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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Privatisation de France Télécom : question préalable

Par / 21 octobre 2003

par Marie-France Beaufils

Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,

Jamais un gouvernement n’avait mené avec autant de détermination et d’acharnement la destruction systématique de nos services et entreprises publics.
Jamais un gouvernement n’avait entrepris, de façon aussi chirurgicale, le découpage, élément par élément, de nos entreprises créées, pour la plupart, après la deuxième guerre mondiale pour reconstruire notre pays.

Vous laisserez dans la conscience collective l’empreinte d’un gouvernement aveuglé par un dogmatisme aussi étroit que destructeur ayant bradé en quelques mois un patrimoine national conquis et construit par les luttes démocratiques de notre peuple.
Vous n’avez épargné aucun moyen, depuis un peu plus d’un an, pour justifier la livraison de pans entiers du secteur public au secteur privé et en particulier pour discréditer France Télécom.
Vous avez utilisé la commission d’enquête sur les entreprises publiques de l’Assemblée Nationale pour mettre en application le proverbe populaire qui dit que « lorsque l’on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage ».

France Télécom serait l’exemple même, d’après vous d’une entreprise où, la présence de l’Etat, aurait été « une cause de la crise financière ».
Qu’en est-il réellement ?
Tout le monde s’accorde pour constater que les premières difficultés sont apparues avec l’acquisition d’entreprises en Europe et dans le monde à des prix faramineux, plus de 100 milliards d’euros ont été dépensés (achat de mobilcom et NTL par exemple) avec un seul objectif : la croissance financière et non le développement industriel de l’entreprise.

C’est avec l’ouverture du capital que l’entreprise s’est développée à l’international comme n’importe quelle entreprise capitaliste avec un « management » identique et ce dans une situation de crise boursière.
Or, loin de renforcer l’entreprise, cette stratégie d’expansion irraisonnée n’a fait que la fragiliser en l’endettant de 68 milliards d’euros, en provoquant des pertes à hauteur de 20 milliards et des frais financiers de l’ordre de 4 milliards.
Si l’entreprise, aujourd’hui, offre encore quelques gages de stabilité c’est bien essentiellement parce que l’Etat est toujours présent. Vous avez le souci de crédibiliser l’entreprise, dites vous, mais c’est pour la rendre plus présentable auprès des marchés financiers et ainsi pour mieux la vendre.

On pouvait penser qu’après une analyse lucide de la situation, vous décidiez de renforcer le caractère public de France Télécom, pour parfaire son redressement, lui permettre de s’engager avec efficacité dans les défis technologiques qui l’attendent. Or vous persistez et signez dans la voie du libéralisme le plus extrême en proposant, à travers cette loi, la privatisation totale de l’entreprise.
Comment se traduit la privatisation partielle engagée en 96 ? Comment l’usager, requalifié client, ressent-il ces changements ?
Les tarifs, selon vous, grâce à la concurrence auraient baissé ?

Les particuliers ont plutôt assisté à une forte hausse des tarifs tous services confondus, entre 1995 et 2003 + 89% sur la mise en service téléphonique +86% sur l’abonnement du téléphone fixe. La seconde prise et les interventions de dépannage jusqu’alors gratuites, sont maintenant respectivement facturées 46 euros et 68 euros et le moindre retard de paiement est facturé 9,48 euros.
Ce sont les communications « longue distance » qui ont essentiellement baissé sur les axes de trafic fortement utilisés comme l’axe Europe/USA. Cette baisse s’est accompagnée d’un « rééquilibrage » tarifaire au détriment de la grande masse des usagers.

