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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nouvelles régulations économiques

Par / 18 avril 2001

par Odette Terrade

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, plus d’un an et demi après l’affaire Michelin, près d’un an après la première lecture du projet de loi par l’Assemblée nationale, six mois tout juste après le vote par la Haute Assemblée d’un texte profondément amendé, nous entamons la nouvelle lecture de ce projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.

Cette nouvelle lecture fait naturellement suite à l’échec prévisible de la commission mixte paritaire et à la réécriture, au
Palais-Bourbon, du texte voté par le Sénat et que nous avions, pour notre part, rejeté.

Dans un premier temps, on constatera d’ailleurs que, même si le tamis de la première navette et de la nouvelle lecture a commencé d’avoir son effet sur la teneur générale du projet de loi, un grand nombre de dispositions restent aujourd’hui en débat puisque 90 articles n’ont pas été adoptés conformes et que plus de 30 articles issus de nos travaux ont été supprimés lors du nouveau passage devant les députés.

On notera ainsi, dans cet esprit, que la commission des finances, par la voix du rapporteur général, procède, à l’orée de ce débat, à une réécriture assez importante du texte, en déposant, en effet, près de
80 amendements tendant, pour l’essentiel, à revenir au texte voté le 17 octobre dernier.

Ce rappel du long cheminement jusqu’à l’adoption et la promulgation définitive du présent projet de loi, ne doit pas faire oublier l’essentiel : le fait générateur du texte - l’affaire Michelin, souvenez-vous - semble assez éloigné de l’état actuel de sa rédaction.

Ce projet de loi s’apparente in fine plus à un texte portant diverses dispositions d’ordre économique et financier qu’à l’affirmation de choix politiques porteurs de transformations du cadre législatif et réglementaire de notre pays !

Que contient, en effet, le projet de loi pour l’essentiel ?

Nombre de ses articles concernent les autorités de contrôle, quel que soit leur champ d’investigation - activités financières ou respect des règles de concurrence - dans la perspective affichée d’un transfert de compétences jusqu’ici dédiées à l’Etat au profit d’autorités indépendantes.

Le projet de loi contient également des dispositions tendant à transcrire en droit français les plus récents textes européens en matière de lutte contre le blanchiment, textes sur lesquels l’unanimité semble d’ailleurs encore loin de se faire.

Ce projet de loi comporte enfin un important volet de codification et de transformation du droit des sociétés, consistant notamment à inclure la loi de 1966 dans le code de commerce.

Toujours est-il que, dans ce contexte, nous sommes loin, très loin, des intentions affichées au départ. Et cela est d’autant plus vrai que l’actualité récente exigerait de procéder à une inflexion sensible du contenu du présent projet de loi, plus en rapport avec les réalités.

Les affaires Danone et Marks & Spencer viennent en effet de prouver clairement les circonstances actuelles, d’une réflexion plus approfondie sur le contenu du présent texte, conduisant à l’affirmation de choix politiques plus nets révélateurs d’une volonté d’agir sur le cours des choses.

D’aucuns ne manqueront naturellement pas de nous rétorquer ici qu’un autre texte, qui sera très prochainement examiné par la Haute Assemblée, pourrait mieux se prêter à l’exercice : il s’agit du projet de loi portant sur la modernisation sociale.

Nous pensons cependant que c’est aussi à la lumière d’une sensible amélioration du contenu du présent projet de loi que l’on répondra aux attentes exprimées par le peuple de notre pays.

Cela revient évidemment à poser la première question essentielle : qu’entend-on par « nouvelles régulations économiques » ?

Depuis plusieurs décennies, l’économie de notre pays s’est très largement replacée dans un cadre de développement transformé, faisant, année après année, une place de plus en plus large aux seules règles du marché et de la concurrence.

On pourra ainsi relever, au fil des temps, des textes aussi importants que la loi bancaire de 1984, sans oublier l’ensemble des dispositions fiscales qui ont, bon an, mal an, accompagné les restructurations industrielles, capitalistiques et juridiques dans nos entreprises, notamment les plus grandes d’entre elles, celles qui sont dotées d’une vocation internationale.

La puissance publique a ainsi largement contribué, dans les faits, à favoriser le mouvement au travers, notamment, d’une large défiscalisation et d’un allégement global des obligations sociales des entreprises, double mouvement plutôt paradoxal, au demeurant, alors même que le poids des prélèvements obligatoires ne connaissait pas de réduction massive !

