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Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Une réforme qui fait l’unanimité contre elle, tant elle tourne le dos à l’objectif affiché

Formation des enseignants -

Par / 26 avril 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette question sur la réforme de la formation des enseignants, j’ai souhaité remettre « l’ouvrage sur le métier » et prendre ainsi au mot le Président de la République qui, lors de ses vœux au monde de la connaissance et de la culture, avait entrouvert cette porte.

Je ne reviendrai pas sur la méthode employée par le Gouvernement ni sur l’absence de concertation réelle, pour aboutir, au final, à une réforme qui fait l’unanimité contre elle, tant elle tourne le dos à l’objectif affiché : améliorer la formation des enseignants.

À l’inverse, son objectif comptable, soit la suppression de 16 000 postes de stagiaires et de l’année de formation rémunérée, a bien été atteint.

L’objectif idéologique consistant à « régler leur compte aux IUFM », qui était un engagement du candidat Sarkozy, a été également atteint.

J’en viens à l’objectif éminemment politique. L’importance grandissante des savoirs dans notre société est une réalité. Dès lors, le système néolibéral est face à une contradiction : comment obtenir un salariat mieux et plus formé sans dépenser plus dans la formation, ni donner aux futurs salariés la maîtrise des savoirs ? Il y parvient par une différenciation, une individualisation des parcours de formation dans un système éducatif reposant sur un cadre de moins en moins national et de plus en plus territorialisé et, donc, par une différenciation de la formation des enseignants, par la casse du cadre national, l’affaiblissement du concours face au master.

Confortée par les auditions que j’ai menées de personnalités, de syndicalistes, d’enseignants stagiaires – je salue ceux qui sont présents dans les tribunes –, j’ai la profonde conviction, je le dis très solennellement, qu’il est urgent d’agir, tant la catastrophe annoncée est aujourd’hui devenue réalité.

C’est une réalité que le Gouvernement tente de masquer depuis septembre, malgré tous les signaux d’alerte, même ceux qui proviennent de ses propres services.

Je pense, bien sûr, à la synthèse de juillet 2010 émanant des trois inspecteurs généraux de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Ils y pointent l’insuffisance des moyens prévus pour financer la formation des professeurs débutants, décrivant l’extrême hétérogénéité des situations pour les stagiaires et le risque de recours juridictionnel au motif d’une rupture d’égalité de traitement.

Je pense également à l’étude de la Direction générale des ressources humaines, en novembre dernier, qui fait état des difficultés rencontrées par les enseignants stagiaires : fatigue, difficulté à concilier, dans l’urgence, organisation des classes et formation, manque de méthode, manque de recul, retard dans la nomination de tuteur...

En outre, vient de vous être remis, comme à Mme Pécresse, un rapport d’étape sur la mastérisation de la formation initiale des enseignants, élaboré par le président du Comité de suivi du master, M. Jean-Michel Jolion. Le constat qu’il dresse est sévère. J’y retrouve le sombre tableau qui m’a été dépeint.

Je n’en partage cependant pas les recommandations, qui préconisent « de simples ajustements ». En effet, il faut aller bien au-delà et redonner de l’ambition à la formation des enseignants ; je vais y revenir.

À présent, en ma qualité aussi de rapporteur pour avis de la mission « Enseignement scolaire », je dirai un mot sur les professeurs de lycée professionnel, les PLP.

Ces professeurs sont les grands oubliés de cette réforme. Les IUFM n’ont plus de candidat. On ne pourra donc plus recruter dans les disciplines professionnelles, soit parce qu’il n’existe tout bonnement pas de master, soit parce que l’effort supplémentaire exigé, notamment financier, finira de décourager les vocations.

Si rien n’est fait, ce sera la perte garantie de tout un potentiel d’intervenants de qualité et un recours accru à des contractuels. On se heurte à un principe de réalité.

Il faut donc sortir du déni. C’est aussi le sens de ma démarche.