Les tarifs des communications locales n’ont pas intégré les gains de productivité et ont donc subi une hausse relative d’autant plus escamotable qu’elle s’est accompagnée d’une modification de système de tarification. Une tarification non seulement inégale mais surtout peu transparente.
Le service au client est très sélectif, priorité est donnée au client important, que ce soit pour la vente, le traitement des dérangements ou les mises en service.
Les équipes d’intervention urgentes ont été supprimées deux mois avant la tempête de 1999 ce qui a entravé la reconstruction du réseau, malgré les prouesses réalisées par les personnels. Ce qui montre leur attachement au service public. Des incidents techniques ont coupé la population du réseau téléphonique en août et septembre derniers . Les restructurations de l’entreprise commencent à faire ressentir leurs effets.
Les critères de gestion conduisent l’entreprise à percevoir le service public comme un minimum : les mobiles n’en font pas partie, ni l’internet rapide ce qui conduit à des zones suréquipées parce que fortement concurrentielles et d’autres jugées non rentables ou on demande aux collectivités locales de participer au financement.

Les salariés sont également sacrifiés à chaque nouvelle étape de la déréglementation.
Le plan TOP a pour objectif le remodelage de l’entreprise pour sa seule rentabilité financière en dégageant 15 milliards de « cash-flow » en trois ans par une réduction de tous les coûts d’exploitation (emploi, investissement, recherche..) et par une pression accrue sur les usagers les plus captifs de franceTélécom.

Le développement de la précarité, les suppressions d’emploi dans un secteur en pleine expansion s’accompagnent d’une forte dégradation des conditions de travail où la mise en place d’un nouveau management : la Performance Individuelle Comparée (PIC) qui compare la performance de chaque salarié de France Télécom, avec un arsenal de sanctions à la clef, a conduit la direction à mettre en place une commission stress au niveau national.
Nous pensons, quant à nous, que les dégâts sont suffisamment importants. N’attendons pas que la situation soit irréversible.
La privatisation totale est la source de tous les déclins.

L’exemple récent de « la panne d’électricité aux Etats Unis » devrait tous nous faire réfléchir ici sans préjugé particulier. Le 14 août de cette année, 50 millions d’habitants de la côte Est des Etats-Unis et du Canada ont attendu, erré pendant 39 heures avant que la situation ne se rétablisse.
100 centrales électriques dont 22 réacteurs nucléaires ont été arrêtés d’urgence à cause, semblerait-il, de défaillances sur des lignes à haute tension du côté de Cleveland dans l’Ohio.

La région touchée par la panne générale du 14 août est habituée aux coupures. Elles se sont accélérées depuis la déréglementation engagée en 1999. Les effets dévastateurs de ces processus de déréglementation-privatisation sont avant tout provoqués par les économies à tout prix y compris sur les systèmes de sécurité, non entretenus comme l’a reconnu l’entreprise dans la panne américaine.
Afin de prévenir tout risque lié à ces processus, avec mon groupe nous demandons la création d’une commission d’enquête sur les conséquences des déréglementations des secteurs des télécommunications, des services postaux, du transport et de l’énergie.
Sans ce rapport qui ferait le bilan des expériences des déréglementations et des politiques de privatisations et de leurs conséquences véritables pour le respect des missions de service public, aucun sénateur ne dispose des éléments objectifs pour engager sans risque l’avenir des télécommunications dans notre pays. C’est pourquoi nous en appelons à la sagesse des sénateurs pour rejeter ce projet de loi et son caractère aventureux.

A travers la déréglementation des services publics, quel que soit le secteur, vous privilégiez le court terme au détriment des besoins futurs, au détriment de la sécurité des usagers. En Europe même, le secteur électrique a fait également parlé de lui cet été, et c’est dans les pays où la déréglementation est la plus avancée comme en Italie ou Espagne que les incidents ont été les plus fréquents.
Les autorités de régulation mises en place sont totalement inefficaces pour veiller à la qualité des services rendus. L’ART est aujourd’hui dans l’impossibilité de comparer les prix des opérateurs de téléphonie mobile et n’a aucun moyen d’empêcher les ententes.
Votre ambition est d’imposer le marché dans les secteurs où celui-ci n’existait pas du fait de la présence d’entreprises publiques, en déclenchant des batailles boursières, en exacerbant la sacro-sainte concurrence qui s’impose ainsi au principe du partenariat et en suscitant de très importantes concentrations capitalistiques qui ne sont que la reconstitution de véritables monopoles mais privés.