Cet allégement fiscal et social pour les entreprises va de pair avec un renforcement de la prédominance des seules règles de la libre concurrence dans le fonctionnement de l’économie, renforcement impulsé par l’Acte unique européen. Il vient aujourd’hui mettre en question le fonctionnement du service public à la française, notamment La Poste, les télécommunications, les transports et l’énergie...

M. Hilaire Flandre. Et la SNCF !

Mme Odette Terrade. L’ensemble des activités économiques et sociales, y compris celles qui sont pourtant indispensables pour satisfaire aux besoins sociaux collectifs les plus élémentaires, sont aujourd’hui largement soumises à des règles de libre concurrence qui se heurtent vite à leurs contradictions essentielles : inégalité des citoyens devant l’accès à la consommation ou aux avancées techniques et technologiques, répartition inéquitable des fruits d’une croissance qui s’essouffle d’autant plus que cette iniquité est prégnante...

Par voie de conséquence, le processus d’une croissance économique portée par les seules règles du marché et de la libre concurrence conduit à la précarisation des conditions de travail des salariés, à la mise en cause des principes fondamentaux du droit social, comme à l’aggravation des antagonismes entre les entreprises.

J’en veux pour preuve les controverses sur le respect des producteurs par les grands groupes de la distribution ou la sophistication des règles de sous-traitance, plaçant un nombre croissant de petites et moyennes entreprises dans l’orbite des choix stratégiques des plus grandes entreprises.

Ce processus de croissance est discutable : il ne peut être conçu comme durable et susceptible de répondre, à terme, à la satisfaction des besoins collectifs. Il impose naturellement que soient édictées de nouvelles règles de fonctionnement économique et social du pays ! Est-ce là, pour autant, la meilleure définition que l’on puisse donner de ce que le présent projet de loi appelle « nouvelles régulations économiques » ?

Nous avons en effet un peu l’impression, peut-être trompeuse, que, sortant d’une économie assez largement « administrée », le présent projet de loi se fixerait comme finalité d’éviter de glisser définitivement dans une économie purement libérale, où seules les inégalités seraient au
rendez-vous d’une certaine croissance. Définir de nouvelles régulations économiques reviendrait alors à définir le moyen terme entre un certain passé et un présent et un futur plutôt incertains.

Posons toutefois d’emblée la question : notre pays doit-il rougir d’avoir, pendant les trente années écoulées à compter de la fin de la Seconde Guerre mondiale, fait ce choix d’une gestion « administrée » de son propre développement économique, dans laquelle le rôle de l’Etat apparaissait déterminant ? A l’évidence, non !

Le niveau de développement atteint par notre pays en termes économiques et sociaux, la qualité de ses infrastructures ne disqualifient pas le moins du monde ce qui a été ainsi accompli !

Au contraire, quand bien même la richesse nationale a continué de croître dans des proportions notables, les vingt-cinq dernières années ont été marquées par une sensible détérioration de la situation économique et sociale, jalonnée par le développement des inégalités sociales, l’émergence d’un chômage massif, de phénomènes de pauvreté et d’exclusion qui mettent directement en cause le rôle de la puissance politique.

Les nouvelles régulations économiques doivent-elles, dans ce contexte, matérialiser le refus du politique de peser sur les réalités économiques ou permettre, au travers de la définition de règles du jeu plus précises, une répartition socialement plus équitable des progrès économiques ?

Force est de constater que c’est aujourd’hui plutôt le premier terme de l’alternative qui inspire largement le présent projet de loi.

Qu’il s’agisse du développement de nos activités financières ou du fonctionnement des circuits de distribution des marchandises, le présent projet de loi cède le rôle de l’Etat, de ses administrations, en clair le rôle de la puissance publique, à des autorités de contrôle issues des milieux professionnels définissant entre eux des formes contractuelles de modus vivendi, matérialisées par la jurisprudence de leurs décisions.

Et pourtant, manifestement, la situation appelle clairement d’autres réponses aux problèmes posés.

J’ai indiqué de façon liminaire que des événements récents avaient particulièrement frappé l’opinion, qu’il s’agisse des affaires Danone ou Marks & Spencer, que vous avez citées dans votre intervention, monsieur le secrétaire d’Etat.

Car, enfin, voilà clairement deux situations pour le moins emblématiques.

Dans le cas Danone, ce qui est en cause, c’est la fermeture d’un ensemble d’usines
- ici, des biscuiteries - dont les profits seraient insuffisants au regard des obligations que l’on semble désormais se fixer en termes de « retour sur investissement » pour les actionnaires.

