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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été étudiée ne sont pas acceptables

Travail du dimanche : demande de renvoi à la commission -

Par / 21 juillet 2009

Madame la présidente, avant de défendre cette motion visant à renvoyer cette proposition de loi à la commission des affaires sociales, je me permettrai de rappeler une fois encore combien il me paraît aberrant de défendre les motions après la clôture de la discussion générale. J’espère que nous pourrons revoir cette pratique lors de la prochaine réforme de notre règlement.

Cette motion se justifie tout d’abord par des raisons de forme. Les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été étudiée ne sont pas acceptables. Elles sont bien loin de l’esprit de la réforme constitutionnelle, que vous ne cessez de présenter comme permettant de renforcer le rôle des parlementaires, particulièrement ceux de l’opposition.

En effet, comment se satisfaire de l’examen, dans la précipitation, à quelques jours des vacances, d’une proposition de loi aussi importante que celle-ci ?

Pour mémoire, la proposition de loi du député Richard Mallié, dont il n’aura échappé à personne qu’elle constituait une prime à la délinquance ou une loi d’amnistie - il était en effet urgent d’amnistier ceux qui, jusqu’ici, se situaient dans l’illégalité - a été adoptée à l’Assemblée nationale le 15 juillet dernier dans l’après midi. Les sénateurs ont eu jusqu’à dix-neuf heures le même jour pour déposer des amendements devant la commission des affaires sociales. Le lendemain matin, Mme Debré présentait son rapport et, pour finir, le délai limite de dépôt des amendements en séance publique a expiré hier à onze heures.

Je vois dans cette démarche une double volonté : tout d’abord, satisfaire au plus vite le Président de la République,...

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... qui avait fait de ce dossier une priorité et qui n’avait pas supporté le camouflet de décembre 2008. (M. Roland Courteau approuve.) C’est sans doute pour cela que les députés UMP, qui s’étaient initialement opposés à cette proposition de loi, sont désormais rentrés dans le rang.

Je regrette, comme l’on fait les précédents intervenants, la forme choisie pour l’examen de ce texte, à savoir une proposition de loi d’inspiration présidentielle. Ce stratagème vous permet d’éviter la consultation obligatoire des organisations syndicales. Vous pouvez ainsi, dans une période peu propice aux mobilisations syndicales, imposer une contre-réforme qui a réussi l’exploit de mobiliser contre elle, ne vous en déplaise, monsieur le ministre, la CFDT, la CFTC, la CGC, Force Ouvrière, les Solidaires, la CGT, mais également des organisations patronales comme l’Union des professions artisanales, l’UPA et la Confédération générales du patronat des petites et moyennes entreprises. Évidemment, compte tenu de la manière dont le processus parlementaire s’est déroulé, ces organisations n’ont pu être auditionnées par la commission des affaires sociales. (Mme le rapporteur le conteste.)

MM. Daniel Raoul et Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !

M. Dominique Braye. Mensonges !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je constate que vous n’avez pas non plus auditionné l’association « Laissez-nous travailler », qui prétend se faire le porte-parole de la minorité de salariés favorables au travail le dimanche. Il faut dire qu’au vu des débats à l’Assemblée nationale, notamment de la négation du volontariat dans les zones touristiques et de l’absence de contreparties, son président, M. Grumberg, pourtant ardent défenseur du travail le dimanche, considère aujourd’hui que le compte n’y est pas pour les salariés.

Tout cela permet d’entrevoir un troisième motif à cette précipitation : agir vite pour éviter la contestation dans votre propre camp.

Mais, au-delà de ces considérations, qui intéressent surtout la majorité sénatoriale, je ne peux que dénoncer l’absence d’une étude d’impact, pourtant si chère aux parlementaires, tout particulièrement aux sénateurs. Celle-ci aurait permis de mieux cerner les conséquences sur l’emploi de l’application de cette proposition de loi, notamment dans le commerce de proximité.

Une étude avait pourtant bien été menée avant l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République : elle avait démontré que, pour un emploi créé dans la grande distribution, trois seraient supprimés dans le commerce de proximité. Et l’on sait par expérience que, dans la grande distribution, très grande consommatrice de temps partiel et grande pourvoyeuse de précarité, les emplois sont moins protecteurs et moins rémunérateurs que dans le commerce de proximité. Les comptes sociaux pâtiront immanquablement de cette perte en quantité et en qualité.

Ainsi, au Royaume-Uni, qui vous sert de modèle - alors même que les Britanniques prennent aujourd’hui conscience de certains effets négatifs du thatchérisme -, il y avait, avant l’application de la loi autorisant le travail le dimanche, 15 000 magasins de proximité non franchisés vendant des chaussures ; aujourd’hui, il n’en reste plus que 350...

Naturellement, je vous entends déjà contester ces propos, monsieur le ministre. C’est votre droit et, de toute façon, en l’absence d’étude d’impact, rien ne peut venir, hélas ! ni les corroborer ni les contredire.

