Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Revenu de solidarité active

Par / 22 octobre 2008

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté mérite toute notre attention.

L’article 1er fixe clairement l’objectif visé, qui est d’ « assurer aux bénéficiaires du revenu de solidarité active des moyens convenables d’existence, afin de lutter contre la pauvreté, encourager l’exercice ou le retour à une activité professionnelle et aider à l’insertion sociale des bénéficiaires ».

Cet objectif est tout à fait louable et ne nous étonne pas de votre part, monsieur le haut-commissaire, compte tenu de vos responsabilités passées à la tête d’Emmaüs !

M. Paul Blanc. Ah ! Tout de même !

M. Guy Fischer. L’ouverture de ce chantier, issue d’une longue histoire avec l’abbé Pierre, nous vous la devons, monsieur le haut-commissaire.

La pauvreté et l’exclusion en France ne devraient plus exister. Utopie, me dira-t-on ! Nous partageons intensément cet objectif et le comble, pour notre société moderne industrielle et riche, serait de ne pas parvenir à l’atteindre.

La mission commune d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, dont j’étais membre, relève, dans son rapport, une aggravation de la pauvreté, indiquant que pas moins de 7 millions de travailleurs pauvres sont recensés. Pour ma part, j’affirme que 15 millions de nos concitoyens sont confrontés à de très graves difficultés.

Permettez-moi de vous livrer nos principales convictions.

Le revenu de solidarité active engendrera-t-il une forte augmentation du nombre de salariés ne parvenant pas à sortir réellement de la pauvreté et de l’exclusion ? Non, nous direz-vous sûrement ! (M. le haut-commissaire acquiesce.) Nous ne demandons qu’à le croire !

Ce dispositif favorisera-t-il la reprise d’activité pour une catégorie de nos concitoyens relativement proche de l’emploi, alors que ceux qui en demeurent le plus éloignés en raison de leurs difficultés, notamment sociales ou de santé, resteront sur le bord du chemin, stigmatisés, car jugés inactifs par choix ? Pourtant, qui accepterait de vivre dans l’oisiveté avec 447 euros par mois ! Monsieur le haut-commissaire, les personnes les plus proches de l’emploi seront-elles, pour l’essentiel, les bénéficiaires du RSA ? (M. le haut-commissaire fait un signe de dénégation.)

La mise en œuvre du RSA ne conduira-t-elle pas inévitablement à l’émiettement du travail, à l’écrasement des salaires avec le risque de faire apparaître le salaire minimum interprofessionnel de croissance, le SMIC, comme la rémunération des plus « nantis », ce qui serait un comble !

Mme Annie David. Alors là, oui !

M. Guy Fischer. Sur ce point, nous aurons des arguments à développer.

Le RSA n’engendrera-t-il pas inévitablement des effets d’aubaine non négligeables pour les entreprises, qui se verront encouragées à développer le temps partiel ?

Mme Annie David. Bien sûr !

M. Guy Fischer. Ne nous dirigeons-nous pas vers une institutionnalisation de la précarité ? Les entreprises ne seront-elles pas tentées par la mise en concurrence des allocataires du RSA avec les salariés ordinaires ? En subventionnant de façon pérenne les bas salaires, le RSA ne sera-t-il pas une incitation à multiplier les emplois précaires ou à temps partiel ? Les services d’aide à la personne, les emplois dits « en tension », notamment dans les secteurs du bâtiment ou de la restauration, seront vraisemblablement les premiers concernés.

Certains allocataires du dispositif n’y perdront-ils pas également, puisque les droits connexes sont remis en cause ? La « familialisation » du calcul des ressources conduira-t-elle à des conséquences non identifiées ?

Tel qu’il est conçu, le RSA n’est-il pas un RMI avec intéressement renforcé - dispositif qui existe déjà -, sans limitation de durée ? Actuellement, un allocataire du RMI reprenant un travail bénéficie d’une prime de 1 000 euros au titre de la reprise d’activité, d’un système d’intéressement qui prévoit le cumul de la prestation et du salaire pendant trois mois, puis une allocation mensuelle de 150 euros mensuels pour une personne seule ou de 225 euros pour un couple, pendant neuf mois.

Nous sommes bien conscients qu’il s’agit là d’encourager la reprise d’emploi. Encore faut-il que cette reprise soit réellement accompagnée d’un intéressement dans le cadre du dispositif du RSA !

Nous regrettons en outre la complexité du mode de calcul de l’allocation, soulignée par tous ceux qui ont concouru à l’expérimentation.

