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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nous ne pouvons ignorer l’urgence sociale et économique que connaît notre pays

Economie sociale et solidaire -

Par / 6 novembre 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la semaine dernière, en Bretagne, plusieurs milliers de travailleurs sont descendus dans la rue pour crier leur colère et leur désarroi, alors que le chômage augmente et que la liste des entreprises en difficulté s’allonge : Gad, Doux, Tilly-Sabco, Marine Harvest… En 2013, 900 emplois ont déjà été supprimés dans notre région, et plus de 5 000 autres sont menacés.

Un autre gros point noir tient à la situation du site rennais de PSA Peugeot Citroën : 1 400 départs volontaires sont prévus d’ici à la fin de décembre, ce qui entraînera des effets en cascade sur les sous-traitants.

Ce désespoir, qui tourne parfois à la violence, n’est pas propre à ma région. Il touche la France entière.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Gérard Le Cam. Attentives aux seuls signaux du marché, les entreprises se livrent, au cœur de la crise, à la plus farouche concurrence, entraînant le coût du travail et les cours agricoles vers le bas !

La lutte emblématique des « Conti » contre la puissance financière de Continental, qui, en 2009, tirant prétexte de la crise, a rayé de la carte une usine rentable et 700 emplois, a permis de dénoncer la criminalité financière d’actionnaires invoquant la nécessité de procéder à des licenciements économiques quand la valeur de leurs actions doublaient en 2012 et le chiffre d’affaires progressait de 17 %. Il faut aussi évoquer le combat des « Fralib » pour faire vivre un outil industriel de qualité, alors qu’Unilever décide de délocaliser en Pologne la production du thé « Éléphant », créé à Marseille et vendu exclusivement en France !

Telle est la réalité économique ; elle appelle un changement de cap radical dans la politique économique du Gouvernement et dans la gestion des entreprises.

C’est pourquoi, même si vous avez bien précisé, monsieur le ministre, que le champ du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire est volontairement limité aux entreprises dites saines et repose sur le pari d’une « pollinisation vertueuse » de l’économie classique, nous ne pouvons ignorer l’urgence sociale et économique que connaît notre pays.

Nous sommes convaincus que les salariés doivent être associés plus étroitement à la gestion de leur entreprise pour cerner les évolutions, connaître en amont les difficultés pouvant survenir, proposer un meilleur partage des richesses créées et des évolutions techniques dans la production, intervenir sur la stratégie globale, nationale et internationale, ainsi que sur la définition des segments d’activité de l’entreprise. Les expériences menées en ce sens ont été positives pour l’outil industriel comme pour l’emploi.

Dans ce contexte, vous comprendrez que je m’arrête dès à présent sur les articles 11, 12 et 15. Emblématiques du projet de loi, ils visent à étendre le droit d’information à l’ensemble des salariés en cas de cession de l’entreprise ou du fonds de commerce et à instaurer les SCOP d’amorçage. Ces dispositions constituent sans aucun doute des avancées très positives, mais elles nous semblent bien isolées, hélas !

Les articles 11 et 12, qui suscitent la fronde du MEDEF et l’émoi de la droite, ne vont pas assez loin pour garantir une localisation des emplois et de l’activité économique, pour protéger les titres de propriété intellectuelle, les brevets, les marques.

Je vais vous livrer un exemple qui illustre nos craintes. Dans le Nord, l’entreprise de chimie Calaire a été vendue. Au moment de l’opération, l’État a retiré 192 millions d’euros de la cession de ses parts. Les salariés ont proposé de reprendre l’entreprise en maintenant 117 emplois, mais le projet a échoué car il leur manquait 9 millions d’euros. En définitive, le groupe Axyntis va reprendre le site, mais il ne conservera que 80 salariés. De telles situations se multiplient sur nos territoires !

Demain, le présent texte, s’il est adopté, ne garantira pas que le projet des salariés soit retenu en priorité, même s’il maintient davantage d’emplois. C’est sur ce point que nous devons travailler.

Dans cette perspective, nous présenterons des amendements tendant à enrichir le dispositif proposé en matière d’accompagnement des salariés, ainsi qu’à reconnaître à ceux-ci un droit de préemption.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, 50 000 emplois sont perdus chaque année parce que des entreprises saines mettent la clef sous la porte, faute de repreneur. D’autres emplois sont détruits, à l’occasion des cessions d’entreprise, au nom de la rentabilité financière. Il est temps de donner aux salariés qui le souhaitent les outils leur permettant de reprendre leur entreprise et de défendre leurs emplois.

Ainsi, nous souhaitons, comme le préconisait d’ailleurs le Conseil économique, social et environnemental, instaurer un droit de reprise dans un délai raisonnable, prévoir un véritable droit de préférence au profit des salariés, renforcer le rôle des banques coopératives dans l’octroi des prêts et garanties en appui aux projets de ces derniers.

