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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Formation professionnelle et dialogue social (2)

Par / 3 février 2004

par Roland Muzeau

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Ce projet de loi a la particularité de comporter deux volets qui auraient mérité d’être examinés séparément.
S’il n’en est pas ainsi, c’est tout simplement que vous avez choisi, monsieur le Ministre, de profiter d’un accord national unanime des partenaires sociaux sur la « Formation professionnelle », pour masquer les très graves dispositions contenues dans le volet « Dialogue social ».

Pour la « Formation professionnelle », mon amie Annie David exprimera notre opinion autour de deux axes : l’exigence du respect de cet accord national interprofessionnel, et les propositions d’améliorations du groupe CRC.
Pour justifier les dispositions du texte « Dialogue social », votre leit-motiv est qu’il faut être « moderne », prendre en compte la société et l’économie mondialisée, que ce qui se justifiait hier, est obsolète aujourd’hui…

Monsieur Gauthier Sauvagnac ajoute pour le Medef, qu’il faut faire autrement !…
Bref, tous ceux qui ne pensent pas comme la droite gouvernementale et le Medef sont, au mieux taxés de ne rien comprendre, au pire de vouloir la perte de notre économie et de notre pays !…
La pensée unique a ses porte-paroles : vous en êtes, monsieur le Ministre, un de ses acteurs les plus éloquents.
Ce qui a échoué avec les travaux du Medef sur les chantiers de la Refondation sociale, vous l’imposez pas à pas, projets de loi, après projets de loi.
Votre texte ne peut se comprendre hors du contexte que je viens de rappeler. Alors que la situation des salariés ne cesse de se dégrader, vous condamnez la hiérarchie des normes, vous condamnez le principe de faveur.
Vous balayez la règle de l’ordre public social.
Toute l’histoire du monde du travail démontre que « luttes et progrès social » sont inséparables.

Les acquis des uns ont, à un moment donné, construit les droits de tous, qui eux-mêmes ont créé les conditions de nouveaux progrès portés par les revendications sociales.
Face aux critiques unanimes, vous avancez la « garantie » qu’offrirait l’introduction de l’accord majoritaire.
Nous sommes de ceux qui sont favorables à ce que les règles de validité des accords collectifs, tout comme les critères de représentativité des organisations syndicales, soient modifiés en profondeur.
Que tout salarié puisse participer à l’élection de représentants syndicaux, quelle que soit la taille de son entreprise et que le principe majoritaire, fondement de notre démocratie politique, s’applique également en matière sociale, serait un progrès tel qu’il permettrait, à mon sens, un regard nouveau sur les syndicats et par conséquent une meilleure intervention des salariés.

Dans ces conditions, un accord majoritaire signifierait bien, comme les communistes le proposent depuis 1982, que pour être valide et légitime, il soit signé par des syndicats ayant recueilli la majorité des voix aux élections.
Il y avait donc de quoi élaborer une vraie loi porteuse de progrès social : tel n’a pas été votre choix.
Entre le dispositif actuel, et un système reposant sur la signature d’organisations représentant une majorité de salariés concernés, vous avez choisi l’ambiguïté.
Au niveau interprofessionnel et de la branche, un accord pourra être minoritaire, si une majorité de syndicats ne s’y oppose pas : mais cette majorité s’appréciera en nombre d’organisations, et non en voix.
Au lieu de la possibilité de n’avoir qu’une organisation minoritaire qui signe, vous donnez la possibilité à trois syndicats de signer contre deux, même si les deux représentent plus de salariés que les trois réunis.
C’est une conception pour le moins curieuse de la démocratie qui met à l’écart des millions de salariés !

C’est un peu comme si l’on comptait le nombre de partis représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat, au lieu du nombre de parlementaires au moment des votes.
Certes, une « branche » sera libre d’organiser, pour légitimer ses accords, une élection de représentativité, et permettre à ses entreprises de fonder leurs accords sur l’approbation de syndicats majoritaires aux élections professionnelles.
Mais, et vous le savez monsieur le Ministre, c’est une ouverture virtuelle, puisqu’elle est conditionnée par le feu vert d’une majorité de syndicats, en nombre, de la branche.
Or, tout le monde sait que 3 centrales sur les 5 présentant une présomption « irréfragable » de représentativité, y sont totalement hostiles !
Sont virtuelles également les « garanties » que vous affirmez apporter concernant le caractère non rétroactif des dispositions sur l’articulation des niveaux de négociation.

Vous prétendez garantir la sécurité du système par deux gardes-fous, ce qui indique bien que vous êtes conscients des risques :
la dérogation par accord d’entreprise ne serait possible que si l’accord de branche ou interprofessionnel ne s’y oppose pas. C’est une mauvaise plaisanterie dans la mesure où ces accords actuellement en vigueur, conclus sous le régime actuel, n’ont jamais eu à prévoir, et pour cause, puisque la question ne se posait même pas, une telle interdiction.
Deuxième garde-fou : la valeur hiérarchique des accords déjà signés ne pourrait être remise en cause.
Deuxième mauvaise plaisanterie : un accord déjà signé peut-être dénoncé à tout moment : nombre de salariés dont la convention collective a été dénoncée sont bien payés pour le savoir. L’exemple des banques et assurances l’a démontré, et j’ai la conviction que le Medef, sans qu’il soit nécessaire de diaboliser son action, s’emploiera à cet exercice.
C’est ainsi que les entreprises pourraient « négocier » sous la pression patronale, la révision des trente-cinq heures, véritable objectif de cette loi.