Une critique majeure de notre part a trait au fait que votre projet de loi ne prévoit rien pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, alors qu’ils sont les premiers, avec les femmes et les séniors, à subir le chômage. L’annonce opportune, le week-end dernier, de la création d’un fonds d’expérimentation spécifique ne vise-t-elle pas à désamorcer la colère des jeunes ?

Mme Annie David. Oui !

M. Guy Fischer. Monsieur le haut-commissaire, l’institution d’un contrôle drastique du train de vie des allocataires, notamment de leur patrimoine mobilier et immobilier - on croit rêver ! -, sous l’intitulé pudique « droits et devoirs du bénéficiaire du RSA », s’apparente aux mesures prises dans mon département à l’encontre des titulaires de minima sociaux dans le cadre de la fameuse opération « perdus de vue » !

Finalement, cette opération a eu pour seul effet, à mon sens, de stigmatiser les plus pauvres, car, en fin de compte, pour la grande majorité des titulaires des minima sociaux, ces contrôles se sont révélés infructueux. Toutefois, le battage médiatique a été tel que, dans l’esprit des gens, bon nombre des bénéficiaires de ces allocations - je pense notamment aux RMIstes - apparaissaient comme des fraudeurs.

M. Jean Desessard. Oui !

M. Guy Fischer. Serez-vous fier de cette politique où les devoirs pèseront plus lourd que les droits,...

M. Jean Desessard. Non !

M. Guy Fischer. ... de cette politique insidieuse, faite de répression et de sanctions à l’encontre des plus pauvres, orchestrée et rythmée par la loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi votée cet été et le décret concernant l’évaluation du train de vie des chômeurs, puis des allocataires des minima sociaux ?

Je serai volontairement provocateur en affirmant que le RSA « tombe à pic ». En effet, nous vivons la plus grave crise bancaire et financière depuis le début du XXe siècle. De toute évidence, elle sera suivie d’une crise économique et sociale, s’accompagnant de la destruction massive de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d’emplois.

Selon M. Dinin, président-directeur général de Nexity, promoteur immobilier, filiale des caisses d’épargne, le secteur de la construction pourrait perdre 180 000 emplois. Par ailleurs, des plans de suppressions d’emplois dans les entreprises privées ont déjà précipité quelque 31 000 personnes dans le chômage, sans parler des suppressions de postes dans la fonction publique.

L’Union interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, l’UNEDIC, annonce 46 000 demandeurs d’emploi supplémentaires, alors qu’elle en prévoyait 80 000 de moins.

Il y a fort à parier que la généralisation du RSA, qui concernera près de 3,5 millions de nos concitoyens, pèsera sur les salaires et les emplois.

Nous constatons que les caisses de l’État, qui étaient vides en mai 2007, comme nous l’avaient affirmé MM. Sarkozy et Fillon, peuvent aujourd’hui aider les banques à hauteur de 360 milliards d’euros : 320 milliards d’euros sous forme de garantie d’emprunts, 40 milliards d’euros sous forme de mise à disposition de fonds propres.

M. Éric Doligé, rapporteur pour avis. Mais non !

M. Guy Fischer. Contrairement à ce qu’affirme M. Éric Woerth, ces 40 milliards d’euros contribueront bien à creuser la dette publique, alors que les critères posés par le traité de Maastricht nous imposent de la réduire.

Le porte-monnaie s’ouvre pour les plus riches ; pas un centime n’est prévu pour le pouvoir d’achat, la revalorisation des minima sociaux, des retraites, des salaires et du SMIC. Le Gouvernement vient d’annoncer, en outre, que la prime pour l’emploi ne bénéficierait pas d’un coup de pouce !

Qui financera donc le RSA ?

Mme Annie David. C’est une bonne question !

M. Guy Fischer. Ce sont les moins pauvres ! Alors que l’État ne trouvait pas 1,5 milliard d’euros à consacrer à ce dispositif au début du mois de septembre - je compatissais, monsieur le haut-commissaire, en vous voyant chercher désespérément cette somme -,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il l’a cherchée à la loupe !

M. Guy Fischer. ... il a été décidé qu’il reviendrait aux salariés aux revenus moyens, aux petits épargnants, de financer les plus pauvres, par la création d’une taxe de 1,1 % sur les revenus du patrimoine. Les placements des détenteurs des plus hauts revenus, protégés par le bouclier fiscal, ne seront pas concernés par le financement de cette mesure.

Pour mémoire, en juillet 2007, le Gouvernement avait voté quelque 14 milliards d’euros de cadeaux aux entreprises et aux familles les plus aisées dans le cadre de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, qui instaurait l’expérimentation du RSA. Il continue dans cette direction en refusant de taxer les stock-options ou les parachutes dorés, sous le prétexte fallacieux que les stock-options sont vouées à disparaître, car elles sont affectées par la fiscalité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tu parles !

