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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Salaires, temps de travail et développement de l’emploi

Par / 22 octobre 2002

par Roland Muzeau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, très symboliquement, l’examen du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi est l’occasion, pour le nouveau gouvernement, de rouvrir le dossier emblématique de la réduction du temps de travail et de commencer, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « à corriger quelques-unes des fautes les plus graves commises par le gouvernement précédent dans les domaines économique et social ».

La prochaine étape, c’est la mise entre parenthèses de dispositions importantes contenues dans le « volet anti-licenciements » de la loi de modernisation sociale.
Il s’agit, là encore, de donner des signes forts aux entreprises, de satisfaire le MEDEF, qui a farouchement bataillé contre ce qu’il appelle une « loi paralysant les restructurations » et qui souhaite, comme pour le dispositif des 35 heures d’ailleurs, une abrogation pure et simple.
Un projet de loi relatif à la renégociation collective et aux procédures de licenciement économique est inscrit à l’ordre du jour prévisionnel des deux assemblées. C’est par la presse, une fois de plus, que nous avons pris connaissance de ses grandes lignes.

Vous envisagez notamment la suppression de la distinction entre la phase de consultation du comité d’entreprise sur le projet de restructuration et celle qui concerne le projet de licenciement collectif pour motif économique, du droit d’opposition du comité d’entreprise au projet de restructuration et de compression des effectifs, ainsi que de la saisine du médiateur : autant de dispositions de nature à renforcer les droits des salariés, mais que la droite parlementaire, dont vous-mêmes, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, refusait au motif qu’elles étaient prétendûment rigides et qu’elles limitaient beaucoup trop les marges de manoeuvre des chefs d’entreprise.

Aujourd’hui, il est question de raccourcir les délais de procédure retardant la mise en oeuvre des plans sociaux. Pourquoi alors remettre en cause l’étude d’impact social et territorial, qui relève plus de la prévention des licenciements ? Pourquoi allonger encore la liste des modifications en réintroduisant le critère des qualités professionnelles pour définir l’ordre des licenciements ?
Contrairement à ce que vous tentez d’afficher, monsieur le ministre, votre démarche est dogmatique. C’est non pas le pragmatisme qui vous pousse à défaire ce que le gouvernement précédent a construit, mais les seules exigences économiques de compétitivité et de rentabilité financière relayées par le MEDEF.
Pour faire bonne figure, un « monsieur licenciements » a été nommé à la tête de la cellule de veille relative aux licenciements économiques.

Pour autant, le Gouvernement n’envisage pas d’infléchir l’économie. Bien au contraire, il s’agit de laisser faire les actionnaires empêtrés dans la crise financière ; pis encore, il s’agit de leur faciliter la tâche en leur permettant de s’adapter aux conditions d’évolution des marchés.
Ces futures mesures, comme celles dont nous débattons cette semaine, portent atteinte au droit du travail dans ses aspects les plus fondamentaux. Des garanties essentielles pour les salariés sont sacrifiées. En revanche, la quête du « toujours plus » en matière de flexibilité et d’allégements de charges de tous ordres, notamment fiscales et sociales, est privilégiée.

A l’heure où les prévisions de croissance sont revues à la baisse, où la situation de l’emploi se dégrade nettement, où les annonces de plans sociaux et de suppressions d’emplois se multiplient, touchant tous les secteurs d’activité et toutes les régions - 36 000 emplois sont immédiatement menacés - vous faites le choix, comme le souligne Dominique Seux dans Les Echos du 19 octobre dernier, « de lâcher du lest aux entreprises (...) idée naturellement risquée ».
La bataille pour l’emploi n’est pas, contrairement aux dires de M. Raffarin, la priorité nationale : avec une baisse de 290 millions d’euros, le budget pour 2003 du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité démontre le contraire.
La nette diminution, à hauteur de plus de 6 %, des crédits de l’emploi, principalement de ceux qui sont affectés au traitement social du chômage, traduit bien les choix faits en la matière.