Cette étude d’impact aurait également permis de mesurer les conséquences de l’application de cette proposition de loi sur la vie sociale et familiale, ainsi que sur l’environnement. Je ne reprendrai pas ce qui a été dit précédemment par mes collègues à ce sujet, mais chacun sait que, plus les grandes surfaces s’éloignent des centres-villes, plus les gens sont obligés de se déplacer avec leurs voitures.

En outre, je regrette que la commission des affaires économiques ne se soit pas autosaisie, comme je l’y avais invitée par courrier. Au mieux, ce refus traduit votre volonté d’aller vite, très vite, au détriment de la qualité du travail parlementaire. Au pire, il prouve que, dans vos propres rangs, certains doutent des quelques effets positifs de cette nouvelle dérégulation sur l’économie de notre pays. Pour ma part, je penche pour la deuxième hypothèse. Comme le faisait justement remarquer M. François Baroin en décembre dernier, « les gens qui consommeront le dimanche ne le feront pas un autre jour ». C’est une sans doute une lapalissade, mais précisément parce qu’il s’agit d’une vérité d’évidence !

M. Dominique Braye. C’est faux quand même !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est d’autant plus vrai que votre gouvernement n’aura pas amélioré le pouvoir d’achat de nos concitoyens, bien au contraire !

Mme Raymonde Le Texier. Voilà !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Permettez-moi de consacrer le reste de mon propos à Paris. La situation de cette agglomération est évidemment emblématique.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui lui réserve une place à part, en prévoyant que le préfet de Paris décidera seul si la capitale doit être considérée comme une commune touristique dans sa totalité et, dans le cas contraire, déterminera quelles seront les zones touristiques. Le Conseil de Paris et le maire n’auront plus leur mot à dire. Avouez, mes chers collègues, qu’il s’agit d’une conception très particulière de la concertation si chère au Gouvernement ! En réalité, le maire et la majorité du Conseil de Paris s’étant prononcés contre ce projet à de multiples reprises, vous voulez passer outre. Mais comment justifier cette attitude par rapport à la démocratie locale et au pouvoir des autres maires ?

Si ce texte était adopté, Paris pourrait tout à la fois répondre à la définition des périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les fameux PUCE, et remplir les critères de l’extension des zones touristiques, avec pour conséquence l’ouverture des commerces toute l’année et tous les jours, alors même qu’il existe un lien direct entre l’augmentation de l’amplitude horaire et l’extension du temps partiel imposé.

L’adoption de cette disposition signifierait que, dans un même quartier, les salariés concernés par le nouveau dispositif des PUCE recevraient des contreparties obligatoires, tandis que ceux qui travaillent dans les sept zones délimitées précédemment, et qui relèvent de l’article L. 3132-25 du code du travail, n’en disposeraient plus.

Comment assurer, dans ces conditions de concurrence entre les deux dispositifs, la pérennité des contreparties en salaire et en repos pour le travail du dimanche ? Peut-être nous répondrez-vous enfin, monsieur le ministre...

En tout état de cause, le vote de la loi aurait pour conséquence immédiate la légalisation de l’ouverture de tous les établissements de vente au détail le dimanche, et plus seulement celle des commerces culturels, de loisirs et de tourisme. Force est de constater que, sur ce point, le terrain a été largement préparé. Nombre de commerces de détail effectuent déjà illégalement une ouverture dominicale, ce jusqu’en soirée, comme le dénoncent régulièrement les syndicats, pas seulement les confédérations, mais aussi les syndicats du commerce.

Outre les faibles moyens alloués à l’inspection du travail pour faire respecter le droit du travail, cet état de fait ne peut s’expliquer que par la clémence, voire la complaisance des pouvoirs publics.

Par ailleurs, à Paris, les magasins Galeries Lafayette et Printemps du boulevard Haussmann viennent d’obtenir une dérogation préfectorale pour ouvrir un sixième dimanche dans l’année au lieu des cinq prévus dans le code du travail. En outre, il est d’ores et déjà prévu que des zones commerciales du Val-d’Oise, des Yvelines et de l’Essonne deviendront des PUCE.

On voit que les choses sont déjà bien engagées et que, bien entendu, la loi va accélérer ce processus.

M. Dominique Braye. Nous attendons cela avec impatience !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais le comble est atteint lorsqu’on sait que l’ouverture des magasins le dimanche coûte cher, comme l’ont déjà indiqué certains orateurs. Elle induit une augmentation des frais fixes d’environ 15 % et une destruction massive des emplois liés au petit commerce, remplacés, au mieux, par des postes encore plus précaires. Or il s’agit uniquement, en quelque sorte, d’effectuer un simple transfert de clientèle !

D’une telle ouverture résultera une augmentation des prix que les mêmes groupes tenteront de compenser en « rognant » sur la masse salariale et en détruisant des emplois. Quand on sait que les employés des caisses représentent 65 % de la masse salariale, on imagine aisément ce qui se passera ensuite !

À Paris, au cours des dix dernières années, les horaires n’ont cessé d’être allongés. Néanmoins, le commerce parisien a perdu 50 000 emplois. Vous pouvez constater, chers collègues, l’effet de cette mesure sur la création d’emplois !