Nous reviendrons sur cette question lors de l’examen des articles 11 et 12 : à cette occasion, nous ferons la démonstration qu’aucun argument juridique – ou politique – ne justifie que l’on renonce à l’instauration d’un droit de préférence au bénéfice des salariés.

S’agissant du droit d’information stricto sensu, nous saluons les avancées qui, sur l’initiative du rapporteur, Marc Daunis, ont été entérinées par la commission des affaires économiques. L’article 11 A, qui tend à instaurer un dispositif d’information des salariés, tout au long de la vie de l’entreprise, sur les possibilités de reprise, est essentiel pour garantir l’effectivité du projet gouvernemental.

Dans cet esprit, nous présenterons des amendements visant à permettre aux salariés ayant fait part au cédant de leur volonté de présenter une offre de rachat de se faire assister par une personne qu’ils auront désignée, dans des conditions définies par décret. À leur demande, cette personne pourra se faire communiquer les documents comptables et financiers de l’entreprise dans les mêmes conditions que le comité d’entreprise, en application des articles L. 2323-8 et L. 2323-9 du code du travail.

Nous proposerons également que les salariés puissent se faire assister par un représentant de la chambre de commerce et d’industrie régionale, de la chambre régionale d’agriculture ou de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat territorialement compétentes, en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire.

Nous proposerons en outre de compléter l’article 4, qui vise à définir les missions des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, afin, comme cela se pratique dans certaines structures, que celles-ci animent un espace régional de dialogue social associant les organisations syndicales de salariés et d’employeurs.

Nous pensons que l’introduction de ces précisions conditionne fortement l’efficacité du droit d’information et l’appréciation de sa pertinence, d’autant que les autres dispositions du projet de loi suscitent des critiques, sinon des interrogations.

Nous soutenons le projet du Gouvernement de structurer l’économie sociale et solidaire à travers une loi réaffirmant ses principes fondateurs : la liberté d’adhésion, la gestion démocratique, la non-lucrativité individuelle, l’utilité collective ou l’utilité sociale du projet, la mixité des ressources.

La diversité des acteurs de l’économie sociale et solidaire est un premier obstacle qui apparaît lorsque l’on veut rassembler cette grande famille ; le respect à géométrie variable des valeurs affichées en est un autre. Mais le projet de loi va plus loin encore dans la difficulté, puisqu’il tend, par une démarche inclusive, à intégrer les sociétés commerciales dans l’économie sociale et solidaire. Si nous comprenons la dynamique guidant ce choix, nous attirons l’attention sur les dangers d’une pollinisation qui pourrait se muer en pollution du secteur de l’économie sociale et solidaire…

Pour essayer de se prémunir contre un tel risque, nous vous proposerons, mes chers collègues, de renforcer les conditions, posées à l’article 1er du projet de loi, qui encadrent la définition de l’économie sociale et solidaire.

D’une part, nous souhaitons préciser la notion de gouvernance démocratique. En effet, s’il est vrai que le principe « une personne, une voix » ne régit pas la gouvernance de tous les acteurs historiques, il n’en reste pas moins que, en l’état, le projet de loi est trop flou sur ce point. La gouvernance démocratique est naturellement incompatible avec le dogme de la primauté actionnariale, mais on peut essayer de l’infléchir en précisant que la gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoit la participation, non strictement proportionnelle à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés et parties prenantes aux réalisations de l’entreprise. Nous vous ferons une proposition en ce sens.

D’autre part, nous proposerons de renforcer le caractère limité de la lucrativité. Pour que les sociétés commerciales puissent bénéficier du label « économie sociale et solidaire », il nous semble important qu’elles jouent le jeu et, par conséquent, qu’elles changent certaines de leurs pratiques en matière de gestion de leurs bénéfices. C’est pourquoi il est nécessaire d’augmenter les réserves statutaires et d’encadrer plus fortement les bénéfices distribuables.

Par ailleurs, l’article 2 bis du projet de loi, ayant pour objet d’instaurer une déclaration de principe par laquelle les entreprises de l’économie sociale et solidaire peuvent signifier leur volonté d’atteindre des objectifs plus volontaristes, peut être considéré, par les plus sceptiques d’entre nous, comme un merveilleux exemple de « droit mou » ou de « droit souple », pour reprendre la terminologie du Conseil d’État. Les plus optimistes y verront, quant à eux, un instrument non dépourvu d’intérêt, permettant un contrôle démocratique de la politique affichée par l’entreprise. Ayant retenu cette dernière analyse, nous proposerons de mettre l’exemplarité sociale au cœur du texte et d’y inscrire l’objectif de parité entre les hommes et les femmes dans les instances décisionnelles.