Les effets de cette politique sont catastrophiques sur l’emploi et selon les syndicalistes américains l’effondrement des télécoms dans le cadre de la déréglementation aux Etats-Unis a, en 2000, coûté 200 000 emplois auxquels il faut ajouter en 2002 les 100 000 de Worldcom ; la loi que vous présentez aura les mêmes effets puisque les mêmes causes en seront à l’origine : la libéralisation poussée à son extrême.
Vous présentez ce choix de société comme indiscutable et vous vous appuyez sur des postulats véhiculés dans le cadre de la mondialisation libérale. Vous supposez à priori que les sociétés sont « naturellement » harmonieuses, qu’elles ont un fonctionnement « spontané » et qu’en conséquence tout ce qui vient réglementer, mieux maîtriser les marchés (des droits nouveaux pour les salariés, les entreprises publiques ou certaines interventions de l’Etat) dérange « l’ordre des choses ».
Pour faire passer la privatisation vous avancez pour prétexte les directives européennes.
La loi que vous présentez aujourd’hui prend appui sur ces directives et vous prétendez qu’elles vous obligent à privatiser ; à aucun moment les différentes directives ne se déterminent sur la structure juridique des entreprises et la directive du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communication électroniques reconnait que « Les pouvoirs publics peuvent exercer une influence dominante sur le comportement des entreprises publiques, du fait des règles statutaires ou de la répartition des actions. »

La lecture très libérale de cette directive vous fait dire que les attributions ne peuvent se faire que par appel à candidature alors que l’Etat a le pouvoir de désigner une seule entreprise, en l’occurrence, celle qui existe aujourd’hui et qui peut très bien, seule, remplir la mission de service public. Nous demandons que le gouvernement désigne clairement France Télécom comme seul opérateur, chargé du service public, seule entreprise capable de remplir cette mission qu’elle assure depuis sa création, pour répondre correctement sur tout le territoire national.
Que représente cette loi dans le processus de libéralisation ?

Comme à chaque réforme que vous voulez imposer vous utilisez la gravité des difficultés financières pour faire passer ainsi les solutions les plus libérales.
Vous disposez pour cela d’un cadre international avec l’AGCS. Son objectif est clair. C’est l’ouverture totale de l’ensemble des services publics à la concurrence. Ce nouveau cycle de négociations doit se terminer le 1er janvier 2005. Vous le devancez.

La convention présidée par V. Giscard d’Estaing laisse peu de place aux services publics et les relègue sousle titre de services d’intérêt général dans une annexe.
Le livre vert sur « les services d’intérêt général » publié par la commission européenne, s’il éprouve quelque difficultés à justifier les déréglementations, ne va pas plus loin et vous laisse le champ libre.
Votre zèle à la cause libérale, Monsieur le Ministre, confirmé dans cette loi va permettre de parachever et d’accélérer la déréglementation en cours.
Vous supprimez l’article 1-1 de la loi du 3juillet 1990 sur le statut de France Télécom
Avec cette loi vous transformez cette entreprise nationale en une société anonyme ordinaire tout cela au prix de cessions d’actifs et d’une forte mobilisation de liquidités, d’une aggravation de la fracture numérique et d’un affaiblissement de l’emploi, de la recherche, du développement des capacités humaines de l’entreprise et de son avenir.

La privatisation va aggraver les inégalités de traitement sur le territoire.
Ce serait la fin de la mise à disposition pour la population, et sur tout le territoire, du minimum d’accès aux moyens téléphoniques. Seules les collectivités territoriales qui pourraient s’en donner les moyens pourraient se les payer ; mais à quel prix pour les citoyens alors qu’aujourd’hui aucun des opérateurs n’investit ni dans la recherche, ni dans leur développement.

Votre hyperlibéralisme vous amène à ne plus vous satisfaire des directives européennes.
Alors que le texte européen permet de maintenir en partie la mission de l’entreprise publique pour le service universel, vous faites le choix de lui retirer cette mission historique et d’instituer l’appel à candidature. A la coopération possible entre les opérateurs, vous préférez la mise en concurrence des entreprises. Un tel choix risque d’entraîner une redéfinition du service public de très bas niveau.