Par ailleurs, je suis scandalisée par le propos selon lequel le niveau de l’emploi pourrait être amélioré grâce à la riche clientèle étrangère qui viendra faire plus facilement faire des achats à Paris.

La Samaritaine, ancien grand magasin devenu enseigne de luxe sous la houlette du groupe LVMH, a été purement et simplement fermée au motif que le taux de rentabilité du capital - moins de 15 % - était insuffisant, fermeture qui a provoqué la suppression de 2 000 emplois directs ou induits. J’attends que vous me démontriez que le travail du dimanche permettra le recrutement par le groupe LVMH de 2 000 personnes sur les Champs-Élysées !

De plus, la présente proposition de loi aura de lourdes conséquences dans une région qui est déjà particulièrement concernée par le temps partiel imposé et souvent annualisé dans nombre de secteurs. Mais qui se soucie des salariés ?

Mes chers collègues, permettez-moi de vous citer les propos d’une salariée, caissière chez Monoprix : « 80 % des contrats sont à temps partiel, de 17 à 34 heures. Ceux à 34 heures permettaient à l’entreprise de bénéficier des 30 % d’abattement. Le temps partiel, c’est la porte ouverte à tous les abus, c’est les horaires les plus dégueulasses, par exemple jusqu’à vingt-deux heures. Quand j’ai commencé à travailler, le magasin fermait à dix-neuf heures quinze. Les employeurs invoquent toujours le même argument pour ouvrir plus tard : la clientèle. Cette politique a tué le petit commerce et a aggravé nos conditions de travail. Mon Monoprix n’est pas ouvert le dimanche, mais d’autres le sont. Le but du patronat du commerce est d’ouvrir tous les magasins tous les jours. Bientôt, il faudra abandonner ses enfants, divorcer et planter sa tente dans le magasin. »

M. Dominique Braye. Des propos pleins de nuances !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Avant la généralisation du temps partiel, il y avait deux filles par rayon ; aujourd’hui, une seule pour trois rayons. Et on embauche à 3 heures 45 par jour, pour contourner le quart d’heure de pause toutes les quatre heures. Les filles à temps partiel, elles gagnent un demi-SMIC. »

Depuis, Monoprix a lancé à Paris, sous l’enseigne Monop’, que vous connaissez peut-être, des magasins ouverts jusqu’à minuit... et le dimanche ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Eh oui !

Une étude d’impact aurait pu nous faire connaître le nombre d’emplois qui ont été créés depuis...

Les employés parisiens, des femmes dans leur grande majorité, habitent loin de Paris, car leur salaire ne leur permet pas de se loger dans la capitale.

Mme Annie David. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Leur vie est infernale. Quand elles terminent leur travail à 22 heures - je ne parle même pas de minuit ! -, elles regagnent à leur domicile une heure, voire une heure trente plus tard.

Vous pouvez ainsi apprécier, chers collègues, la qualité de vie des salariés des grands groupes du commerce parisien !

M. Dominique Braye. Ce que nous n’apprécions pas, c’est votre discours !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez de brailler ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Dominique Braye. Cela me rajeunit : on me faisait ce type de remarque à la maternelle !

Mme la présidente. La parole est à Mme Borvo Cohen-Seat et à elle seule !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Braye devrait intervenir pour nous faire part des arguments très intéressants qu’il doit avoir en magasin...

M. Dominique Braye. En magasin ouvert le dimanche, bien sûr ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... et qui justifient, à ses yeux, le travail du dimanche !

Je vous propose plutôt d’oser chercher à concilier vie professionnelle et vie familiale et sociale. Il faudrait, pour cela, revenir aux règles applicables auparavant au secteur du commerce, avec des amplitudes d’ouverture de dix à onze heures, ce qui n’est pas négligeable et permet déjà à tout un chacun de faire ses courses. Cela signifie, en général, une fermeture des magasins à dix-neuf heures ainsi qu’une fermeture dominicale.

Je vous propose également de chercher à mettre fin à ce jeu de concurrence féroce auquel se livrent la grande distribution et les enseignes du centre-ville pour remporter des parts de marché, à coups de déréglementation favorisée et financée par les pouvoirs publics.

Encore une fois, l’argument relatif au chiffre d’affaires est fallacieux. Tout le monde sait que les capacités de consommation ne sont pas extensibles, surtout quand les salariés gagnent de moins en moins.

De surcroît, la relance économique de notre pays repose-t-elle entièrement sur les achats des touristes fortunés dans les magasins LVMH de la capitale ?

Mme Annie David. Et le dimanche !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’aimerais obtenir une réponse sur ce point.

M. Dominique Braye. Depuis la chute du mur de Berlin, nous attendons les Russes, qui dépensent beaucoup !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel mode de vie voulons-nous ? Comme l’ont dit certains collègues, n’y a-t-il rien de mieux à faire le dimanche, en tout cas pour ceux de nos concitoyens qui ne travailleront pas ce jour-là, que de faire du shopping avec ses enfants, comme vous dites, monsieur le ministre, non sans un certain cynisme ? (M. le ministre s’étonne.)

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir renvoyer cette proposition de loi en commission, ce qui nous permettrait de réfléchir à toutes ses conséquences.

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