En misant tout sur le secteur privé au détriment du secteur public et associatif, vous faites le jeu d’un patronat qui, tout en réclamant moins d’Etat, exige toujours plus de cadeaux fiscaux et sociaux financés sur fonds publics.
La conjoncture médiocre a contraint le gouvernement auquel vous appartenez à un peu plus de prudence. Mais, même réajustés, les crédits destinés au financement des contrats aidés dans le secteur non marchand conduiront à réduire drastiquement le nombre des entrées dans le dispositif des contrats emploi-solidarité et, dans une moindre mesure, dans celui des contrats emplois consolidés. Le dispositif TRACE - trajet d’accès à l’emploi -, ne sera pas davantage renforcé. Aucun nouveau conventionnement n’est prévu en 2003 en ce qui concerne les emplois-jeunes. Le dispositif est par conséquent amené à s’éteindre au motif, à vous en croire, monsieur le ministre, « qu’il ne rendait pas service aux jeunes (...) qu’il ne comportait pas de formation et contribuait à mettre en place une fonction publique territoriale dégradée ».

L’échéance des premiers contrats, lesquels sont au nombre de plus de 73 000, est proche.
Edith Arnoult-Brill, présidente du Conseil national de la vie associative, s’est inquiétée de la disparition de ces emplois qui « ont apporté des compétences, un moyen de conforter un projet associatif et de développer des activités ».
L’inquiétude est d’autant plus grande que, dans certains secteurs, tels que le secteur médico-social, les problèmes de recrutement sont énormes. L’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, dont nous avons rencontré les responsables, regrette, monsieur le ministre, votre manque de vision politique des problèmes de la jeunesse.
Nous sommes conscients des problèmes soulevés par les emplois-jeunes, notamment en matière de formation ou de salaire, et vous connaissez les opinions et les propositions émises par les parlementaires communistes depuis la création de ces contrats. Toutefois, nous n’acceptons pas que vous ayez décidé de ne pas aller jusqu’au bout de la démarche. En ne prévoyant pas l’intégration des jeunes dans leur emploi, vous prenez la responsabilité de les renvoyer par milliers à la précarité !

Votre choix est clair : vous faites de l’abaissement du coût du travail l’axe central de votre politique.
Vous avez commencé à décliner ce credo de la pensée capitaliste, donnant la priorité à la baisse, voire à l’exonération totale de cotisations sociales patronales, en mettant en place les nouveaux contrats jeunes en entreprise. Ces derniers, je le rappelle, ne sont assortis d’aucune obligation de formation, alors qu’ils s’adressent à des jeunes faiblement qualifiés et que nous savons pertinemment, tout comme vous, monsieur le ministre, que l’exigence de qualification croîtra de plus en plus à l’avenir, du fait des évolutions technologiques.
Vous persistez aujourd’hui dans cette démarche en proposant, au titre III du présent texte, un nouveau dispositif d’allégement de cotisations patronales qui entraînera une nouvelle montée en puissance des dépenses publiques, évaluée à 6 milliards d’euros d’ici à 2005.
Je suis convaincu, à l’instar d’ailleurs de nombreux économistes, que la massification des politiques d’allégement de cotisations sociales patronales, orientation qui s’est imposée à droite mais aussi, malheureusement, au sein de la gauche, n’est pas de nature à dynamiser l’emploi, tant quantitativement que qualitativement.

Je déplore, monsieur le ministre, votre absence de réponse aux interrogations des députés de gauche qui vous demandaient de chiffrer les effets, pour l’emploi, de la mise en oeuvre de votre projet de loi. Votre silence est lourd de sens !
Nous n’adhérons pas à la solution qui consiste à abaisser le coût du travail, parce qu’elle est responsable du développement de l’emploi non qualifié et de l’appauvrissement des salariés qui supportent un ensemble de graves inégalités.
Monsieur le ministre, nous sommes d’autant plus opposés au nouveau dispositif que vous nous présentez qu’il est totalement déconnecté de la réduction du temps de travail. Pour mémoire, je vous rappelle que nous n’étions pas satisfaits des allégements instaurés par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, dite loi « Aubry II ».