Je le dis avec force en pensant aux témoignages des enseignants du collectif « Stagiaire impossible » que j’ai reçus, à la souffrance exprimée, aux sentiments d’abandon et d’isolement, au stress, à la tension, à l’épuisement physique et psychologique ressentis ; mais je le dis aussi en pensant à leur détermination à réagir face au mépris de l’institution qui refuse de les entendre, à l’acuité de leur conscience professionnelle à l’égard de leurs élèves, lesquels, ils en sont conscients, paieront les pots cassés.

« Nous sommes des cobayes, mais aussi des preuves que cela peut fonctionner… a minima ! », me confiait avec lucidité l’un de ces stagiaires qui se sent « complice » du désastre. En effet, la perversité de cette réforme est bien là !

La rentrée a eu lieu, cahin-caha, grâce à une « surmobilisation » des équipes sur le terrain, des inspecteurs aux enseignants, pour répondre à une situation d’urgence. Comment ? Par du bricolage ! Le mot revient régulièrement. Et l’on retrouve cette « diversité kaléidoscopique » des situations pour les enseignants stagiaires, décrite par les inspecteurs généraux. La génération que l’on peut qualifier de « sacrifiée » est composée de ceux qui n’ont pas eu de stage du tout.

« Année de transition », rétorque-t-on au ministère. Faux ! La situation des étudiants de master montre qu’il n’en est rien. Du fait de cette réforme, tant par son contenu que par sa philosophie, rien ne se réglera, bien au contraire.

Alors que faut-il faire ? Je me suis interrogée sur les mesures à prendre, celles qui sont urgentes et les autres.

Je pense que l’urgence, ce sont les enseignants stagiaires. Il faut en faire de vrais stagiaires, ce qui signifie le rétablissement immédiat du tiers temps devant la classe.

Pour le reste, il faut tout reprendre. On ne pourra replâtrer cette réforme.

Cela tient principalement à la conception du métier d’enseignant qui la sous-tend, selon laquelle si l’on est bon et fort dans sa discipline, on est capable de l’enseigner ; avec un bac+5, il suffit de s’appuyer ensuite sur les « bonnes pratiques » transmises par le « compagnonnage » de professeurs aguerris.

Il existe certes des pratiques meilleures que d’autres, mais l’imitation ne fonctionne pas. Enseigner est un métier qui s’apprend ; il faut donc être formé pour l’exercer. La réalité de ce métier, c’est l’inverse d’un métier que vous voulez de plus en plus encadrer et enfermer dans un rôle de simple prescripteur.

Le sort que vous avez réservé aux stages et aux formateurs en est une preuve flagrante.

Les stages ont été réduits à la portion congrue. Aujourd’hui, la réalité approche les cinquante heures, moitié moins que ce qui avait été promis. C’est une régression terrible par rapport au volume d’heures qui prévalait d’environ quatre cents heures pour le premier degré et deux cent soixante pour le second degré.

Faute de moyens, la mise en stage des étudiants se révèle extrêmement difficile, quand elle n’est pas impossible dans le second degré. Certains rectorats, lorsqu’ils disposent encore de quelques surnombres, y parviennent tant bien que mal, mais il existe autant de situations que d’académies. Les disparités sont énormes. Il n’y a plus ni cohérence ni cadrage national.

Les étudiants servent de bouche-trous au gré des problèmes de remplacement, dont on connaît l’ampleur du fait des suppressions massives de postes. « On met en stage pour mettre en stage et faire du chiffre », m’a confié un inspecteur de l’éducation nationale. Un autre témoigne de stages remplacés par du tutorat d’élèves en bibliothèque.

Quid de l’obligation de stage dans chacun des différents cycles ? Elle a disparu ! Un professeur des écoles pourra ainsi être nommé en maternelle, sans y avoir jamais mis les pieds.

La question des formateurs est aussi révélatrice.

Dans le primaire, la catastrophe a été un peu amortie grâce au maintien du réseau de maîtres formateurs et de conseillers pédagogiques formés à dessein. Mais le rétrécissement de leur champ d’intervention a coupé leur lien avec la recherche. Cette perte du « regard croisé » est dommageable.

