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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Droits des malades et fin de vie

Par / 12 avril 2005

par François Autain

Contrairement à ce qu’on a dit ou laisser entendre, cette PPL n’est ni consensuelle, ni équilibrée.
Le principal inconvénient du consensus qui s’est manifesté lors du vote émis par l’Assemblée nationale, c’est qu’il n’existe pas dans notre pays. Un tel phénomène, de plus en plus fréquent, témoigne du décalage grandissant qui existe dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, entre la réalité de notre société et ses représentants.

Accaparés par la recherche d’un consensus à tout prix, nos collègues de l’Assemblée nationale sont restés sourds aux aspirations de nos concitoyens à un droit à la mort volontaire. Face à ce véritable mouvement de fond, perceptible depuis une vingtaine d’années, non seulement en France, mais dans tous les pays industrialisés, certains qui nous sont géographiquement proches ont déjà répondu et reconnaissent ce droit par lequel chaque personne peut exercer sa liberté de décider du moment et des moyens de sa propre fin.

Un consensus qui repose sur l’adhésion unanime à des principes qui ne font pas l’unanimité, ou qui mélange des impératifs contradictoires entre lesquels on n’a pas voulu choisir - comme par exemple la liberté individuelle et le principe de sacralité de la vie - un tel consensus ne peut être que trompeur et fragile, voué à l’échec à brève échéance.

Enfin, il me parait abusif et pour le moins inapproprié d’appeler consensuel un texte qui interdit à certains des actes conformes à leurs propres valeurs ou leur impose des actes contraires à ces mêmes valeurs, ce qui n’est pas mieux.

Cette PPL n’est pas équilibrée. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que ce texte, fruit de la réflexion de la mission d’information créée par l’Assemblée nationale au lendemain et à cause du décès de Vincent Humbert dans des conditions dramatiques restées dans toutes nos mémoires, n’apporte aucune solution satisfaisante, ni pour le présent, ni pour l’avenir, ne permettant même pas, dans son état actuel, d’éviter le retour d’une affaire semblable.

Ceux qui n’ont pas les moyens physiques de leur libre suicide n’obtiennent toujours pas le droit d’être aidés. La seule possibilité qui leur est offerte est de mourir d’inanition, à petit feu, pendant les quatre semaines, voire plus, que durera leur agonie. Mais pour quel résultat ? Simplement pour permettre au médecin, et à travers lui la société toute entière, de s’exonérer de sa responsabilité de les avoir tués ? Piètre consolation au regard des atteintes irréparables portées à la dignité de ces personnes.

On voit à quelles aberrations peut conduire le principe de la sacralité de la vie quand il est poussé à l’absurde, ses thuriféraires n’hésitant pas à recourir à des méthodes infiniment plus cruelles et inhumaines que celles qu’ils rejettent. Je plains sincèrement ceux qui auront un jour à appliquer cette disposition. Il leur faudra au moins autant de courage pour la mettre en œuvre qu’il aura fallu de perversion pour l’imaginer.

La mort est un problème humain avant d’être un problème médical et on aurait aimé trouver dans ce texte la reconnaissance pour chacun d’un droit ultime et nécessaire, celui de choisir sa fin et de l’imposer à ses proches et à la société, soit directement quand on est en mesure d’exprimer sa volonté, soit par des directives anticipées dans le cas contraire.

Ce n’est malheureusement pas le cas. En revanche, il conforte le pouvoir médical et assure une meilleure protection juridique des médecins singulièrement à l’hôpital et plus particulièrement dans les services de réanimation médicale.

Grâce à Vincent Humbert, sa mère et leur confrère le Docteur Chaussoy, ils sont en train d’obtenir ce qu’ils demandaient en vain depuis longtemps déjà, une dépénalisation de certains actes médicaux que les juges assimilaient à des pratiques euthanasiques, et que ces médecins refusaient, et refusent toujours de dénommer et d’assumer pour ce qu’ils sont.

On ne peut que se réjouir d’une telle avancée en regrettant toutefois qu’elle n’aille pas jusqu’au bout de sa logique. Elle tente d’opérer, en vain me semble-t-il puisqu’elle n’en assure pas le contrôle, un tri entre ces pratiques multiples où cohabitent dans des proportions variables l’arrêt de traitement, le soulagement illimité de la douleur et la piqûre mortelle. En se refusant à aller plus loin, la PPL accepte de proroger une situation malsaine fondée sur le mensonge et l’hypocrisie qui résulte de l’inapplication d’une législation sur l’euthanasie que seule la violation régulière rend humainement et socialement supportable.

Devant la difficulté d’opérer une distinction claire entre ces pratiques, ne serait-il pas préférable de laisser au mourant, quand cela est possible, le soin d’arbitrer entre elles ?

Car toutes ces techniques ne relèvent-elles pas de la même conscience, celle de l’inutilité de s’acharner à maintenir une vie qui n’en est pas une et qui n’en sera plus une pour l’intéressé ?