Nous nous opposerons donc fermement aux articles 6 à 12, qui visent à refonder la ristourne Juppé et l’allégement prévu par la loi « Aubry II » et offrent aux entreprises des avantages importants sans aucune contrepartie.
Par ailleurs, vous proposez de rétablir, pour les entreprises, la possibilité de cumuler l’abattement spécifique au temps partiel avec la nouvelle mesure d’allégement des cotisations sociales. Vous incitez les entreprises à recourir au temps partiel, qui, au rebours de l’idée que vous défendez, est rarement choisi mais au contraire massivement imposé.
Non seulement ces allégements pénaliseront les entreprises qui sont déjà passées aux 35 heures, puisque, parallèlement, vous supprimez l’aide structurelle, mais surtout vous portez atteinte à l’économie générale des accords majoritaires signés en application de la loi « Aubry II ».

La lecture que nous faisons du premier volet de ce projet de loi, relatif au salaire minimum de croissance, est tout aussi négative.
Votre discours présente le dispositif d’harmonisation des SMIC comme un moyen d’augmenter substantiellement les salaires de l’ensemble des salariés payés au SMIC ; c’est séduisant, mais c’est faux !
Sur ce point comme à propos de la RTT, vous jouez du mécontentement légitime des nombreux salariés qui ont subi, à la suite du passage aux 35 heures, un gel de leur salaire. Vous jouez aussi sur les divisions introduites entre les salariés payés au SMIC et les autres.
Faute d’avoir prévu d’augmenter de 11,4 % le taux horaire du SMIC comme le préconisaient alors les parlementaires communistes, la loi « Aubry II » est à l’origine de la construction d’un mécanisme complexe et inégalitaire de garantie mensuelle de rémunération qui a mis à mal l’unicité du SMIC. Je le dis d’autant plus facilement que, à l’époque, nous avions combattu cette décision et formulé des propositions.

Cette multiplicité des SMIC a servi de prétexte au gouvernement Raffarin pour refuser, en juillet dernier, d’accorder un « coup de pouce » en supplément de la revalorisation légale.
Aujourd’hui, vous évoquez la nécessaire harmonisation des SMIC selon l’un des scénarii avancés par le Conseil économique et social, à savoir une « harmonisation par le haut ». Mais vous l’utilisez pour porter un coup supplémentaire à la vocation d’ascenseur social du SMIC, qui doit, selon la loi de 1970, assurer « aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles, la garantie de leur pouvoir d’achat et une participation au développement économique de la nation ».

Monsieur le ministre, 14 % des salariés - des jeunes, des femmes, des personnes employées dans les petites entreprises surtout - sont rémunérés à ce niveau. Ce sont des salaires qui ne permettent pas de vivre normalement ni décemment ; c’est dire l’importance des options choisies.
Il est certes positif d’annoncer une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC, mais il est injuste, voire très dangereux, de laisser espérer de tels gains de pouvoir d’achat.
Seuls ceux qui sont restés à 39 heures connaîtront cette augmentation sur trois ans. En contrepartie - car là il y en a une - « pour ne pas asphyxier les entreprises et tuer l’emploi », comme le dit le MEDEF, l’indexation du SMIC sur les gains de pouvoir d’achat des salaires est supprimée !
Les syndicats, dans leur grande majorité, ont déploré la méthode choisie, considérant ce « décrochage » du SMIC comme inadmissible et pervers.

Nous partageons leurs inquiétudes de voir un système transitoire perdurer et venir « dynamiter » le SMIC, conformément aux souhaits du MEDEF d’annualiser et de ne plus garantir, d’une année sur l’autre, montant de celui-ci.
Nous proposons, par le biais de nos amendements, une autre voie, une convergence plus rapide, immédiate des GMR et du SMIC horaire, d’une part, et le maintien des règles actuelles de revalorisation du SMIC, d’autre part.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Que ne l’avez-vous fait !

M. Roland Muzeau. Venons-en maintenant au titre II du projet de loi, relatif au temps de travail.
Malgré vos affirmations, monsieur le ministre, selon lesquelles il ne s’agit pas de relancer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail, le moins que l’on puisse dire c’est que vous vous êtes laissé aller à certains dérapages.

