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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réforme de l’Assurance maladie : exception d’irrecevabilité

Par / 22 juillet 2004

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Permettez-moi, M. le Ministre, chers collègues, de dire d’emblée au nom de mon groupe, que le décalage est immense entre les motifs invoqués devant nos concitoyens pour présenter votre réforme, et les objectifs poursuivis par le gouvernement tels qu’ils apparaissent dans la réforme elle-même.
Nos concitoyens ont fait l’objet d’une mise en condition - il faut le reconnaître bien menée - depuis des mois sur les thèmes suivants, le déficit « abyssal » de l’assurance maladie - qu’il est impensable de supporter plus longtemps, est la conséquence d’une énorme gabegie dans la consommation des prestations de santé - nomadisme médical, surconsommation de médicaments, arrêts maladie à tout va - par nos concitoyens qui, bénéficiant d’un système de sécurité sociale particulièrement généreux, en usent et en abusent !

Voilà votre diagnostic, et à un tel diagnostic, vous dites vouloir porter remède en responsabilisant les malheureux « pécheurs », en chassant les gaspis, redressant ainsi la situation financière.
Mais le gouvernement ignorerait-il que nos concitoyens cotisent pour la sécurité sociale et cotisent déjà beaucoup ?
La fiscalisation progressive de leur effort a considérablement accru leur part. La CSG est financée à 90% par les assurés, tandis que la cotisation patronale n’a pas augmenté depuis 20 ans.

Le gouvernement ignorerait-il que les assurés paient le ticket modérateur de leur poche ou de leur mutuelle, qui leur coûte, au fil des ans, de plus en plus cher, de 50 à 100 euros par mois, pour une couverture non exhaustive bien entendu.
Le gouvernement ignorerait-il que le coût de la santé aux Etats-Unis où la prise en charge publique est réduite à la portion congrue est bien supérieure à celui de la France ? 14% du PIB pour 9,5% ?

Le gouvernement ignorerait-il que le chômage et les bas salaires dus à la précarité, ont une responsabilité première dans le déficit de la sécurité sociale ? 100.000 chômeurs de moins, c’est 1,3 milliard d’euros de recettes supplémentaires et 1% d’augmentation salariale, c’est 2,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires ?
Le gouvernement ignorerait-il que les exonérations de charge coûtent 3 milliards d’euros à la sécurité sociale ?

Le taux de cotisation des employeurs pour un salaire au SMIC est passé de 30,2% à 4,2% en dix ans.
On peut donc estimer que le déficit actuel - qui représente 3,35% de l’ensemble du budget de la protection sociale - est dû à des choix économiques et sociaux contestables. Vous ne croyez pas vous-même d’ailleurs en continuant la même politique, à la possibilité de le réduire et le chiffrage du Ministère des Finances d’un déficit entre 7 et 15 milliards d’euros dans trois ans ne fait l’objet qu de querelles pécrocolines.

En réalité, le fil conducteur de votre réforme est tout autre. Il vise loin. Il est le même que pour l’ensemble de votre politique : réduction des prélèvements obligatoires, transferts des dépenses sociales publiques au privé, c’est-à-dire rentabilité pour les prestataires, augmentation des coûts pour les utilisateurs.
Alors, M. le Ministre, nous nous éloignons à grands pas des principes fondateurs de la sécurité sociale et pour cette raison, votre réforme est irrecevable.
Nous connaissons le Préambule de la Constitution.
« La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle ».

Ces alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 sont des éléments fondateurs de la conception solidaire de la République issue de la Résistance, traduit par le programme du Conseil National de la Résistance et entre autre par la création de la sécurité sociale.
Le Préambule de 1946 émanait de cet immense élan de générosité, de justice sociale, de progrès qui a autorisé des avancées démocratiques, sociales et économiques considérables.
Faut-il rappeler que cet élan s’est appuyé bien souvent sur des efforts commun d’hommes et de femmes, d’horizons divers, parfois éloignés, qui, ensemble, ont combattu contre l’occupant nazi.
Un objectif était partagé : celui de la reconstruction du pays, de l’épanouissement d’une population meurtrie par la violence du conflit.

Nous nous honorons du rôle des ministres communistes à l’époque, mais des hommes et des femmes, issus de la bourgeoisie française, ont fait, à l’époque, ce choix et non pas celui du profit individuel contre l’intérêt général. Ce fut un choix historique à la source, entre autres facteurs, des Trente Glorieuses.
Le Conseil Constitutionnel, dans le cadre d’une jurisprudence fournie a rassemblé le préambule,n la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution dans ce qu’il dénomme le bloc de constitutionnalité.
Certes, le Préambule de 1946 est souvent critiqué, par des élus de la majorité.
Le Conseil Constitutionnel lui-même ne prend pas toujours en considération les principes portés par ce texte, le généralisant souvent à l’extrême pour mieux les édulcorer.

