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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ouverture du capital de la DCN

Par / 22 décembre 2004

par Marie-France Beaufils

Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Nous sommes dans la période des cadeaux. Nombreux sont ceux, parmi vous, et aussi au gouvernement qui à la veille de Noël ont encore hésité pour arrêter leur choix, un choix difficile... un avion,… une panoplie d’agent EDF privatisé,… un portable,… mais il est vrai que tout cela vous l’aviez déjà offert depuis juin 2002.
Avec vous c’est Noël toute l’année,… surtout pour ceux qui recherchent de bons placements !

A Pâques 2003 déjà, le gouvernement avait concocté un projet de loi permettant à l’Etat majoritaire de devenir minoritaire au sein du capital d’Air France et vous voulez réduire cette part à moins de 20% en février 2005.
En plein mois d’août, M. SARKOZY s’attelait au changement de statut d’EDF et de GDF et aujourd’hui, vous annoncez que le capital doit être ouvert avant septembre 2005.
La privatisation est bien en marche comme nous l’avions annoncé. Les promesses faites aux syndicats sur « l’enclenchement d’une réelle concertation avec l’ensemble des parties (élus, salariés, usagers), s’agissant de la gouvernance d’entreprise » ont été complètement oubliées.
L’an dernier, c’était France Télécom. Les conséquences pour l’emploi sont lourdes puisque 13.500 emplois ont été supprimés en 2004 pour l’ensemble du groupe.

Au mépris de toute démocratie, c’est par la presse que les salariés, leurs représentants et leurs administrateurs ainsi que les élus que nous sommes ont appris le 1er septembre dernier que le gouvernement allait vendre 9,5 % du capital de France Télécom et permettre aux actionnaires privés de devenir majoritaires à 50,4%.
Avec cette privatisation totale, le gouvernement accélère la destruction d’un service public crucial pour la promotion de l’égal accès pour tous aux télécommunications.
Quant au mois dernier, le gouvernement a engagé la privatisation d’Aéroports de Paris.

Et la cerise sur le gâteau, vous proposez aujourd’hui que l’entreprise DCN ne soit détenue que majoritairement par l’Etat et non exclusivement par l’Etat. Vous avez de la constance, puisque c’est ce que proposait un amendement de la Commission des Affaires étrangères du Sénat en 2001.
Vous faites cette ouverture, d’ailleurs, au moment où DCN a un résultat positif, bien avant ce qui avait été envisagé. Nul doute que cela intéressera des actionnaires. C’est un cadeau à veille de Noël qu’ils apprécieront, je n’en doute pas.

Le gouvernement l’a déclaré, vous n’allez pas en rester là et vous voulez aller vite, vos amis du MEDEF piaffent d’impatience, ils vous le font sentir en permanence.
C’est le groupe nucléaire français Areva, entreprise hautement stratégique, avec la mise sur le marché d’environ 30% du capital. Cette ouverture se fera vraisemblablement aux dépens du Commissariat à l’énergie atomique qui verrait passer ses parts de 79% à moins de 60%.

Comme pour le groupe Alstom, comme pour DCN ce seront les profits pour le capital privé et les investissements à long terme et les charges lourdes pour la Nation.
Pour la construction navale vous auriez souhaité aller plus vite encore en glissant cette transformation dans un amendement, mais le Conseil d’Etat vous a rappelé que cette modification était substantielle, et qu’un projet de loi était nécessaire, ce que vous faites aujourd’hui.
Vous nous proposez donc d’examiner un projet de loi qui conduirait à très court terme à la privatisation totale de la DCN.
Certes vous ne l’affirmez pas comme tel, mais comment pourrait-il en être autrement. La méthode quelque peu différente d’une fois sur l’autre engendre systématiquement les mêmes effets.

Lorsqu’on vous dit que la privatisation est source de danger pour notre indépendance et notre souveraineté nationales dans la mesure où les fonds de pension américain risquent de pénétrer ce secteur très sensible, comme ils le font déjà en Grande Bretagne, vous affirmez : « Pensez-vous qu’attachée comme je suis à la souveraineté nationale en matière de défense, je n’y aie pas pris garde. »
Et bien je vous dirais que pour avoir observé dans la plus récente période des gouvernements qui s’étaient engagés à ne pas aller plus loin dans le cycle de privatisation et qui se voient aujourd’hui contredit par le vôtre, nous n’avons pas la naïveté de penser que d’autres ne pourraient franchir de nouvelles étapes.

Pour vous, l’article qui modifiait le statut de DCN, en décembre 2001, auquel nous nous sommes opposés, et votre projet de loi serait en cohérence ; ce serait, en quelque sorte, la deuxième étape. La troisième ne serait-elle pas la privatisation programmée de DCN. Nous attendons de votre part une explication très claire. Le processus enclenché en 2001 a ouvert une brèche dans laquelle vous vous êtes engouffrés. Et aujourd’hui, vous nous proposez un texte qui par sa brièveté porte en lui le sceau du transitoire. D’ailleurs, lors de la discussion en Commission des Finances, on a bien senti que si vous n’allez pas plus loin, c’est que la situation des personnels et leur réaction vous incitent à la prudence.

