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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Décentralisation du RMI et création du RMA

Par / 26 mai 2003

par Roland Muzeau

Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

S’il faut reconnaître une vertu à la majorité sénatoriale, c’est sa constance. Relevée d’ailleurs par Monsieur le Ministre lors de son audition par notre commission.
Le projet qui nous est soumis, dans une précipitation regrettable, modifiant le RMI et créant un RMA, ressort du même fondement idéologique que les propositions de loi votées dans cette assemblée : celle de décembre 2000, présentée par monsieur Gournac sur « les pénuries de main-d’œuvre », et celle de février 2001 portant création d’un RMA de messieurs Lambert et Marini.
Nos débats se déroulent au moment même où le gouvernement vient de geler 75 millions d’euros destinés au budget 2002 au titre des actions menées par les entreprises d’insertion et les associations.

Ce projet intervient après la remise en cause des 35 heures, le refus de pérenniser les emplois de dizaines de milliers de jeunes, la suppression des mesures anti-licenciements inscrites dans la loi de modernisation sociale, la suppression des 20000 assistants d’éducation, le dynamitage du système de retraite par répartition, toutes ces mesures décidées par votre gouvernement et répondant aux exigences du MEDEF.

M. le Ministre, 5 millions de personnes vivent dans notre pays sous le seuil de pauvreté : au lieu de travailler à prévenir et à modifier les situations vécues par nombre de nos concitoyens, le gouvernement s’attaque aux droits des personnes en difficulté, aux principes même qui ont fondé le RMI.

Comme le rappelait monsieur Dollé, rapporteur général du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), en s’appuyant sur les travaux qu’il a mené, il faut partir du préambule de la constitution de 1946, repris dans l’article 1 de la loi de 1988 créant le RMI : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, dont je salue par ailleurs le travail, parle même, à propos du RMI de « fragile équilibre entre ces deux principes constitutionnels que sont le droit à un minimum de ressources et le « devoir » (sic) de travailler !
Mais c’est un lapsus révélateur, une inversion caractéristique, que de transformer les « droits » de vivre, de travailler, en « devoir » des intéressés, surtout quand les premiers ne sont pas garantis, et sont même rognés par les pouvoirs publics.
Après les fonctionnaires, les enseignants, les salariés, c’est au tour des allocataires du RMI d’être montrés du doigt à la vindicte populaire.

Ils seraient, à entendre monsieur le ministre, non pas à reconnaître comme des personnes dans l’incapacité de travailler, et donc des ayant droits à une solidarité nationale, et à un effort particulier d’insertion sociale, mais soupçonnés de profiter de cette solidarité pour s’installer dans l’inactivité.
Les faits démontrent que telle n’est pas la situation.
Les personnes au RMI, sont, pour les 3/4à la recherche d’un emploi, non sans difficultés, et souvent, même s’il ne leur en est pas fait obligation, inscrites à l’ANPE.
Pour le 1/4 restant, il faut prendre en compte les impossibilités liées à l’âge, à l’état de santé, physique ou psychologique, à des charges d’enfants en bas âge ou souffrant de handicaps.

Le rapport au travail d’un allocataire du RMI est donc comparable à celui de la population au chômage.
Peut-être faut-il rappeler aussi que globalement l’allocation RMI n’entre que pour moitié dans les ressources des allocataires (source : Insee, Etudes et résultats, mai 2000) et que ces derniers depuis la loi contre les exclusions de 1998 peuvent percevoir des revenus du travail sans perdre leur allocation.
On est loin des fameuses « trappes à inactivité » dénoncées par nos vertueux censeurs, défenseurs de la moralité publique.

Il faut aller encore plus loin, et rappeler ici, contrairement aux idées reçues, que nombre d’allocataires préfèrent obtenir un emploi, même faiblement rémunéré, et diminuant d’autant leur allocation, à l’inactivité totale leur permettant de toucher le maximum de l’allocation.
Il est vrai que le RMI n’est pas satisfaisant, mais pas de la même façon que l’entend monsieur le ministre : le niveau de l’allocation, même complétée par des mesures diverses, reste faible : pour un célibataire, il ne représente que 45% du SMIC, et pour un couple 65%.

