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Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Epizootie d’encéphalopathie spongiforme bovine

Par / 24 février 2000

par Gérard Le Cam

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à me féliciter de l’organisation de ce débat concernant l’épidémie de l’encéphalopathie spongiforme bovine tant les questions liées à la sécurité alimentaire et à la qualité des produits destinés à la consommation sont de plus en plus des enjeux majeurs pour notre société.

L’épidémie de listériose, dont le Gouvernement a révéler l’ampleur tragique il y a quelques jours, montre une fois de plus qu’il devient urgent de renforcer les mesures de prévention, les contrôles, le cas échéant les sanctions, et l’information des consommateurs à tous les stades des filières : production, transformation, distribution et commercialisation.

En tout état de cause, les différentes crises alimentaires et sanitaires qui ont frappé notre pays depuis plus de dix ans, et particulièrement au cours de ces derniers mois, illustrent l’échec d’un modèle d’agriculture intensif, productiviste, qui privilégie la rentabilité immédiate sur les considérations humaines et environnementales, modèle où l’agriculteur se trouve souvent instrumentalisé par les fournisseurs, les intégrateurs, les grands groupes de l’agro-business, et où il ne maîtrise pas toujours les intrants proposés.

De ce point de vue, je ne suis pas convaincu que nous ayons tiré toutes les leçons de la crise de la " vache folle ". Si, partout en Europe, dans des proportions certes différentes selon les pays, on a cherché à améliorer les techniques de dépistage des cas d’ESB, force est de constater que l’élevage intensif, la recherche des techniques permettant de réduire au-delà du raisonnable les cycles de production, la course effrénée à la baisse des prix, pour s’aligner sur les cours mondiaux, continuent d’avoir leurs adeptes, malgré les dérives régulièrement constatées depuis plusieurs années.

A l’évidence, la décision prise en 1990 d’interdire le recours, pour l’alimentation des bovins, à des farines animales ne peut suffire à remettre en cause la logique d’un système productiviste qui a conduit les producteurs anglais et européens à nourrir leur bétail de façon à en accélérer la croissance. De même, la décision de l’Union européenne - après la France - d’instaurer, en mars 1996, un embargo sur le boeuf britannique ne peut suffire à se prémunir durablement contre les effets d’une libéralisation des échanges qui a facilité une circulation sans entrave de produits contaminés et potentiellement dangereux.

Or les réformes successives de la politique agricole commune de 1992 et de 1999, qui ont abouti à une baisse des prix garantis sur la viande bovine et les produits laitiers, incitent les agriculteurs à réduire leurs coûts de production et donc à privilégier des méthodes intensives.

S’il doit exister, au niveau européen, une réelle volonté de garantir aux consommateurs, autant que faire se peut, des produits sans danger pour leur santé, cela passe obligatoirement par la garantie, pour les producteurs eux- mêmes, d’un pouvoir d’achat suffisant à partir de prix rémunérateurs.

C’est pourquoi j’éprouve quelques inquiétudes lorsque j’entends parler d’une nécessaire culture du risque dans le domaine alimentaire, alors que, dans le même temps, on élude sciemment le besoin ressenti, tant par les consommateurs que par les producteurs, de mettre fin aux excès du productivisme agricole.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de revenir à je ne sais quel âge d’or de l’agriculture, ce qui aurait pour effet d’accroître notre dépendance alimentaire ; il s’agit, dans notre esprit, de promouvoir et de soutenir un type d’exploitation à dimension humaine, en favorisant l’installation des jeunes, en facilitant la transmission des biens agricoles et en décourageant l’extension des grandes exploitations.

Une agriculture plus soucieuse de l’environnement et de l’aménagement du territoire, à même d’assurer un revenu décent aux exploitants, n’est-elle pas le meilleur gage - même si ce n’est pas le
seul - d’une alimentation saine et de
qualité ?

Si chacun peut convenir que le " risque zéro " n’existe pas, encore faut-il s’assurer que l’ensemble des moyens scientifiques, humains, financiers et techniques sont mis en oeuvre pour limiter l’insécurité sanitaire et alimentaire.