Enfin, nous demandons que la liste des entreprises ayant adhéré à cette déclaration de principe soit publiée selon des modalités prévues par décret et que ces entreprises en informent leurs salariés par voie d’affichage, en portant à leur connaissance, par le même moyen, la teneur de la déclaration.

Afin que les principes vertueux imprègnent les plus hautes instances de l’économie sociale et solidaire, nous souhaitons aussi que la composition du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire soit précisée, pour garantir une représentation de l’ensemble des parties prenantes, notamment des salariés, ainsi qu’une réelle parité entre hommes et femmes.

L’article 7, tendant à définir l’agrément « entreprise solidaire d’utilité publique », nous incite à la plus grande prudence.

En effet, cet agrément ouvre actuellement droit à deux contreparties : l’accès des « entreprises solidaires » aux dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME », qui ouvre droit à une réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune, et « Madelin », qui offre une réduction d’impôt sur le revenu en cas de souscription au capital de PME se consacrant à des activités technologiques ou présentant un potentiel important de croissance. Un volet « solidaire » vient donc se greffer sur ces deux dispositifs.

Le champ de cet agrément se trouve potentiellement élargi par le projet de loi, notamment au profit des sociétés commerciales qui rempliraient les conditions posées aux articles 1er et 2. C’est pourquoi il nous semble primordial, afin que de grands groupes ne bénéficient pas d’aides publiques payées par la collectivité, d’encadrer très précisément les conditions d’octroi de l’agrément, en particulier dans le cas des sociétés commerciales. En outre, les primes devraient être prises en compte dans le calcul de l’écart maximal de rémunération à respecter dans ce cadre.

Nous pensons que l’agrément accordé de plein droit ouvre une brèche dans le dispositif d’accès aux aides publiques. En ce sens, nous partageons les inquiétudes de la majorité des acteurs du secteur des entreprises solidaires d’utilité sociale, qui considèrent que cet agrément pourrait engendrer une instrumentalisation du conventionnement « insertion par l’activité économique » par des sociétés commerciales y voyant un moyen de contourner les conditions d’obtention de l’agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale. De plus, on comprend mal pourquoi le fait de mener une mission d’utilité sociale permettrait de s’affranchir du respect de principes fondateurs du secteur.

Je voudrais, pour conclure, faire quelques remarques sur les dispositions particulières concernant les acteurs historiques du secteur.

Tout d’abord, nous sommes très favorables à la révision coopérative, qui consiste à vérifier, tous les deux ou trois ans, si l’entreprise respecte toujours les conditions de son statut de coopérative, eu égard à tous les avantages et à toutes les aides que ce label offre dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.

En revanche, concernant les mutuelles, les dispositions du projet de loi ne nous semblent pas aller dans le bon sens. Nous sommes très attachés à la forme juridique mutualiste, caractérisée notamment par une gestion à but non lucratif et solidaire, qui permet de prendre en charge des risques sociaux, alors même que les États abaissent le niveau de la protection sociale obligatoire. Le principe de démocratie, qui devrait régir la gouvernance des mutuelles, devrait également permettre d’impliquer les citoyens dans les décisions les concernant. L’article 35 du projet de loi, sous couvert d’efficacité, va à l’encontre de cette règle.

Alors qu’il faudrait sortir les mutuelles du champ de la réglementation européenne en matière d’assurances et de complémentaires santé, et limiter les obligations en termes de réserves prudentielles, dans l’attente du remboursement à 100 % par la sécurité sociale, le projet de loi tend à créer un nouvel instrument financier pour répondre aux contraintes européennes, par ailleurs dénoncées. Ce faisant, il entérine les décisions de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, qui ne reconnaît pas la spécificité du risque santé et veut imposer aux organismes proposant des complémentaires santé de constituer des réserves prudentielles largement surdimensionnées. Ces exigences, excessives et inflationnistes, conduisent à des fusions sous contraintes mettant à mal le système mutualiste.

D’autres dispositions appellent des réserves de notre part ; nous y reviendrons lors de l’examen des articles. Je pense au statut d’entrepreneur salarié associé, qui écarte dangereusement un certain nombre de travailleurs de la législation du travail, ainsi qu’aux dispositions sur les fondations et au nouveau titre fondatif. Ce dernier ne nous convainc pas, et nous proposerons de le limiter aux fondations reconnues d’utilité publique.

Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire est largement perfectible. Nous espérons pouvoir aboutir, au terme des débats en séance publique, à un texte plus ambitieux, constituant une première étape vers la pérennisation de nos emplois et de nos savoir-faire, garantissant le renforcement des principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire et permettant que s’impose réellement une autre forme d’appropriation des moyens de production et d’échanges.

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