Je pense en particulier ici à vos propos fâcheux attribuant au Front populaire l’effondrement de la France ou à certaines petites phrases qui ont pour le moins détérioré la qualité des débats.
Comme la grande majorité des élus de droite et des membres du patronat, vous n’adhérez pas au mouvement, pourtant historique, de réduction du temps de travail. Vous n’hésitez pas à le qualifier de « développement de la culture de la paresse ». Cela explique pourquoi, à de nombreuses reprises, votre majorité a fait référence au retour « aux valeurs et à la place du travail », ressuscitant ainsi des souvenirs peu reluisants.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas très joli, cela ! Vous êtes décevant, monsieur Muzeau !

M. Roland Muzeau. Toutefois, il vous était politiquement impossible d’en finir officiellement avec les 35 heures en touchant à la durée légale du travail. Comment, en effet, revenir de front sur une réforme dont bénéficient 14 millions de salariés, tous secteurs confondus ?
Je revendique, au fond, la démarche engagée dans ce domaine par le gouvernement précédent. Les objectifs alors assignés à la RTT me paraissent toujours justes : lutter contre le chômage en développant l’emploi ; répondre aux aspirations personnelles des salariés, qui veulent avoir davantage de temps pour eux, mais aussi à consacrer aux autres ; améliorer les conditions de travail ; parfaire la démocratie sociale... Je regrette simplement que la vision que nous avions de cette mesure, que nous voulions effectivement facteur de progrès social, n’ait pas été plus largement adoptée.

Je suis conscient que les modalités pratiques de l’application de la RTT n’ont pas toujours eu, loin s’en faut, des conséquences positives pour les salariés. (Ah ! sur les travées du RPR.)
Nous payons aujourd’hui les refus d’hier d’inscrire dans la loi une obligation de création d’emplois. La loi Aubry II a ouvert la boîte de Pandore s’agissant du SMIC, de la rémunération des heures supplémentaires ou de la modulation. (Eh oui ! sur les travées du RPR.)

M. Jean Chérioux. Eh bien voilà !

M. Roland Muzeau. Doit-on, pour autant, céder aux arguments de ceux qui n’ont d’autre ambition que d’allonger la durée effective du temps de travail et de mettre encore davantage l’accent sur les mécanismes privilégiant la souplesse ? Je ne le pense pas, mais c’est pourtant l’objet de ce texte.
Monsieur le ministre, un fossé sépare vos objectifs réels de déréglementation de la présentation que vous faites d’un projet de loi qui serait sous-tendu par une fibre sociale. Votre texte est tout sauf équilibré. Vous avez réussi jusqu’à présent à avancer masqué, excellant dans le rôle de modérateur social, refrénant en apparence les ardeurs du MEDEF lors des consultations préalables à l’élaboration du projet de loi.

Tout au long des débats à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a dansé un beau pas de deux avec l’UDF, qui a développé le jusqu’au-boutisme du MEDEF.

M. Pierre Laffitte. C’est un procès d’intention !

M. Roland Muzeau. Les quelques amendements adoptés, peu nombreux tant les consignes de ne pas remettre en question l’équilibre du texte ont été respectées par l’UMP, confirment nos craintes.
L’ajout de la disposition modifiant substantiellement le régime des astreintes en assimilant celles-ci à des périodes de repos est une provocation de trop.
Les salariés, nombreux à être concernés dans les secteurs des services, médico-social, des transports et de l’énergie, apprécieront sûrement le peu de cas que vous faites, monsieur le ministre, des contraintes réelles qui pèsent sur eux et sur leurs familles. Votre attitude est tout simplement dictée par le fait que la jurisprudence n’est pas favorable aux employeurs ! Nous reviendrons, au cours de la discussion des articles, sur ce point qui ne peut rester en l’état.
Cette disposition relative au régime des astreintes, qui a soulevé un tollé du côté des syndicats, illustre bien la logique du présent projet de loi, lequel tend à aggraver la subordination du salarié à l’employeur.

Sous couvert d’assouplissement de notre droit du travail, le projet de loi contribue en fait à priver de tout son intérêt la loi relative à la réduction négociée du temps de travail votée en 2000.
Le régime des heures supplémentaires n’est pas simplement unifié, le seuil de déclenchement du repos compensateur n’est pas simplement rehaussé. Ces mesures auront des conséquences immédiates sur les conditions de travail et de vie des salariés, qui perdront notamment des droits à repos.