Or, là encore, l’attitude de la Commission de Bruxelles dans le traitement de la crise est des plus contestables. Au-delà des négligences dont elle s’est rendue coupable dès le début de la crise et qui aboutissent à sacrifier les objectifs de santé publique sur l’autel du marché unique, il est permis de penser que, depuis le 1er octobre dernier, date à laquelle a été décidée la levée de l’embargo sur la viande bovine britannique, la Commission européenne n’a pas contribué, tout au contraire, à favoriser une sortie de la crise par le haut.

En l’espèce, il s’agit non pas seulement de dénoncer les insuffisances de Bruxelles, mais aussi, plus globalement, de s’interroger sur les fondements de la construction européenne, qui interdit à un pays de faire valoir le principe de précaution alors même que des incertitudes sérieuses et fondées demeurent sur les conséquences néfastes, pour les consommateurs, d’une décision.

En effet, alors que les gouvernements français et britannique ont tenté, à plusieurs reprises, de trouver des solutions permettant d’obtenir des assurances sur les contrôles effectués outre-Manche, la Commission de Bruxelles n’a eu de cesse d’attiser les oppositions et de contraindre la France à l’isolement.

Comment comprendre autrement les attaques répétées de la Commission européenne à l’encontre de la France, notamment par le biais de la mise en cause de notre système de dépistage, alors qu’elle-même rejetait, voilà six mois, la proposition française d’interdire l’utilisation des farines animales et préconisait de reporter à 2003 l’instauration de l’étiquetage obligatoire ?

Aussi faut-il se féliciter de la position du Gouvernement français qui, sans se laisser enfermer dans une stérile rivalité
franco-britannique, a su résister aux offensives de la Commission, en prenant le risque d’une mise en demeure par la Cour de justice des Communautés européennes.

A ce jour, tout porte à croire que la France a eu raison de se démarquer de ses partenaires et de faire valoir, en la matière, le principe de subsidiarité. En effet, différents éléments, tels que la découverte récente d’une deuxième victime française de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou la révélation d’une étude de spécialistes américains et écossais attestant la transmission probable de la maladie de la " vache folle " à l’homme, ne peuvent que conforter la position de fermeté prise par la France et rendre crédibles les recommandations de l’AFSSA.

Les auteurs de cette même étude appelaient en outre l’Europe à ne pas sous- estimer l’ampleur de la crise sanitaire et à réviser ses procédures d’expertises. Et un conseiller du gouvernement britannique déclarait il y a peu que plusieurs centaines de milliers de personnes pourraient être concernées par l’épidémie de l’ESB.

Lorsqu’on sait enfin que la France était, avant l’embargo, le principal importateur des bovins d’outre-Manche, il paraît légitime pour la France d’opposer le principe de précaution à la libre circulation des marchandises, quitte, si nécessaire, à remettre en cause les traités européens.

Du reste, le ralliement escompté de l’Allemagne peut constituer, pour le Gouvernement, un soutien précieux dans ses démarches et son combat en faveur de la santé des consommateurs.

Le refus de lever l’embargo, s’il doit être maintenu, n’est cependant pas, à lui seul, de nature à rassurer pleinement nos concitoyens sur la filière bovine française. De lourdes interrogations demeurent en effet.

Ainsi, comment expliquer le nombre toujours important de cas de vache folle en France, et qui concernent pour l’essentiel des bovins nés après l’interdiction des farines ? A l’évidence, la transmission maternelle, d’une part, et les contaminations croisées accidentelles à partir de farines destinées aux volailles et aux porcs, d’autre part, ne sont pas des explications suffisantes.

A ce sujet, monsieur le ministre, a-t-on mesuré l’importance des entrées de farines britanniques sur notre territoire entre 1990 et 1996 en dépit de la réglementation ?