Vous nous rappelez votre attachement à la souveraineté nationale, nous voulons bien en prendre acte, mais reconnaissez qu’il n’est pas toujours partagé par tous vos amis politiques. Je m’en inquiète d’autant plus que le traité de constitution européenne affirme son penchant atlantiste en matière de défense européenne. Vous affirmez « ne jamais accepter de dépouiller notre peuple d’éléments aussi fondamentaux pour sa souveraineté » mais, Madame la Ministre, quels moyens seront à la disposition de l’Etat, dans la durée, pour tenir cet engagement.

La proposition d’élargir le capital nous est présentée comme nécessaire pour faire face à l’évolution de la construction navale et prendre en compte les modifications en Europe.
Vous avez lors du débat à l’Assemblée Nationale, déclaré qu’il est faux de dire que les chantiers navals espagnols appartiennent à l’Etat comme l’avait affirmé mon collègue Patrick Braouezec. Or, il semble bien qu’aujourd’hui, les négociations engagées avec les syndicats, se traduisent par un détachement du secteur civil. L’entreprise publique gérera les chantiers navals militaires. Cet accord a été signé ce 17 décembre. Vous venez d’ailleurs de le confirmer. Il est donc possible, et rien ne vous l’interdit, si ce n’est l’obsession du gouvernement à considérer que tous les secteurs publics sont des structures dépassées, de garder un capital public à 100%.
Vous avancez Madame la Ministre des considérations internationales qui vous obligeraient à la privatisation pour mieux résister à la concurrence internationale. L’armement n’est pas, et je pense que vous ne le contestez pas, une marchandise toute ordinaire.

Elle est la cible de nombreuses sociétés américaines financières ou industrielles qui ont su par « la stratégie du contournement » s’emparer de nombreuses entreprises européennes comme HDW en Allemagne acquise par la banque américaine One Equity Partner (OEP). L’on remarque ainsi que l’offensive américaine se porte sur les productions classiques tels que la construction navale. Et le rapprochement envisagé entre HDW et DCN supposerait qu’OEP donne son accord pour la cession de ses parts, ce qui n’est pas acquis, dans la mesure où la banque américaine ne semble pas très favorable au processus d’européanisation.
Le secteur de la construction navale britannique est dominé aujourd’hui par BAE systems, détenu à 47% par des capitaux américains.

Vous comprendrez que nous doutions de la possibilité d’assurer notre souveraineté nationale lorsque des financiers américains peuvent imposer leur diktat.
L’appel à une politique de l’armement ambitieuse suppose-t-elle que le privé s’approprie nos entreprises nationales. C’est faire fi de notre histoire que de vouloir s’aligner systématiquement sur les principes développés outre-atlantique et qui devraient nous servir de modèle. Cela ne sert, en aucune sorte, les intérêts de la Nation et encore moins celui de notre peuple qui en subit les conséquences depuis votre arrivée au pouvoir.

Aujourd’hui la tentation américaine à travers la mondialisation et les concentrations monopolistiques autour du commerce et de la production des armes s’accommode des concentrations européennes, et réussit comme en Angleterre et en Allemagne à s’emparer de ces industries stratégiques.
La solution est donc bien dans le renforcement du contrôle de ces entreprises par la puissance publique. Un projet industriel sur un secteur sensible comme celui-ci ne peut se construire avec les seuls industriels, il doit être soumis au contrôle de notre peuple.

Vous avancez que « le contexte international est aujourd’hui marqué par des marchés de plus en plus concurrentiels, une recherche constante de compétitivité, la course à l’innovation. » Pensez-vous que DCN, ses salariés, ses ingénieurs, ses techniciens, ses cadres, ses chercheurs ne seraient pas à la hauteur ? N’ont-ils pas su dans une entreprise détenue par l’Etat se développer de façon compétitive ? Vous-même reconnaissez que l’entreprise « dispose d’atouts essentiels : son savoir-faire, son expérience, un personnel motivé, une situation financière redressée… »
DCN a dégagé un résultat d’exploitation et un résultat net positif, proches des objectifs finaux de 2008. Pourquoi changer une équipe qui gagne ?

L’entreprise DCN revendique une position de maître d’œuvre de navires armés et elle est très présente sur le marché du maintien en condition opérationnelle qui représente 30% de son chiffre d’affaire. En quoi gagnerait-elle plus de compétitivité et d’innovation en étant sous capital privé ?
Vous ne proposez aucune visée industrielle dans ce texte, tout votre projet n’est sous-tendu que par des considérations financières, celles qui sont défendues dans le texte du traité de constitution européenne, et qui ne voit l’Europe que comme un grand marché.