Alors que la directive européenne laisse la possibilité aux Etats d’élargir le contenu du service universel, votre projet de loi réduit son périmètre au strict minimum : à l’accès au téléphone fixe, aux appels d’urgence, à l’annuaire des pages blanches, aux services de renseignements et aux cabines téléphoniques délaissant ainsi le haut débit et les fréquences internet.
S’il est vrai que les directives européennes ont pour objectif l’ouverture à la concurrence et une plus importante libéralisation de l’économie, il n’en reste pas moins que votre lecture ne se fait qu’à travers le prisme de l’ultra- libéralisme et que leur application zélée dépasse bien souvent les frontières de l’extrapolation.

Non satisfaits intégralement de ce cadre législatif européen, vous avez immédiatement, dès votre arrivée au pouvoir, entamé le morcellement de la République avec la loi constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République et dès la semaine prochaine vous souhaitez parachever la mise en place concrète des transferts de compétences avec la loi sur les responsabilités locales.
Vous mettrez ainsi les collectivités locales dans une situation telle qu’elles ne pourront plus assumer ces prestations dans de bonnes conditions et pour cela vous ne leur concéderez que des moyens souvent relativement inférieurs aux besoins ; elle seront amenées ainsi à confier à des entreprises privées les services aujourd’hui assurés par le secteur public. C’est là aussi une façon détournée de restreindre le champ d’intervention de ce secteur.

Comme le statut de l’entreprise publique vous est insupportable, celui des salariés vous exaspère encore plus et vous souhaitez ainsi le transformer par des voies qui manquent de clarté.
D’abord en supprimant le caractère national de l’entreprise et l’obligation pour l’Etat de détenir directement ou indirectement plus de la moitié du capital ce qui vous évite de respecter l’avis du conseil d’Etat de 1993 qui justifiait le maintien des fonctionnaires en activité à France Télécom.
En favorisant une majorité d’actionnaires privés dans l’entreprise, l’objectif ne sera plus de caractère industriel mais sera recentré sur le financier et on peut craindre pour l’ensemble du personnel ce qui s’est passé aux Etats-Unis où des licenciements de grande ampleur ont été décrétés.

En favorisant des modes de représentation hybrides où les fonctionnaires dépendront des règles du privé, on ne peut que partager l’inquiétude de ces salariés. En prévoyant un bilan en 2019, où il ne restera plus que 25% des fonctionnaires, il est difficile de présager ce qu’ils seront devenus d’ici là, d’autant plus qu’aucun recrutement de nouveau fonctionnaire n’est possible depuis le premier janvier 2002 et ne s’est pas fait depuis1999.
Votre loi, Monsieur le Ministre, n’est justifiée par aucune considération de caractère économique objectif, elle n’est le fruit que de postulats à caractère purement idéologique.

Je vous fais part d’une citation que je livre à votre réflexion « En règle générale, des entreprises privées en concurrence entre elles peuvent s’acquitter de certaines tâches. Tel est le raisonnement qui fonde la privatisation d’activités et d’entreprises gérées par l’Etat en branches et en firmes privées (…) Malheureusement, le FMI et la Banque Mondiale ont traité de ces questions d’un point de vue étroitement idéologique : il fallait privatiser vite (…) C’est pourquoi, souvent, les privatisation n’ont pas apporté les bienfaits promis. Et leur échec, par les problèmes qu’il a créés a répandu l’hostilité contre l’idée même de privatisation. » C’est Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien vice-président et économiste en chef de la Banque Mondiale qui s’exprime ainsi dans son best-seller publié en 2002 « La grande désillusion » pour dénoncer l’absurdité des politiques de privatisation de les échecs auxquels elles ont conduit.

Je pense donc qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur ce projet de loi. L’heure est plus à l’amélioration de l’intervention de France Télécom, à l’élaboration d’un véritable projet industriel afin que France Télécom soit en capacité de répondre à ses missions de service public sur tout le territoire national.

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