L’interdiction totale des farines animales ne doit-elle pas être sérieusement envisagée, puisqu’il est aujourd’hui avéré qu’elles sont à l’origine de l’épidémie ? Une telle interdiction suppose que soit, en contrepartie, développée sur notre sol la production de protéines végétales à partir du maïs ou du soja si l’on souhaite limiter le recours aux céréales d’origine américaine, qui présentent elles-mêmes des risques potentiels.

A tout le moins, des moyens financiers doivent être débloqués au plus vite pour renforcer nos connaissances sur le degré de nocivité de ces farines, sur l’évolution des maladies à prion, sur leurs modes de transmission de l’animal à l’homme et entre espèces animales. Ne faudrait-il pas, à cet égard, remettre en cause l’épandage de déjections de volailles ou de porcs sur des sols où pâturent des bovins ?

Ces efforts pourraient être prioritairement consentis par l’Union européenne. La présidence française, au cours du second semestre de cette année, doit permettre d’accélérer ce processus.

Nous soutenons, quant à nous, l’idée d’une agence européenne de sécurité sanitaire et alimentaire qui aurait pour vocation non pas de se substituer aux instances nationales, mais de favoriser, entre les Etats membres, une coordination et une harmonisation des contrôles, des expertises et des systèmes d’alerte, dans le respect des prérogatives de chaque Etat.

Par ailleurs, le système d’étiquetage des bovins à l’aide de boucles auriculaires ne mérite-t-il pas d’être amélioré ou complété dès lors que, comme l’indique une récente enquête du journal l’Humanité, ce procédé est, Jean-Marc Pastor l’a déjà dit, aisément falsifiable et interchangeable ?

Enfin, ne conviendrait-il pas que la traçabilité, qui permet de connaître le nom de l’éleveur ou de l’engraisseur, le lieu de naissance et l’âge de l’animal, intègre également le type d’alimentation fournie à celui-ci ? Cette pratique permettrait d’épargner à une partie des éleveurs certains effets de la crise, qui frappe de façon uniforme l’ensemble des producteurs, y compris ceux qui élèvent leurs bovins à l’herbe. Ces derniers pourraient ainsi retrouver la confiance du consommateur.

Il convient de rappeler à ce propos que la traçabilité occasionne un surcroît de travail non négligeable pour les éleveurs. La traçabilité serait donc encouragée par une élévation des cours.

En conclusion, il me semble que l’opacité dans le secteur de l’agro-alimentaire ou la rétention d’informations - pratiques qui ont trop longtemps prévalu dès l’apparition de toutes les épidémies - vont à l’opposé des exigences des consommateurs, qui sont aussi des citoyens et ont le droit de connaître les risques qu’ils courent. Peut-on prétendre favoriser une " culture du
risque " en infantilisant ou en déresponsabilisant les consommateurs ? Je ne le crois pas !

La transparence doit permettre, à l’inverse, de réconcilier durablement producteurs et consommateurs, dont les préoccupations peuvent converger, et de responsabiliser l’ensemble des acteurs de la filière agro-alimentaire, notamment la grande distribution, qui contraint les producteurs à brader leurs produits, sans que les consommateurs y gagnent.

La façon dont l’Europe saura gérer cette crise dépend aussi, pour une part, de l’issue des négociations internationales de l’OMC qui nous opposent aux Etats- Unis. Si l’Union accepte aujourd’hui que, sur son territoire, circulent des produits qui comportent un risque reconnu pour la santé humaine, quels arguments pourrons-nous faire valoir pour, demain, interdire l’importation de boeufs hormonés et de produits génétiquement modifiés ?

Il est donc indispendable - et je rejoins ici le souci manifesté par M. Haenel dans sa question - qu’à l’occasion de cette crise l’Europe sache donner du contenu au principe de précaution et mettre celui-ci en oeuvre si l’on souhaite le voir triompher parmi les règles du commerce mondial.

C’est pourquoi je pense que la position de la France, loin d’être une affaire franco- française, sera utile à toute l’Europe et même au-delà. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - M. Haenel applaudit également.)

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