Vous accentuez la différence de traitement existant entre les salariés des petites structures et les autres salariés en institutionnalisant une rémunération des heures supplémentaires dérogatoires limitée à 10 % dans les entreprises de moins de vingt salariés. Vous « avalisez les conditions de travail à deux vitesses », comme l’a très justement titré La Tribune le 10 septembre dernier.
Pourquoi, si effectivement le Gouvernement souhaite que ceux qui désirent travailler plus puissent le faire en gagnant davantage, ne pas être allé jusqu’à ouvrir cette possibilité aux salariés à temps partiel, par exemple ?
Pourquoi ne pas garantir la liberté de chaque salarié d’accepter ou de refuser les heures supplémentaires « proposées » par l’employeur, ou ne pas rémunérer à leur juste valeur les heures supplémentaires, les heures complémentaires et, plus généralement, le travail des Français ?

Mme Nicole Borvo. Très bonne question !

M. Roland Muzeau. Sous couvert de simplification de notre droit du travail, vous bouleversez toute la hiérarchie des normes.

M. Guy Fischer. La vérité est là !

M. Roland Muzeau. En séance publique, vous vous êtes demandé, monsieur le ministre, quelle devait être la part de l’ordre public social par rapport à celle qui est laissée à la négociation collective.
Cette question est essentielle, mais votre logique m’échappe. N’avez-vous pas déjà apporté une réponse à propos des rapports entre la loi, qui deviendrait subsidiaire, et la négociation, le contrat, en faisant notamment sortir du domaine législatif la définition du niveau du contingent d’heures supplémentaires ?
A cet égard, il est assez symbolique que vous n’ayez pas jugé utile, préalablement, de définir avec les partenaires sociaux les champs de la négociation collective.
Je suis étonné de vous entendre faire référence à la « position commune » du 16 juillet 2001 sur l’approfondissement de la négociation collective. Alors que ce texte n’est qu’une simple déclaration d’intention, vous voulez l’utiliser comme fondement d’un projet de loi que vous présenteriez au Parlement.

M. François Fillon, ministre. Absolument !

M. Roland Muzeau. Vous savez comme moi que ce texte est fragile, dans la mesure où le MEDEF est en désaccord avec les syndicats sur la notion d’ordre public social.
Vous avez pris l’engagement oral, monsieur le ministre, d’accorder l’agrément aux seuls accords majoritaires. Pourquoi ne pas poser législativement cette exigence démocratique dès maintenant ? Vous qui vous déclarez favorable à la relance d’un dialogue social de qualité, acceptez nos amendements visant à introduire le principe majoritaire.
Sous couvert de sécurisation, le projet de loi tente de mettre un terme à plusieurs constructions jurisprudentielles jugées, par le MEDEF, trop favorables aux salariés. C’est vrai non seulement pour le régime des astreintes, mais également pour le paiement des heures supplémentaires auxquelles ont droit les salariés du secteur social et médico-social, en plus du versement de leur indemnité de RTT pour maintien de salaire.
S’agissant des cadres, catégorie de salariés qui est la plus satisfaite de la RTT, vous envisagez de limiter la portée de la jurisprudence Aventis. En affirmant que l’autonomie ne se décide pas mais qu’elle doit être réelle et prouvée, le juge avait encadré les possibilités déjà laissées à l’employeur pour définir les salariés cadres pouvant relever du forfait jour.

L’enjeu est de taille, le MEDEF l’a bien saisi d’ailleurs, la commission des affaires sociales du Sénat aussi, apparemment, puisque, en élargissant la définition de cette catégorie même à des non-cadres - itinérants, techniciens -, on permettrait à l’employeur de se dédouaner des limites du droit commun en matière de temps de travail.
Non seulement vous avez l’intention de limiter la portée des décisions de principe de la Cour de cassation, mais en plus, une fois voté, ce texte devrait permettre la validation d’accords actuellement contraires à la loi, en raison du niveau du contingent d’heures supplémentaires, supérieur à 180 heures, ou des dispositions relatives aux cadres. Tout cela est inacceptable.