Il n’empêche, ces principes, socle constitutionnel de la sécurité sociale sont fondamentaux. D’ailleurs, vous n’hésitez pas, M. le Ministre, à citer ce que les fondateurs de la sécurité sociale avaient eux-mêmes formulé : « l’égalité d’accès aux soins qui suppose l’existence d’un système d’assurance maladie public et universel », la solidarité qui signifie que « chacun doit contribuer à l’assurance maladie selon ses moyens et recevoir selon ses besoins. »
Mais si tels étaient encore les fondements de votre réforme, il faudrait prendre en compte les évolutions des besoins, 60 ans après :
L’élargissement, l’amélioration de l’accès aux soins constituent un enjeu fondamental pour l’avenir.
Ils constituent un enjeu, mais aussi une évolution logique du progrès scientifique, technologique de notre époque.
L’allongement de la durée de vie n’est-il pas considéré comme l’un des signes d’une société qui progresse.
La révolution scientifique de ces dernières années modifie en profondeur la conception même du soin.
La prévention, parent pauvre en France, mais qui, du fait du pays des connaissances, peut permettre de réduire le pas sur la médecine et curative qui prédominait auparavant.

Cette évolution souhaitable, qui pourrait ici le contester, aurait dû amener le gouvernement à poser en pierre angulaire, de toute réforme en profondeur l’amélioration dans l’accès aux soins, l’accès de tous à une médecine de qualité, à la lutte contre une médecine à deux vitesses, alors qu’aujourd’hui, 6 millions de personnes ne se soignent que par la CMU, qu’un chômeur sur 4 renonce à se soigner, faute de moyen et qu’un nombre croissant d’hommes, de femmes de notre pays, renoncent à tel ou tel soin, reportant telle ou telle opération, faute d’une couverture suffisante.
Alors la réforme à faire est celle du financement. Trop étroit aujourd’hui. Nous faisons des propositions dans ce sens depuis longtemps : élargissement de l’assiette des cotisations, modulation en fonction de l’emploi, cotisation sur les revenus financiers.
Votre projet, Messieurs les Ministres, prend le chemin inverse en organisant le cadre d’une privatisation future de la sécurité sociale.
La sécu n’est pas évidemment, par elle-même, pérenne. Elle doit être défendue, et reformée dans un sens de progrès pour continuer à répondre à ses principes fondamentaux.

Les fondateurs de la sécurité sociale - je cite l’exposé des motifs de l’Ordonnance de 1945 étaient clairs.
« La réalisation de l’objectif (de la sécurité sociale solidaire) est subordonnée à un ensemble complexe de mesures qui engagent toute la politique économique et sociale du pays : entre les crises, plein emploi, salaires, garanties sociales » (je résume).
Mais vous en êtes loin.
Comment, M. le Ministre, concevoir une réforme d’ampleur de la sécurité sociale, en éludant ce paramètre essentiel ? Votre attitude, Messieurs les Ministres, démontre que le gouvernement de M. RAFFARIN n’a aucune intention de s’attaquer en profondeur à la crise de l’emploi.

Ma collègue Michelle DEMESSINE a développé ce point.
Mais ce que vous dissimulez à nos concitoyens en « responsabilisant » le patient, c’est-à-dire en le montrant du doigt, c’est la faiblesse organisée de la participation des entreprises et des revenus financiers à la politique de santé.
Votre énième plan de redressement, Messieurs les Ministres, continue dans le même sens : sur 15 milliards de recettes nouvelles, 1 milliard proviendra des entreprises, 14 des assurés sociaux et 0 des revenus financiers.
Où est l’équité, où est le partage ?

Ce projet de recul social multiplie les agressions contre les malades et assurés sociaux. La liste des mesures des régressions est longue : réduction des affections de large donnée, poursuite du déremboursement des médicaments, instauration d’un panier de soins, sorte de couverture minimum, le forfait d’un euro pour la médecine de ville, () l’augmentation forte du forfait hospitalier, la restriction du champ de soins remboursables, les mesures culpabilisatrices précitées, et la liberté tarifaire pour les spécialistes, lorsqu’il n’y a pas eu de consultation préalable du médecin traitant sont dangereuses pour l’équité, tout comme l’entrée des assurances privées au sein des organismes décideurs de l’assurance maladie sont symptomatiques des options gouvernementales.
Plusieurs de ces dispositions sont manifestement contraires aux principes constitutionnels.