Vous parlez en terme très vagues : « pour saisir toutes les opportunités il faut lever les contraintes qui la pénalisent en termes d’alliances ». Pourriez-vous nommer une seule de ces contraintes qui serait liée à son statut d’entreprise appartenant à l’Etat. De quelles opportunités voulez-vous parler qui ne pourraient être saisies dès aujourd’hui ? Pourquoi DCN ne pourrait pas nouer des alliances avec d’autres entreprises en Europe ?
Madame la Ministre, les arguments que vous invoquez ne sont guère convaincants, ils ne convainquent ni les salariés qui vous l’ont exprimé dans la rue la semaine dernière, ni les élus de notre groupe.
L’excellente situation économique de DCN aurait-elle aiguisé de nouveaux appétits et y aurait-il urgence d’agir vite pour exaucer la demande de Monsieur Rauque, PDG de Thalès, « afin que tout soit réglé pour le premier semestre 2005 ». Selon un journal régional du 8 décembre dernier la nouvelle entité ainsi crée serait partagée entre DCN à 65% et Thalès à 35%.

La question qui se pose est la réalité de la faisabilité de cette alliance, est-ce seulement une hypothèse d’école ?
Vous prétendez vouloir renforcer la DCN en ouvrant son capital jusqu’à 49%, alors que le plan de charge est assuré à 80% par l’Etat et se trouve donc hors champ de la concurrence. Quel intérêt industriel y a-t-il à vouloir privatiser une telle structure ? La soumission à des critères de rentabilité que les actionnaires n’oublieront pas de rappeler sont-ils compatibles avec l’intérêt d’une entreprise essentielle au plan stratégique.
L’intérêt stratégique est un intérêt à caractère général il est supérieur à tout intérêt privé, il ne peut donc être soumis à un quelconque intérêt privé ; c’est un principe essentiel à la sauvegarde de notre indépendance nationale auquel il est difficile de déroger.
Un syndicaliste disait que votre projet répondait « à la logique du gouvernement Raffarin « de jeter en pâture les entreprises publiques aux appétits boulimiques de la finance. »

Je pense, pour ma part, que les services publics, les entreprises publiques ne sont pas seulement une question économique, ils représentent une conception de la société, ils permettent de répondre aux droits que la Constitution reconnaît aux citoyens de notre pays. Toutes les activités humaines ne peuvent être soumises à la loi du marché.
Ces entités publiques représentent aujourd’hui, non seulement sur le plan national mais aussi sur le plan européen, un obstacle à la mondialisation libérale.
Défendre le statut des salariés de DCN ce n’est pas un combat corporatiste, c’est avant tout défendre une autre conception de la société, délivrée des seuls appétits financiers. Votre politique a pour but de mettre à bas tout ce qui concerne l’intérêt général, le bien commun, la protection sociale, la notion de droit pour chacune et chacun, tout ce qui concerne le lien social, la solidarité. Avec DCN vous franchissez un pas supplémentaire en livrant une partie de notre industrie de défense aux intérêts du privé.
L’exemple du statut du personnel des arsenaux, vous ne l’acceptez pas ; pas plus que celui des agents EDF. Vous considérez que les statuts sont des privilèges et vous voulez ainsi tirer par le bas les conditions de travail de ces salariés.

Pour mener à bien leur tache, les salariés qu’ils soient du secteur public ou privé ont besoin de plus de dignité fondée sur la citoyenneté dans l’entreprise, corollaire de la citoyenneté dans la cité. La recherche permanente de baisse des coûts salariaux, que vous traduisez par la remise en cause des statuts des personnels des services publics, ne peut y contribuer. Vous maintenez les statuts, dites-vous, les ouvriers d’Etat mis à disposition peut-être, mais leur âge moyen est de 49 ans, cela sera vite réglé, mais ceux qui sont embauchés, sans un statut de droit privé, rien n’en est dit.

Les salariés savent ce que signifient les restructurations, elles ont toutes le même objectif : celui de réduire la voilure ; celui de détruire les statuts de façon pernicieuse le plus souvent, en les laissant disparaître progressivement, en précarisant les nouvelles embauches.
La filialisation que vous proposez ressemble à toutes celles qui ont été développé dans les autres entreprises que vous avez mis à mal, elles ne se solderont que par des privatisations supplémentaires. Vous portez, Madame la Ministre, une lourde responsabilité en laissant filer vers le privé ce fleuron de la défense française. L’entreprise avait repris son envol et vous lui couper les ailes. Vous créez les conditions de son démantèlement.

Nous pensons qu’il faut profiter, au contraire, de cette bonne santé pour renforcer la position de DCN, en l’intégrant dans un pôle public de l’armement, garant d’une politique de défense indépendante. Car rien n’interdirait de nouveaux partenariats avec des entreprises nationales, en dehors de tout critère essentiellement financier, mais fondé sur la coopération au niveau européen.

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