M. Guy Fischer. C’est se moquer du monde !

Quant aux niches fiscales, vous envisagez de prélever 200 millions d’euros sur l’avantage global de quelque 73 milliards d’euros qu’elles représentent, autant dire une goutte d’eau. Les plus riches ont encore de beaux jours devant eux !

Sur la question de la pérennité du financement et de son coût réel pour les départements dans les années à venir, le silence est total. Depuis 2002, les départements ont doublé le budget qu’ils consacrent à l’action sociale. À cela s’ajoute le transfert de charges non compensées : la pression financière risque fort de s’accroître.

Il est permis de s’interroger, car le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le haut-commissaire, n’est avare ni de promesses ni de reniements.

Tel est le triste bilan d’une politique menée au gré d’un vent soufflant surtout dans la direction d’un capitalisme effréné et ravageur ! Vous faites entrer la société française dans l’ère de l’instabilité, en taillant tous les acquis en pièces.

En tout état de cause, ce dispositif du RSA ne sera efficace que s’il est accompagné d’un ensemble de mesures positives en matière d’emploi, de formation, donc d’insertion, de transports, de santé, de garde d’enfant. Nous reviendrons sur ce point lors du débat sur les amendements.

En effet, les femmes, souvent isolées, qui subissent les emplois à temps partiel seront contraintes de refuser un emploi si les modes de garde collectifs ne sont pas développés. Elles seront les premières touchées. Comment ferez-vous pour mettre à leur disposition, sur leur demande expresse et à la dernière minute, la place de crèche tant attendue ?

Par ailleurs, les discriminations s’accentuent à l’encontre des étrangers demandant le bénéfice du RSA, mais aussi de leurs conjoints. Nous reviendrons également sur ce point.

Pour en terminer, nous sommes convaincus que la création du RSA est bien cohérente avec les textes votés depuis le début de la mandature.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Guy Fischer. L’objectif est louable, mais ces textes concourent tous à la stigmatisation des pauvres, à la précarisation de l’emploi, à la réduction des droits des salariés dans l’entreprise, à l’écrasement des salaires et des retraites.

La volonté du Gouvernement est d’en finir avec les dix minima sociaux. Le rapport de MM. de Raincourt et Mercier nous a beaucoup éclairés sur les deux principaux d’entre eux : le RMI et l’API. La route est tracée vers un contrat unique d’insertion nivelé par le bas, ce que nous refusons. Nous n’avons pas la même conception que vous des moyens à mettre en œuvre pour asseoir la dignité humaine, qui s’articule, à nos yeux, autour de quatre droits fondamentaux : l’emploi, le logement, la santé et l’éducation. Or tous les textes relatifs à ces droits les attaquent frontalement, surtout ces dix-huit derniers mois.

Pour toutes ces raisons, monsieur le haut-commissaire, nous ne pourrons que manifester notre opposition au texte qui nous est présenté.

Les dernieres interventions

Affaires sociales Grand âge : le coup de com’ prend un coup de vieux

Diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie - Par / 28 mars 2024

Affaires sociales Pour de meilleures retraites, de meilleurs salaires pour les travailleurs agricoles

PPL visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles - Par / 19 mars 2024

Affaires sociales Maxi Puff, maxi danger pour la santé des jeunes

Proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique - Par / 8 février 2024

Affaires sociales Pour un véritable service public de l’autonomie

Proposition de loi pour bâtir la société du bien vieillir en France - Par / 30 janvier 2024

Affaires sociales Mieux dépister les troubles du neuro-développement

Proposition de loi visant à améliorer le dépistage des troubles du neuro-développement (TND) - Par / 26 janvier 2024

Affaires sociales Vol au-dessus d’un nid d’anxiété

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale - Par / 18 janvier 2024

Affaires sociales Allocation autonome universelle d’études : coût ou investissement ?

Débat sur une proposition de loi proposée par le groupe écologiste au Sénat - Par / 14 décembre 2023

Affaires sociales Budget solidarité : un coup sérieux au pacte social

Vote des crédits Solidarité, insertion et égalité des chances pour 2024 - Par / 6 décembre 2023

Affaires sociales Les mesures prises depuis des années sont d’une inefficacité navrante

Représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes (conclusions de la CMP) - Par / 26 janvier 2022

Affaires sociales Certaines victimes de ces thérapies ont subi de véritables tortures

Interdiction des pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle (conclusions de la CMP) - Par / 20 janvier 2022

Administration