant la privatisation rampante du service public postal.

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