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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La transformation en société anonyme, un processus mortifère pour l’entreprise publique

Modification du statut de La Poste -

Par / 3 novembre 2009

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Un nombre d’abord : 2 300 000

2 millions 300 000 citoyens se sont déplacés dans toute la France pour se faire entendre du gouvernement et du Président de la République.

2 millions 300 000 citoyens ont exprimé leur refus que ce projet de loi soit examiné en urgence et à pas de charge au Parlement.
2 millions 300 000 citoyens ont exigé que l’avenir du service public postal fasse l’objet d’un référendum institutionnel.

Et pourtant, nous sommes là, aujourd’hui 2 novembre à engager le processus mortifère pour l’entreprise publique de sa transformation en société anonyme. Utiliser les élus du peuple contre le peuple, voilà un bel usage par ce gouvernement de la démocratie parlementaire.
Ce gouvernement et votre majorité n’ont, à ce titre, pas trouvé de mots assez durs pour combattre l’organisation d’une votation citoyenne sur ce projet. « Pantalonnade » et « Tromperie » pour certains, « simulacre de démocratie » pour d’autres. Bref, une honte pour la République rappelant « les plus belles heures de l’Union soviétique » selon monsieur Estrosi.

La question était tronquée, nous dit-on, puisqu’elle portait sur la privatisation de la poste et non sur le changement de statut. Notre éminent rapporteur a d’ailleurs fait savoir à cette occasion que lui même n’était pas partisan de la privatisation de La Poste, mais qu’en l’occurrence, il n’en était nullement question.

Sur tous les tons, l’ensemble des ministres font savoir par voie de presse, qu’il ne s’agit pas de privatisation. Quiconque prétendrait le contraire serait un menteur et un manipulateur, y compris les élus locaux qui ont fait le choix de soutenir cette votation. En effet, cette votation qui n’a aucune valeur à vos yeux, en a suffisamment aux yeux des préfets pour traîner les maires devant les tribunaux !

Avez-vous donc si peur de l’expression citoyenne, que vous vous sentez obligés d’afficher un tel mépris ?
Vous préférez faire comme si personne dans ce pays n’avait la mémoire de ces entreprises qui d’abord transformées en société anonyme, ont été privatisées, comme GDF, France Telecom et tant d’autres …
Puisqu’il le faut, je vais donc entreprendre un bref rappel historique, comme d’autres de mes collègues le feront. Nous verrons bien alors qui est auteur de manipulation et de mensonge.

 Ainsi, Jacques Chirac affirmait, le 19 mai 2004 : « EDF et GDF sont de grands service public ce qui signifie qu’ils ne seront pas privatisés »
Sarkozy, alors ministre de l’économie, le 6 avril 2004 s’exprimait en ces termes : « Je redis qu’EDF et GDF ne seront pas privatisés »
François Fillon, actuel premier ministre, s’agaçait le 11 juin 1996 « devrais-je le répéter encore et encore, le caractère public de France Télécom est préservé dès lors que l’État détient plus de la moitié du capital social ».
Je ne peux dans ce florilège passer sous silence, les propos du Président du Sénat, notre éminent collègue, Gérard Larcher, rapporteur de la loi sur France Telecom, le 10 juin 1996, qui nous exhortait « à ne pas affirmer qu’il s’agit d’une loi de privatisation ». Aujourd’hui l’État ne détient plus que 26 % du capital de France Telecom.

Vous l’aurez compris, on pourrait en sourire s’il ne s’agissait pas de sujets si graves, les accusations de malhonnêteté formulées par la majorité sur la démarche entreprise par le comité national de défense de la Poste, sont au mieux mal placées au pire scandaleuses.
Nous maintenons donc qu’il s’agit d’un projet de loi de privatisation ou, s’il faut jouer sur les mots, d’un projet de loi qui appelle la privatisation à plus ou moins long terme de La Poste.

Vous vous en défendez en arguant que le capital sera détenu par l’État et des personnes morales de droit public. Vous nous dîtes que par « personnes morales de droit public », vous entendez la caisse des dépôts et consignation, mais quand des amendements en commission vous proposent de dire les choses aussi clairement vous poussez ses auteurs au retrait. Comment donc ne pas croire qu’une fois le verrou symbolique du statut envolé, vous n’allez pas très vite enclencher l’étape suivant en cédant une partie de capital au privé. Les faits sont têtus, nous pensons donc que cette loi n’est qu’un prélude à la privatisation de la Poste.
Le rapport remis par la commission Ailleret en décembre 2008 a servi de base à la rédaction de ce projet de loi. Je rappelle alors qu’à cette époque, le président de La Poste appelait de ses vœux une mise en bourse pure et simple de l’opérateur public.