L’accord d’entreprise dérogatoire à l’accord de branche, signifie incontestablement la réduction des droits des salariés, et parmi ceux-ci, les millions d’entre eux, les plus nombreux, qui travaillent dans les TPE-PME, où la représentation syndicale est faible voire absente.
Le risque d’atomisation des droits des salariés est avéré.
On ne peut pas affirmer vouloir réformer le dialogue social et maintenir des règles permettant de contourner l’opinion majoritaire des salariés. Pas plus qu’en refusant toujours de reconnaître l’existence de nouvelles organisations syndicales, qui sont par ailleurs incontournables.
Plus grave encore, au niveau de l’entreprise, en privilégiant un droit d’opposition élargi, vous mettez en place, monsieur le Ministre, une logique de contestation et d’affrontements entre syndicats, souvent déjà divisés, plutôt qu’une logique de responsabilisation et de construction commune, permettant de leur donner la possibilité de se mettre d’accord, dans l’intérêt des salariés et avec eux.
La totalité des syndicats de salariés, monsieur le ministre, pour des raisons certes quelque fois différentes, mais la totalité tout de même, condamne votre projet de loi.
Face à ce rejet unanime, vous m’avez répondu devant la commission des affaires sociales, que les syndicats CFDT, FO, CGC, et CFTC, signataires de la « Position commune », approuvaient votre texte …lorsqu’ils étaient en tête à tête avec vous !
Cette réponse est pour le moins surprenante ! Car, que vous le vouliez ou non, tous, j’insiste, tous, sans aucune exception, ont désapprouvé votre projet.
Les compte-rendus officiels de la commission en témoignent. Comme ils témoignent également, au sujet de la trop fameuse « Position commune », texte adopté en 2001 par le patronat et quatre syndicats, et dont vous répétez que votre texte en est la fidèle reprise, que les mêmes signataires syndicaux vous accusent d’en avoir détourné le sens, au profit de l’interprétation qu’en fait le Medef !
Monsieur le Ministre, faire de cette déclaration, la pierre angulaire, l’alpha et l’omega d’une nouvelle construction sociale ne résiste pas à l’examen attentif des défis auxquels des millions de salariés sont confrontés, pas plus qu’aux immenses dégâts consécutifs à la mise en place de la politique économique de notre pays que vous menez.

En matière de dialogue social, vous manquez un peu de crédibilité : je me souviens bien qu’un de vos premiers actes de ministre, en décembre 2002, a été de casser un accord majoritaire dans la restauration sur les 35 heures, lésant du coup 750 000 salariés !
Vous avez piétiné un vote et une opposition majoritaires à EDF ; conclu un accord ultra minoritaire sur les retraites ; entériné l’accord minoritaire sur les intermittents du spectacle ; pris un décret affaiblissant encore la médecine du travail contre l’avis majoritaire des syndicats ...
Bref, monsieur le Ministre, votre gouvernement n’a de cesse depuis qu’il a été nommé, de réduire les droits des travailleurs, et de donner satisfaction aux exigences du patronat.
Vous voulez faire disparaître l’idée qui s’est peu à peu imposée dans notre droit, idée juste et de bon sens, selon laquelle la liberté contractuelle devait être encadrée par une loi protectrice.

Monsieur le ministre, jusqu’à votre nomination, je pensais naïvement que tout le monde estimait juste la célèbre phrase du père Henri Lacordaire (1802-1861), catholique libéral, élu à l’académie française, en remplacement du comte Alexis de Tocqueville :
« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
Demain, la politique des accords d’entreprise dérogatoires deviendra la règle : ce qui plongera les négociateurs syndicaux, confrontés à plus de 400 branches professionnelles, dans les plus grandes difficultés.
Vous ouvrez ainsi un nouvel essor à la concurrence entre entreprises qui auraient obtenu un maximum de reculs sur la seule variable d’ajustement reconnue par l’actionnaire : la valeur travail.
Réformer le dialogue social est indispensable.

Mais, je le rappelle, cela suppose de prendre en compte plusieurs éléments dont la représentativité des organisations, la garantie d’un exercice du droit syndical sans entrave, que soit mis un terme à la chasse aux délégués du personnel, et garanti le droit à l’expression syndicale sur le lieu de travail, que soient créées les conditions d’une représentation syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés, et dans celles de moins de 11.

Enfin, monsieur le Ministre, nos débats se déroulent quelques jours après la publication du rapport que vous avez commandé à monsieur Michel de Virville, et qui, au travers d’une cinquantaine de propositions, s’attaque à un siècle de conquêtes sociales, et vise à refondre le code du Travail par voie d’ordonnances !
Vous comprendrez, monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes chers collègues, toute l’attention que le groupe CRC porte ainsi au texte qui nous est soumis, le contexte dans lequel il nous parvient, et par voie de conséquence, notre totale opposition au volet « Dialogue social », opposition que nous conforterons dans la question préalable que nous avons déposée, et que défendra mon ami Guy Fischer.

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