Je viens de le démontrer, votre projet de loi, monsieur le ministre, annonce des bouleversements essentiels dans le droit du travail. Beaucoup de contradictions et de zones d’ombre demeurent.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite pleinement s’inscrire dans le débat, en lui consacrant toute la place qu’il mérite, et en cet instant, j’exprime notre désaccord devant la modification de l’organisation de nos débats, qui n’augure rien de bon pour leur qualité.

Explication de vote

M. Roland Muzeau. En abandonnant les 35 heures, en augmentant le nombre d’heures supplémentaires, la majorité de droite prend de facto la décision de réduire le volume des embauches dans les entreprises.
A cela, je l’ai dit, s’ajoutera la suppression de 73 000 emplois-jeunes qui vont se retrouver sur le marché du travail.

Pour satisfaire les exigences du MEDEF, avec votre majorité, vous réduisez le taux de rémunération des heures supplémentaires, vous organisez la suppression des jours de repos compensateur et, avec une annualisation, vous supprimez les congés payés.
Pour les salariés payés au SMIC, vous jouez du mécontentement légitime de ceux qui ont subi, à la suite du passage aux 35 heures, un gel de leur salaire. Par l’annonce d’une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC, vous laissez espérer un gain équivalent de pouvoir d’achat, alors que vous savez pertinemment qu’il n’atteindra pas ce taux.
S’agissant du SMIC, vous donnez satisfaction à une vieille revendication du MEDEF en supprimant l’indexation sur les gains de pouvoir d’achat des salaires.
Pour faire échec aux droits des salariés, vous légiférez exclusivement pour annuler les effets de décisions de justice très symboliques.

Vous avez adopté des dispositions graves concernant les personnels cadres.
Vous donnez au patronat la liberté de modifier le positionnement de milliers de salariés en faisant voler en éclats les droits et protections de ceux-ci.
L’accroissement exponentiel de la flexibilité du travail comme celui de la productivité au cours de ces dix dernières années ne suffisant pas au MEDEF et à la droite, vous avez entériné la modification scandaleuse concernant le régime des astreintes. Nous en avons apporté la plus claire des démonstrations.
Vous êtes resté sourd, monsieur le ministre, à l’opposition unanime des organisations syndicales, montrant ainsi votre mépris à l’égard de tous ceux que vous qualifiez par ailleurs de « partenaires sociaux ».

Votre majorité a adopté, voire amplifié nombre de dispositions qui auront pour effet d’accroître la précarité du travail et le recours au temps partiel en même temps qu’elles feront grandir le sentiment d’abandon déjà ressenti par des millions de travailleurs pauvres.
Sous couvert de simplification du droit du travail, vous bouleversez toute la hiérarchie des normes. Vous avez clairement décidé que la loi deviendrait subsidiaire en privilégiant le contrat.
Au nom de leurs conséquences financières, vous balayez les droits, pourtant confirmés devant les tribunaux, accordés aux salariés du secteur social et médico-social.
Les allégements de charges se cumulent et enflent à nouveau sans aucune contrepartie pour les salariés.

Ce trop bref rappel de vos décisions et orientations, mesdames, messieurs de la majorité, montre à quel point le patronat a réussi à mettre la main sur les pouvoirs de décision au plus haut niveau de l’Etat. Nos débats ont mis en évidence la gouvernance actuelle des entreprises que dénoncent les syndicats.

Malgré les consignes strictes que le Premier ministre a imposées à sa majorité, plusieurs de nos collègues de droite nous ont donné des exemples savoureux qui éclairent les ambitions et les attentes ultralibérales qui agitent - encore lui - le MEDEF. La présentation au mot et à la virgule près de tous les amendements transmis par le baron Seillière a eu le mérite d’alerter tous les observateurs attentifs.

En conclusion, je formule une dernière proposition visant à modifier l’intitulé du projet de loi. Monsieur le ministre, vous pourriez l’intituler « projet de loi pour la baisse des salaires, l’augmentation du temps de travail et le développement du chômage ». Telle devrait être la conclusion de nos débats.

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