Car la différence entre provoquer sciemment la mort de quelqu’un par une action ou par l’abstention, et la laisser advenir sans avoir l’intention de la provoquer, ne m’apparaît pas aussi essentielle qu’elle puisse exonérer le médecin de toute responsabilité morale. Sa responsabilité, si responsabilité il y a, puisque c’est avant tout celle du mourant qu’il doit respecter, ne réside-t-elle pas finalement davantage dans la décision elle-même que dans les modalités de sa mise en œuvre ?

La différence morale est-elle si grande entre attendre la mort ou la précipiter un peu dans l’espoir d’abréger les souffrances de celui qui s’en va ?

Une abstention, n’est-ce pas toujours une décision médicale ? Débrancher un appareil, retirer une sonde gastrique ou une perfusion ne sont-ils pas des actes ?

Sans l’intervention d’un médecin ou sans son arbitrage, quelle que soit la forme que revêt la pratique, la mort ne serait pas intervenue à ce moment précis et de cette façon.

Seuls peuvent être satisfaits de ce texte ceux qui se considèrent comme les usufruitiers d’un bien qui ne leur appartient pas, la date et l’heure de leur mort relevant de la bonne volonté du bailleur dont le sous-traitant ici-bas serait le médecin.

Les autres, qui s’estiment propriétaires de leur vie et n’entendent confier à personne d’autre le choix du moment et des modalités de leur fin, n’ont comme alternative que le recours aux soins palliatifs puisque la proposition de loi en son état actuel n’en prévoit pas d’autre.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de remettre en cause les bienfaits indiscutables de ces unités de soins palliatifs, hélas dramatiquement insuffisantes, ni de critiquer le travail qui s’y effectue, en tout point remarquable, mais de souligner les ambiguïtés et les contradictions du discours qui les instrumentalise.

Leur promotion dithyrambique par des zélateurs souvent inspirés donne parfois l’impression de n’avoir pour but que de démontrer que la demande d’euthanasie n’existe plus, au point qu’on ne comprend pas pourquoi il faille encore aujourd’hui s’y opposer par principe avec autant d’énergie.

Au cours des nombreuses auditions que notre commission a consacré aux soins palliatifs, nous avons souvent entendu les différents protagonistes essayer de nous convaincre que l’agonie pouvait être un moment privilégié de la vie et qu’il serait toujours possible de supprimer la douleur physique et la souffrance morale.

Or, rien ne semble plus contestable et je me retranche derrière les propos de Jean-Michel Lassaunière, chef du centre de soins palliatifs à l’Hôtel Dieu de Paris que nous n’avons malheureusement pas auditionné, qui déclare :

« il ne faut pas tout attendre des soins palliatifs et se garder de deux illusions :
1) Les soins palliatifs ne sont pas toujours synonymes de bonne mort
2) Imaginer qu’ils pourraient d’un coup de baguette magique supprimer la douleur et les demandes d’euthanasie serait une erreur, une manière de fuir le débat, une manière de se réfugier derrière une solution toute trouvée ».

On comprend mieux, dans ces conditions, la nécessité de reconnaître pour les mourants, au moins pour les plus lucides d’entre eux, le droit de récuser de telles illusions et de demander au médecin de les écouter pour éviter qu’une demande d’aide à mourir soit interprétée systématiquement comme la manifestation d’un désir inconscient de vivre.

Derrière ce discours humaniste voisinant avec des techniques qui finissent par se confondre avec des pratiques euthanasiques, quand elles plongent le mourant dans l’inconscience, il est difficile de ne pas voir la résurgence d’une certaine forme de paternalisme médical.

Certains médecins ont encore du mal à accepter, au moment où l’on croyait pourtant acquis le rééquilibrage de la relation médecin-patient, que les malades puissent se libérer de leur tutelle et être suspectés de mettre en question leur compétence. Certains éprouvent sans doute des difficultés à assumer ce qui peut apparaître comme une forme de limitation de leurs pouvoirs.

Pourtant, tous les choix des malades sont honorables, et le patient dans ces moments extrêmes est le meilleur juge de son propre bien et l’on ne saurait faire de tort à qui consent.

Nul, et surtout pas les médecins, n’a à les juger dans ces moments où la vie bascule et où les définitions classiques du bien et du mal sont aussi vaines qu’inopérantes, où l’on assiste quelquefois même en un instant à leur inversion.

On cite souvent l’injonction de Kafka sur son lit de mort à son médecin : « tuez-moi sinon vous êtes un assassin » et, plus près de nous, cette phrase du très beau livre que Noëlle Châtelet a consacré à la mort de sa mère : « il faut parfois l’aimer très fort, la vie, pour préférer la mort. Il arrive que le choix de la mort soit un hymne à la vie ».

Après cela, nous pouvons considérer, mes chers collègues, que le moment est venu où la médecine, aussi performante et bien intentionnée soit-elle, doit accepter que la mort soit avant tout l’affaire de celui qui meurt. Cette proposition de loi nous en offre l’occasion privilégiée, espérons que nous saurons la saisir.

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