Son mode de calcul, basé sur les revenus du foyer et non sur la situation de la personne, exclut toutes celles et ceux dont le conjoint dispose d’un revenu supérieur aux maigres allocations du RMI pour un couple.
Les allocataires voient leurs droits sociaux réduits, puisqu’ils ne bénéficient pas des cotisations vieillesse et chômage.
La France est le seul pays de l’Union européenne où l’éligibilité est si tardive : ailleurs, elle est en général à 18 ans, et l’ensemble du dispositif souffre de n’être pas suffisamment évalué depuis 1992.

En outre, si, dans le projet gouvernemental, le montant de l’allocation reste réglementé nationalement, il y a un risque, en le transférant, qu’à l’avenir, il dépende des politiques de chaque département, avec les inégalités que cela entraînerait entre les départements riches et les départements pauvres, le risque qu’un président de conseil général décide, quasiment seul puisqu’il désigne les membres des CDI et des CLI, de suspendre l’allocation, avec le glissement progressif d’un dispositif universel vers une aide sociale départementale, donc facultative, et à terme pouvant être remise en cause.
Rappelons également que cette première complication de la décentralisation implique lui aussi des transferts de personnels d’Etat vers les départements sans qu’ils en aient été informés ni concertés. Cela ressemble fort à ce que contestent des milliers d’agents des CIO, médecins scolaires, ATOS…

Tout cela milite à mon sens pour qu’un tel dispositif ne soit pas transféré aux départements.
La vie d’un million d’allocataires, de 2 millions de personnes mériterait une autre approche.
Il conviendrait plutôt, et je cite monsieur Dollé : « de se situer dans une réflexion d’ensemble concernant le système d’indemnisation du chômage et d’aide au retour à l’emploi…après une évaluation approfondie des apports et des inconvénients du système actuel. »

Il conviendrait donc, de prendre le temps nécessaire à consulter les élus, les associations, les intéressés eux-mêmes pour réformer dans un sens progressiste le dispositif, et qu’au moins le volet allocation reste de la responsabilité de l’Etat garant de la solidarité nationale.
S’il est vrai qu’en ce qui concerne le volet « insertion » le co-pilotage Etat - département ne semble pas à l’usage, totalement satisfaisant : les pratiques comme les résultats, monsieur le Ministre, sont très variables d’un département à l’autre.

Outre que là aussi, il faudrait une évaluation que le gouvernement n’apporte pas, le transfert de ce volet aux départements ne réglera pas ces disparités, bien au contraire.
Nous avons, monsieur le Ministre, en mémoire le triste exemple de la Prestation Spécifique Dépendance (PSD), qui avait autant d’applications qu’il y a de départements, et qui, au bout du compte, avait contraint le nombre de bénéficiaires et permis aux départements de substantielles économies.

Je trouve préoccupant, à cet égard, le fait que l’Association des Départements de France (ADF) ait laissé l’instruction de ce dossier à l’un de ses membres, sans mandat clair et sans associer ceux qui ont en charge en son sein, les questions sociales.
Face à l’aggravation de la situation sociale et économique, une réforme du RMI et une réévaluation des minima sociaux sont bien nécessaires.
Mais ce projet tourne résolument le dos à cette exigence.
D’ailleurs monsieur Seillier, notre rapporteur, a également fait part de ses doutes, que je partage, comme je partage sa conviction, qui diffère sensiblement de celle de nos collègues auteurs de la première proposition de loi sur le RMA, sa conviction que - je le cite- « les difficultés du retour à l’emploi tiennent plus aux carences de l’offre - celle des employeurs - qu’à la faiblesse de la demande - celle des allocataires du RMI. »
Il note par exemple l’imprécision du projet de loi sur les conditions financières du transfert, notamment sur le devenir de « la prime de Noël » et de l’attribution d’éventuels « coups de pouce », du devenir des personnels de l’Etat en charge de la prestation dans les DDASS transférés aux départements.

Bien que favorable au dispositif, il note également, des risques quant à « l’appauvrissement du contenu des contrats d’insertion », mettant en avant, à juste titre, que la seule attestation de l’employeur ne saurait avoir valeur de contrat d’insertion, sachant qu’un employeur ne mobilisera pas autour de la personne l’ensemble des mesures d’accompagnement dont il pourrait avoir besoin.
Risques aussi quant à l’éviction des plus démunis, qui seront sanctionnés par l’inscription d’office dans une mesure uniquement orientée vers l’emploi, inadaptée à leur situation.
Risques enfin, et surtout, de changement de nature du contrat d’insertion, avec la disparition de l’engagement réciproque, personne concernée et collectivité pour atteindre un objectif.