L’étude d’impact fait d’ailleurs un écho intéressant à cette intention première. Il est en effet affirmé qu’« un EPIC n’a pas d’actionnariat et les investisseurs qui lui apporteraient des fonds propres n’auraient droit ni à participer au conseil d’administration, ni à versement de bénéfices ». Et c’est bien sûr là qu’il y a un problème, la possibilité pour les investisseurs de pouvoir prétendre à retour sur investissement. Il faut dire que La Poste a des arguments : voilà une entreprise, malgré tout ce que nous pouvons entendre, qui a vu sa rentabilité augmenter de 10% entre 2002 et 2007. Il s’agit d’un argument de taille pour changer le capital de la Poste : que la caisse des dépôts puisse tirer des dividendes de La Poste. Je dis caisse des dépôts, car l’État en a, selon la législation actuelle, déjà le droit. Malheureusement, la qualité publique d’un actionnaire n’induit pas toujours une action désintéressée. Mais pour justifier le changement de statut d’un grand service public national, cet argument est irrecevable.

Officiellement, le changement de statut part d’un constat simple : La Poste a besoin d’être modernisée pour faire face à la concurrence organisée par les directives européennes et transposée en droit interne par ce projet de loi. Cette modernisation appelle l’entreprise à se doter de nouveaux fonds propres pour financer les investissements à réaliser. L’État et la Caisse des dépôts sont donc appelés à souscrire à une augmentation de capital à hauteur respectivement de 1.2 milliards et 1.5 milliards d’euros.

Ainsi, vous nous soutenez au regard de la législation européenne que l’État pour moderniser La Poste ne pourra aider que si l’opérateur public change de statut. Pourtant, vous oubliez que l’Europe ne préjuge en rien sur le régime de propriété et que peu importe la forme juridique du destinataire, toute aide d’État est simplement prohibée. A ce titre, le point 39 de la directive de 1998 est particulièrement clair puisqu’il stipule que « cette directive n’entache pas le respect de la réglementation relative aux aides d’Etat ». Il s’agit donc d’un mauvais argument.

A l’inverse, le rôle des services publics est reconnu par les traités qui laissent aux États membre le soin de les définir et de prévoir leur financement. A ce titre, je ne crois pas que la France à aucun moment n’ait fait l’objet de quelconque poursuite pour la compensation par l’État des charges de service public supporté par l’opérateur public. A ce titre, une véritable modernisation aurait pu passer par une meilleure définition des obligations de service public dans le sens de leur extension et par conséquent d’une meilleure compensation par l’État. Ce n’est qu’un exemple qui montre que d’autres solutions existaient.
Si vous souhaitez ouvrir le capital de la Poste, c’est donc bien dans un logique de privatisation de l’entreprise publique.
Certes, nous vous concédons que les politiques de libéralisation et de dérèglementation menée par l’Union et les gouvernements, encouragent la perte de maîtrise publique.

Les institutions européennes n’ont, en effet, eu de cesse de prôner la concurrence libre et non faussée contraignant les opérateurs à se lancer comme prédateurs économiques dans de vastes opérations de fusion acquisition à l’international.
Rappelons par exemple, que cette course à l’international s’est soldée chez France Télécom par la création d’une dette abyssale atteignant 70 milliard en 2000.

Tout cela pour quoi ? Ces entreprises concurrentielles rendent-elles aujourd’hui un meilleur service aux usagers ? Cette pseudo modernisation est-elle bien utile ?

Partout en Europe, les services postaux ont été dégradés ainsi que les conditions de travail des agents du service public. Je vous parlai il y a quelques instants de France Télécom. Je crois que la situation de cette entreprise devrait nous inciter à la prudence concernant l’avenir de La Poste.
En Europe, rien qu’au niveau postal, ce sont 300 000 emplois qui ont été supprimé. En Allemagne, en Suède, les bureaux de poste ont fermé. La Grande Bretagne qui s’était séparé de la filiale bancaire a été obligée de la racheté à prix d’or.

En France, depuis 2004, la Poste a supprimé 40 000 emplois au nom de la modernité.

Par contre, le prix des services ne cessent d’augmenter.
Cela ne vous suffit donc pas ? Aimer la Poste, ce n’est donc pas la privatiser mais conforter ses missions de service public.

Vous justifiez également ce besoin de fonds propres par la dette supportée par l’entreprise publique qui atteint les 6 milliards d’euros. Je souligne à cette occasion l’amalgame qui est régulièrement fait entre dette et déficit. Premièrement, l’entreprise n’est pas déficitaire quant à la dette il faut s’interroger non seulement sur son origine mais également sur son utilité. Cette dette, rappelons le est en grande partie le fruit de la non compensation par l’État des obligations de service public et d’autre part celle-ci a servi a financé la modernisation de l’entreprise et de ses bureaux.

En effet, l’État n’a jamais compensé de manière suffisante depuis 1990 les obligations assumées par la poste que ce soit en termes d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire, du service universel, ou encore de la distribution de la presse. C’est une ardoise de 1 milliard d’euros par an que l’État laisse à la Poste chaque année. Ceci sans compter que l’État a également ponctionné une soulte de 2 milliard en 2006 au titre du financement des retraites et un dividende conséquent depuis deux années.

Le nouveau contrat de service public 2008-2012 prévoit encore de limiter la participation de l’État aux missions de service public. Notamment, la compensation au titre de l’aide à la presse devrait passer de 240 millions à 180 millions en 2015, et ce, alors même que la Poste en assume seule plus de 400 millions.