Dans le second degré, où ce réseau n’existait pas, la charge revient aux tuteurs, sur lesquels vous faites reposer un prétendu « compagnonnage ». Ce terme est, en réalité, vidé de son sens. En effet, un compagnon est reconnu comme tel par ses « pairs » du fait de la formation qui lui a été délivrée. Ces tuteurs, eux, n’ont reçu aucune formation de « formateur ».

Malgré la meilleure volonté, il ne suffit pas de transmettre un geste ; il faut aussi savoir l’analyser, sans compter que ce geste transmis est subjectif. Quid de son évaluation ? Un inspecteur pédagogique régional m’a ainsi indiqué que 10 % environ des tuteurs désignés avaient eu des rapports d’incompétence de leur hiérarchie et que d’autres leur étaient totalement « inconnus », au sens où leur méthode n’a jamais été éprouvée.

De plus, cette formation se trouve réduite à un tête-à-tête stagiaire-tuteur, où le tuteur est juge et partie. L’avis de ce dernier sera déterminant pour la titularisation, ce qui lui impose une très lourde responsabilité. Il s’ensuit un climat malsain, de tension, qui conduit nombre de stagiaires à ne pas se confier à leur tuteur, s’ils en ont un ou quand ils se trouvent dans le même établissement qu’eux.

La perte de ce « regard croisé » des formateurs est un des aspects très négatifs de cette réforme, sur lequel il faudra revenir. Tout comme il faudra réinterroger le devenir des IUFM au sein des universités. Mon collègue Ivan Renar y reviendra plus longuement tout à l’heure.

Nous sommes en train de voir disparaître toute une ingénierie en termes de potentiel humain et d’outils de formation.

J’aborderai maintenant le master, le cœur de votre réforme.

Ingérable, aberrante, absurde, l’année de M2 fait l’unanimité contre elle, car son fonctionnement est tout bonnement impossible ! Les étudiants sont censés tout faire à la fois : préparer le concours, passer l’admission, valider le master, faire des stages, s’initier à la recherche et produire un mémoire. La réalité, c’est qu’ils préparent surtout le concours. « On forme des candidats au concours et non plus des maîtres », a résumé fort justement un formateur de l’IUFM de Versailles.

Votre réforme a « mastérisé » non pas la formation comme elle le prétendait, mais le concours, ce qui n’est pas sans conséquence et sans risque sur le maintien d’un concours national et, donc, d’un cadre national de recrutement.

De ce fait, la formation des enseignants de ce pays n’est aujourd’hui ni davantage professionnalisante ni davantage qualifiante, paradoxe du passage à un bac+5. Elle a gravement reculé sur les deux tableaux, qu’elle n’articule absolument pas, comme le ferait un modèle intégré. Pis, elle constitue une caricature de modèles successifs : le futur enseignant se consacre d’abord à l’acquisition de savoirs académiques et à la préparation d’un concours, avec quelques stages optionnels.

Les étudiants trancheront, et c’est déjà le cas, en faveur de la préparation du concours !

Une fois admis et le master validé, détail non négligeable, l’enseignant stagiaire dispose d’un an pour apprendre le métier et décrocher sa titularisation. Sachant qu’il assure un service complet devant sa classe, contre 40 % auparavant, il n’aura ni le temps, ni les ressources, ni l’énergie pour prendre le moindre recul sur sa pratique. Les stagiaires auront le nez dans le guidon !

« On rate un cours, mais on refait le même, car on n’a pas le temps de le modifier », m’expliquait un jeune enseignant d’histoire-géographie. « On nous formate à une médiocrité. Il n’y a pas de bonne recette. C’est pour cela qu’il faut une formation complète. »

Vous avez ainsi mis en place un modèle qui est unique en Europe, mais aussi en France au sein même de la fonction publique : le métier d’enseignant est désormais le seul où l’on ne soit pas formé après le concours.

Dis-moi comment tu formes tes enseignants, je te dirai quelle ambition tu as pour ton école !