Elles tournent le dos, en effet, à une conception solidaire de l’assurance maladie, et plus généralement, de la protection sociale.
Rapidement, je citerai les points du projet que nous considérons comme anticonstitutionnel.
Le gouvernement ignorerait-il qu’en restreignant le champ de la prise en charge publique légale, le système public perd son caractère universel et que l’égalité d’accès aux soins devient illusoire ?
Le gouvernement ignorerait-il qu’en augmentant la part de la prise en charge (facultative) par les organismes complémentaires, seule une partie de la population - la plus aisée - pourra recevoir selon ses besoins ?

Votre réforme rompt avec la logique de la sécurité sociale de 1945 : « Régime d’assurance sociale publique obligatoire solidaire géré par les salariés et les employeurs. »
Elle crée un système étatisé au niveau des décisions : le super ministre de l’UNCAM décide des remboursements. La Haute Autorité - pas plus démocratique décide du panier de soins.
Un système privatisé dans la couverture des soins.
Votre réforme organise la transition d’un système de solidarité public généralisé vers un système hybride d’un service public de santé géré par le public et le privé pérennisant une protection à deux vitesses, alors que la réalité porte à le combattre.

Sera-t-il possible, demain, de bien se soigner, voire de se soigner, sans couverture complémentaire, matérielle ou assurance ? Je ne le crois pas et cette situation serait contraire aux principes institutionnels.
L’article 2 du projet qui organise le dossier médical, ne respecte pas les règles constitutionnelles relatives à la protection des données personnelles. La confidentialité n’est pas assurée.
L’idée d’un dossier médical n’est pas en soi mauvaise. Mais les libertés individuelles doivent être préservées. Par ailleurs, comment ne pas s’inquiéter, M. le Ministre, du coût de mise en œuvre, 300 millions d’euros d’investissement et 600 millions de fonctionnement annuel ?

Comment ne pas s’inquiéter d’une incitation à la réalisation de nouveaux examens à chaque phase médicale pour éviter aux médecins de s’exposer judiciairement ?
Enfin, comment ne pas citer le président de l’ONM, le Docteur DUCLOUX, qui indiquait à un quotidien du soir « certains organismes ne devront, en aucune façon, pouvoir héberger le dossier, notamment les caisses d’assurance maladie et de retraite ou les assurances professionnelles. S’ils avaient accès aux données du dossier, ces organismes pourraient en effet être en situation de nuire aux assurés. »
L’article 4 tombe également sous le coup de l’anti-constitutionnalité. Par deux décisions 89-269 DC et 90-289 DC, le Conseil Constitutionnel a posé le principe du « libre choix du médecin pour le malade. »

Cet article, en conditionnant le niveau du remboursement par un spécialiste à l’intervention du médecin traitant, ne peut qu’être sanctionné par le Conseil Constitutionnel, si celui-ci confirme sa jurisprudence.
Enfin, et cet argument n’est pas le moindre. Le Conseil Constitutionnel a créé par sa jurisprudence constante, le concept de service public constitutionnel, ou national.
N’en déplaise à certains constitutionnalistes, le fait que la notion de service public ne soit pas citée dans la Constitution ne retire pas toute la force des décisions du juge constitutionnel qui possède le pouvoir non négligeable d’édicter des principes à valeur constitutionnelle.

La santé est un service public constitutionnel. De par la jurisprudence précitée, ce type de service ne peut être concédé au privé. Les dispositions organisant les assurances privées complémentaires en union au sein du Conseil de l’assurance maladie, en les autorisant à participer à la définition du périmètre de l’assurance maladie, met en cause la gestion publique du service public constitutionnel de la santé.

Le président de la FFSA ne s’est-il pas félicité de l’ouverture du champ de la santé aux assureurs. C’est d’ailleurs cette évolution qui permet de mieux comprendre la notion de panier de soins constituant une assurance maladie de base, comportant une liste limitative en prestation, le reste étant livré au privé.
Vous l’avez constaté, M. le Ministre, M. le Rapporteur, le Conseil Constitutionnel devra regarder attentivement les dispositions que les majorités absolues de l’Assemblée Nationale et du Sénat ont voté dans les conditions que vous savez, durant cet été 2004.

Il devra le faire en prenant le recul nécessaire et en se remémorant les objectifs généreux de solidarité qui avait engendré la sécurité sociale.
Le débat n’est pas fini car, comme vous l’ont indiqué certains de vos amis au sein même du gouvernement, ce projet fixe un cadre, une orientation particulièrement dangereux. Il fait entrer le loup dans la bergerie, la logique de concurrence et du marché dans le système de santé, mais il ne règle rien pour l’avenir.
D’autres débats nous attendent.

Nous serons là pour proposer d’autres choix, conformes à l’esprit de générosité sociale qui a longtemps fait la force de notre pays.

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