Cela va dans le sens des propositions de la commission Ailleret qui demande notamment que les surcoûts liés à la présence postale soient revus la baisse.
Vous n’avez de cesse de nous dire que les missions de service public et que la maîtrise publique serait sauvegardée, celle ci étant inscrite noir sur blanc dans la loi. Pourtant, si ces missions sont définies y compris de manière extrêmement imprécises, leur financement reste plus qu’incertain.
Ainsi, la suppression du secteur réservé va une nouvelle fois priver la poste de ressources indispensables pour mettre en œuvre le service universel. A ce titre, je rappelle le contenu de la proposition de résolution de notre rapporteur en 2007 qui souhaitait que « le secteur réservé soit maintenu tant qu’un mode de financement alternatif n’ait pas été institué ».Demandant ainsi à ce que ce service public ne soit pas « sacrifié sur l’autel du marché intérieur ». Apparemment il n’a pas été entendu !

La création du fameux fonds de compensation prévu par la loi de régulation postale devient alors plus que nécessaire même si la fiche d’impact simplifiée réalisé par les services du gouvernement sur la directive de 1998 fait part des risques de financement pérenne du service universel avec la disparition du secteur réservé. Il notait à ce titre que le fonds de compensation s’était montré inopérant en Italie pour financer le service universel. C’est d’ailleurs une illustration de vos contradictions. Ce fonds devait initialement être géré par la caisse des dépôts. Celle-ci prenant part au capital de la poste, il vous revient de créer spécialement un établissement public à cet effet.
Je ne parle même pas ici du fonds de péréquation pour la présence territoriale. Celui ci est ridiculement abondé et son avenir par le biais de la suppression de la taxe professionnel largement mis en péril.
Votre slogan : La Poste, nous l’aimons alors nous la modernisons est donc fallacieux.

Votre projet de loi, dans la continuité de celui de 2005, propose un service public au rabais, s’articulant autour de la notion de service universel qui a été le plus sûr outil de démantèlement des services publics à la française. On le voit encore dans ce texte qui prône que les prix soient orientés sur les coûts, il n’est donc plus question de droit à disposer de service public, mais des services rendus à des usagers dans des conditions économiques intéressantes pour les actionnaires du groupe.

A ce titre, vous renforcez encore le rôle et les pouvoirs de l’ARCEP dont la mission est de permettre l’entrée sur le marché des opérateurs privées dans des conditions favorables. Les autres instances ont été mises en sommeil notamment la commission supérieure du service public des postes et télécommunications.

Je terminerai donc cette intervention par des propositions, car pour nous ne voulons ni changement de statut ni statut quo. Notre logique est pourtant différente. A votre exigence de rentabilité maximum, nous opposons les complémentarités et les coopérations comme base du service public et de la cohésion nationale.

Premièrement à l’échelle européenne. Mettre en œuvre des réseaux transeuropéens, cela a du sens. Par contre, organiser une guerre fratricide entre les services publics nationaux n’aboutit à l’inverse qu’à un gâchis humain et financier épouvantable.
A l’échelle nationale, nous opposons à votre projet, le chantier de création de pôles publics, en l’occurrence deux.
Pôle public financier s’articulant autour de la banque de France, de la Poste, de la Caisse des Dépôts, de Oséo … permettant de diriger la finance public vers la satisfaction des besoins. La crise a en effet de manière particulièrement douloureuse montré qu’il était dangereux de laisser la finance aux mains des spéculateurs et des intérêts privés.

D’autre part, nous estimons que la loi Quilès de 1990 en séparant France Telecom et La poste a initié une incompréhension des enjeux liés au droit à la communication, véritable cœur de métier des deux opérateurs. A ce titre, le développement d’Internet ne fait pas concurrence aux activités postales. Il faut donc accompagner la complémentarité des usages par une complémentarité des offres. Pourquoi à ce titre, ne pas s’appuyer sur le formidable atout que représente le réseau postal pour lutter contre la fracture numérique. Une piste importante de modernisation est à creuser dans ce sens dans l’objectif de créer un grand pôle public des postes et télécommunications du XXIème siècle.
Il faudrait pour cela en finir avec la logique qui anime toutes les réformes entreprises par le gouvernement : celle de l’impuissance de la puissance publique à répondre aux besoins, à offrir des services à tous. Son défaussement de ses responsabilités sur le privé ou sur les collectivités locales. C’est aujourd’hui notre pacte social qui est remis en question.

Pour cette raison, et pour toutes les autres, les 2 millions 300 000 personnes qui se sont exprimées le 3 octobre dernier peuvent compter sur les sénateurs du groupe CRC-SPG pour faire entendre leur voix au sein même de cet hémicycle, voix que votre gouvernement a fait le choix de mépriser. Nous sommes à leur côté déterminés à affirmer que La Poste a un bel avenir devant elle à la condition de mettre en échec votre projet de loi de privatisation du service public postal.

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