Pour oser une image, la compétence et le dévouement des salariés de LU seraient insuffisants pour apporter aux actionnaires de Danone, « le beurre et l’argent du beurre » qu’ils seraient en droit d’attendre... Et ce, alors même que l’intensité du travail, les gains de productivité et la marge nette du groupe Danone n’ont pas connu de pause, à en juger par la lecture des éléments financiers disponibles.

Dans le cas qui nous préoccupe, le taux de rentabilité est proche de 8 %, ce qui en fait pourtant le numéro un français du secteur.

S’agissant de la situation du groupe Marks & Spencer, nous sommes, malgré les apparences, dans la même problématique, qui oppose croissance des profits et emploi. C’est en effet le fameux « retour sur investissement » qui justifierait, en dernière instance, la décision stratégique du groupe britannique de fermer ses magasins sur le continent.

« Profitabilité insuffisante » rimerait donc avec « choix stratégique » et « plan
social », sous des formes au demeurant juridiquement contestables, comme en témoigne la décision rendue le 9 avril dernier par le tribunal de grande instance de Paris, à la demande du comité d’entreprise.

Dans les deux situations évoquées, comme dans le cas de l’affaire Michelin et de son sous-traitant Wolber, nous sommes placés devant l’exigence d’une « re-réglementation ». Notre objectif est de lier le développement économique et le respect des normes sociales, de préserver la dignité et l’intégrité des salariés, de renforcer le rôle d’intervention économique des instances représentatives du personnel et de lutter efficacement contre les licenciements économiques injustifiés.

Les affaires Danone et Marks & Spencer sont pleinement susceptibles de justifier sans attendre la constitution des commissions régionales de contrôle des fonds publics que la loi du 5 janvier dernier - la loi Hue - permet désormais de mettre en place !

Ces entreprises n’ont-elles pas profité, ces derniers temps, des aides de l’Etat sous forme de ristourne dégressive sur les salaires ou de financement de la réduction du temps de travail ?

C’est donc dans la logique de cette orientation que les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen entendent participer au débat.

C’est ainsi que, partant de cette analyse, nous ne suivrons évidemment pas le Sénat s’il adopte un texte amendé par les propositions formulées par le rapporteur du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

***
Vote sur l’ensemble

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de la discussion du présent projet de loi, je me livrerai, au nom de mon groupe, à quelques observations sur le contenu du texte tel qu’il ressort des travaux de notre Haute Assemblée.

Quant au fond, nous avons d’ores et déjà souligné le caractère relativement limité de la portée de nombre des dispositions incluses dans le texte initial du projet de loi.

Nous devons constater qu’il n’a guère été amélioré lors des deux lectures effectuées dans notre assemblée, nombre des dispositions supprimées par l’Assemblée nationale à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, ayant été réintroduites par la commission des finances.

Incontestablement, ce texte qui manquait quelque peu de souffle en a acquis un nouveau, mais pas dans un sens très favorable, après son examen par le Sénat.

Résumer rapidement les propositions retenues suffit d’ailleurs à caractériser l’inflexion générale du projet de loi amendé : opposition résolue à toute extension des pouvoirs d’intervention économique des comités d’entreprise et à toute consultation des salariés, qu’il s’agisse des procédures d’appel d’offres ou de toute autre
procédure ; défense farouche du cumul des mandats d’administrateurs de société, de la latitude laissée aux dirigeants d’entreprise pour mener la gestion et la politique générale de l’entreprise ; préservation des avantages fiscaux associés à la mise en place de dispositifs de plans d’option d’achat d’actions : volonté affirmée de diluer la place du politique et de la puissance publique dans le processus de régulation économique, laissant aux seuls acteurs du marché la possibilité de déterminer les règles du jeu.

L’ensemble de ces orientations, qui guident la démarche de la majorité sénatoriale, ne peut évidemment rencontrer notre assentiment.

C’est donc tout à fait naturellement que nous ne voterons pas ce projet de loi tel qu’il vient d’être amendé.

En dernière instance, nous ne pouvons que souhaiter que l’ultime lecture du projet de loi par l’Assemblée nationale permettra de revenir à un texte légèrement plus conforme à ce que nous pouvions en attendre à l’origine.

Enfin, madame la ministre, nous escomptons que les débats à venir sur le projet de loi de modernisation sociale ou encore sur le projet de budget pour 2002 permettront enfin de donner à nos compatriotes des signes enfin tangibles de la volonté politique de ce Gouvernement de peser effectivement sur le cours des choses.

(…)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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