Le groupe CRC sera donc amené à déposer des amendements visant à équilibrer la définition des contrats d’insertion.
Nos préoccupations portent aussi sur l’absence dans le projet de la prise en compte du rôle, éminemment positif des associations, notamment au sein des Commissions départementales d’insertion (CDI) et des Commissions locales d’insertion (CLI).
Au sujet des crédits d’insertion, comme l’avis unanime du monde associatif, nous exigerons le maintien des 17% obligatoires.

Je ne partage pas à ce sujet la prudence du rapporteur qui attend la présentation d’un amendement de suppression porté par des sénateurs de droite et de savoir ce que va dire le gouvernement, pour ensuite se prononcer.
Je partage les inquiétudes et les craintes des associations : ne pas fixer un seuil obligatoire pour l’insertion, la logique de la décentralisation y pousse, c’est préparer un recul de l’effort d’insertion, et un creusement des inégalités entre départements, au détriment des bénéficiaires.

Nous nous opposerons fermement à l’amendement de suppression de cette enveloppe présentée par la Commission des Finances et pour qu’elle ne soit pas utilisée à d’autres fins.
Enfin, sur la question de l’évaluation, j’ai déjà dit combien nous y sommes attachés, regrettant son absence depuis plusieurs années déjà.
Vous aurez certainement compris que si je salue la qualité du travail de mon collègue rapporteur, je n’en partage pas les conclusions.

Le groupe CRC ne peut que voter contre cette modification importante du RMI, son détournement, l’abandon de tout le volet social et d’accès aux soins, et son transfert qui s’inscrit dans une politique générale de désengagement de l’Etat abandonnant des priorités sensibles comme le social et l’enseignement pour mieux servir le capital.
De même, le groupe CRC ne peut accepter ce RMA, véritable sous-CES, qui vise en priorité à fournir des salariés bon marché au secteur marchand, tout en détériorant la nature du contrat de travail.
Certes, vous affirmez que le RMA, dans l’immédiat, ne menacera pas le RMI qui perdurera. Mais pour combien de temps ?

Cette création est une nouvelle pression sur les personnes sans emploi, pour leur faire accepter n’importe quelle activité, les culpabilisant en cas de refus, laissant planer une menace sur la perception de leurs indemnités.
Monsieur le Ministre, occuper quelqu’un suffit-il à lui donner un statut social ? Ces nouveaux salariés n’auront même pas les droits pleins et entiers de leurs collègues.
Ces nouveaux précaires, au niveau des droits et de la durée, verront pour 20 heures par semaine, pour des travaux à coup sûr pénibles et une protection sociale au rabais, leurs revenus s’accroître de…130 euros quelle que soit leur situation de famille !

Avec moins de 600 euros bruts par mois, peut-on vivre dignement ? La réponse est non, bien sûr.
Même si le projet s’adresse à un public très en difficulté, d’où une durée de travail arbitrairement fixée à 20 heures par semaine, d’ores et déjà ces allocataires sont pénalisées par rapport aux dispositions existantes avec la loi du 29 juillet 1998 permettant le cumul, pour une période donnée, de l’allocation et d’un salaire.

Cette loi que vous n’avez pas encore abrogée avait prévu de favoriser la reprise d’une activité professionnelle par le cumul possible entre minima sociaux et revenus d’activité pour aider les personnes les plus en difficulté à faire face aux dépenses qu’induit le retour à un emploi, notamment le transport, la garde des enfants, l’habillement.

Il n’existe pas d’évaluation des effets de cette loi, mais quoi qu’il en soit, le RMA supprime cette possibilité. Nous amenderons pour qu’il en soit autrement.
En conclusion, j’invite mes collègues à prendre la mesure des enjeux que pose à la collectivité nationale la résorption de la pauvreté en France et à s’opposer à ce projet qui porte en lui les germes de l’aggravation de la situation faite à des millions de nos concitoyens.

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