Œuvrer en faveur de la réussite de tous les élèves, c’est relever le défi d’une réelle démocratisation scolaire, ce qui nécessite que la nation investisse dans la formation de ses enseignants et fasse preuve d’ambition. C’est pourquoi, même si certains points font encore débat, comme la place du concours, les divergences peuvent être dépassées en bâtissant une réforme sur des principes solides et intangibles.

Je pense, tout d’abord, à la réaffirmation d’un cadre et d’un cadrage national de la formation : masters, stages formateurs, lieux de formation, avec l’idée d’IUFM rénovés, autonomes, garantissant un maillage territorial pour un égal accès à la formation.

À cela, vous allez me rétorquer l’argument de « l’autonomie des universités ». Or autonomie ne veut pas dire absence de règles, comme l’a dit votre collègue Valérie Pécresse, qui a défini un cadrage pour les licences.

Je pense, ensuite, au maintien d’un recrutement sur concours et d’un statut de fonctionnaire avec des contenus de concours révisés incluant une partie professionnalisante.

Je pense également à la mise en place d’un « continuum de formation », seul à même de former de véritables enseignants-concepteurs. Ainsi, une formation initiale de type intégré articulerait, dans la durée et la progressivité, la formation disciplinaire, l’acquisition d’une solide culture de référence, notamment mathématique, scientifique, artistique, sportive, la formation professionnelle, tant pédagogique, didactique, qu’en matière de psychologie de l’enfant, le tout en lien avec la recherche, dans des allers et retours permanents, avec une véritable formation continue.

Sur ce point, soyons clairs, nous partons désormais de zéro tant les crédits ont été rabotés. Il faudra donc une formation continue digne de ce nom, pérenne et en lien avec la recherche. Cela implique de développer très fortement une recherche « en éducation, sur et pour l’éducation ». Il est grand temps de rattraper le retard au regard des enjeux que recouvre notre système éducatif.

Je pense, enfin, à des stages dans leur diversité rétablie : des stages d’observation, accompagnés, en responsabilité, avec une montée en puissance progressive, dans chacun des cycles et niveaux d’enseignement, avec un temps de service aménagé après la titularisation.

Tel est, brossé à grands traits, le portrait d’une autre réforme. Pour remplir pleinement son objectif, elle devra être irriguée par deux idées force.

La première, c’est une plus grande démocratisation dans l’accès au métier d’enseignant et une relance de son attractivité.

La seconde, tout aussi essentielle, c’est d’écarter les mesures qui, de près ou de loin, auront pour conséquence de créer un vivier de vacataires précaires, comme le seront les bataillons de reçus-collés, lesquels constituent une aubaine pour des établissements que l’on pousse vers toujours plus d’autonomie, jusqu’au pouvoir de recrutement des personnels confié aux chefs d’établissement, pouvoir vers lequel ce gouvernement chemine avec le programme « collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite », dit programme CLAIR.

Pour concilier ces objectifs, je crois en la pertinence d’un pré-recrutement, dont les modalités sont à discuter. Cela me semble être la clef capable de dénouer bien des fils. Cette solution a le mérite de sortir de l’impasse « de la place du concours », en proposant non plus une, mais plusieurs voies d’accès au concours. C’est une arme pour une meilleure démocratisation du métier, pour sa vitalité, en supportant ceux qui se destinent tôt au métier. Enfin, elle marquerait un réel engagement de la nation en faveur de la formation, du métier d’enseignant et au profit des élèves.

Ces principes inscrits dans le marbre, un modus vivendi me paraît possible afin que ces métiers de l’éducation, en perte de sens, mais d’une capacité d’invention formidable, reprennent collectivement la main pour défendre un « métier de qualité » et son rôle dans une école démocratique.

Il y a donc la place, monsieur le ministre, pour un autre projet, ambitieux, avec des propositions qui, pour beaucoup, recueillent un consensus. Allez-vous enfin accepter de revenir sur cette réforme de la formation des enseignants ?

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